© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Par autan : Le vent emporte le théâtre de François Tanguy

Tandis que les mots de son capitaine résonnaient au pied du Palais des Papes à l’occasion de la nouvelle déclaration d’Avignon en soutien au peuple palestinien, le Théâtre du Radeau jouait sa dernière pièce au gymnase du lycée Mistral.
14 juillet 2025

Les sons du bois qui craque en permanence plongent le plateau et la salle dans un même espace instable. Le théâtre qui se joue là n’est pas celui qui s’affirme sans contradiction. C’est celui qui doute, qui cherche, qui ose et qui échoue. L’écriture que développe le Théâtre du Radeau est de celles qui acceptent d’être fragilisées et renoncent à l’injonction de l’efficacité. Dans Par autan, c’est comme si le vent s’engouffrait dans le texte avant qu’il vienne se déposer lentement au sol telle une feuille tombée du ciel. Le geste de François Tanguy n’a d’autre but que celui de la poésie pour la poésie, un contre-temps salvateur dans la machine avignonnaise.

Une poésie de sons…
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

À partir de là, comment mettre des mots sur ce qui se traverse par les sens ? Pour écrire ce qui restera sa dernière création, François Tanguy s’est lui-même alimenté de textes qui façonnent en partie la grande encyclopédie du théâtre. Il confie à sa troupe des fragments glanés chez Tchekhov, Kleist ou Beckett et les extrait de leur contexte. Ainsi, dans la douce et vaporeuse rêverie qu’il compose, les répliques émergent comme des instants de lucidité collective. Là où les corps sont ralentis, où les lumières bricolées projettent une faible lueur sur des visages apathiques, la musique des mots répond à celle du silence.

La partition poétique qui se déroule dans Par autan joue précisément sur cette musicalité que produit le plateau. Par-delà les mots que l’on comprend, il y a aussi toutes les autres sonorités, à commencer par celles des langues qui nous sont étrangères et qui ne trouvent pas de traduction. À ces langages articulés se mêlent encore les accessoires qui traînent au sol ou s’entrechoquent, les éléments techniques qui s’activent, les décors que l’on déplace… C’est le théâtre comme une machine qui se dévoile à travers le travail sonore d’Éric Goudard et de François Tanguy.

… et d’images
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si la pièce commence et termine dans le noir, avec, pour seul guide la voix d’une femme qui dépeint le tableau de ce rêve en cours ou à venir. Sans faux effet, avec pour seul arme l’imagination, Par autan ouvre une à une des fenêtres de l’esprit. À travers elles, c’est un univers toujours plus vaste qui se dévoile, comme si tirer les fils du théâtre revenait à attirer le monde à soi. Au plateau, les innombrables cloisons superposées les unes aux autres révèlent une infinité de perspectives, d’innombrables possibles parmi lesquels il a fallu choisir pour écrire ce poème.

Pour son ultime pièce, François Tanguy fait naviguer son esthétique dans une temporalité indistincte et à distance de toute narration palpable. Face au geste du Théâtre du Radeau, l’erreur serait de chercher à comprendre lorsqu’il s’agit au contraire d’accepter de se laisser saisir. Les ventilateurs, qui reproduisent le vent d’autan et font voler les images les unes après les autres, emportent dans un dernier souffle une écriture rare. À force d’y croire, la poésie trouve encore sa place sur les plateaux de nos théâtres, et c’est heureux.


Par autan de François Tanguy – Théâtre du Radeau
Créé le 13 mai 2022 au Théâtre des 13 vents à Montpellier
Gymnase du lycée Mistral – Festival d’Avignon
Du 12 au 14 juillet 2025
Durée 1h30.

Avec Frode Bjørnstad, Samuel Boré, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly, Anaïs Muller
Mise en scène, scénographie – François Tanguy
Son – Éric Goudard, François Tanguy
Lumière – François Fauvel, Typhaine Steiner, François Tanguy
Couture – Odile Crétault
Construction – François Fauvel, Erik Gerken, Jean Guillet, Jimmy Péchard, Paul-Emile Perreau
Régie générale – François Fauvel
Régie lumière – François Fauvel, Typhaine Steiner
Régie son – Éric Goudard, Emmanuel Six

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.