On attendait un récit de nuit au musée. Une déambulation dans les galeries vides, quelques œuvres vues autrement, un rapport intime à l’espace, peut-être une révélation esthétique. Christine Angot prend la commande et la déplace. Elle s’en saisit pour aller ailleurs, loin du musée, loin de l’art comme objet. Dans ce rapport intime entre soi et l’œuvre, mais aussi dans la société du paraître qui gravite autour.
Le choix du paraître

Le lieu choisi, la Bourse de Commerce, temple de l’art contemporain au cœur de Paris et vitrine muséale du néolibéraliste Pinault, n’est ni ignoré ni vraiment exploré. Il est là, en arrière-plan, comme un décor trop brillant, un lieu tenu à distance. Les œuvres, elle les regarde — de loin —, s’attarde parfois, rarement. Certaines l’amusent, d’autres la questionnent. Elle note les poses, les discours, l’emphase. Tout semble sonner faux. Dans ce monde-là, elle ne se reconnaît pas.
Il y a aussi les dîners, les figures de l’art contemporains qui se jaugent et se jugent. Le besoin d’être là, de faire partie du panorama. Un monde qu’elle découvre, introduite par la papesse du milieu. Elle joue les favorites, mais s’ennuie. Cet univers n’est pas le sien. Elle reste à distance, ne se retrouve pas dans la vacuité, le paraître. Elle ne veut pas de palabres, juste des mots et noircir des pages.
Alors le texte bifurque. Dès les premières pages, on quitte les salles d’exposition pour revenir à Châteauroux. Une petite fille marche vers l’école. Elle longe un musée — son premier contact avec l’art —, chante du Sheila, regarde ses chaussures vernies. À cet instant-là, l’avenir ne l’inquiète pas encore. C’est là que commence la véritable nuit. Non pas celle qu’elle va passer avec sa fille à la Bourse de Commerce, mais bien celle qui la hante et l’avale depuis longtemps.
Fausses pistes et vraie vie
Répondre à la commande, à la contrainte, c’est pour Christine Angot tenter, et faire à sa manière, un pas de côté. C’est un mouvement plus profond, une plongée dans l’histoire intime, dans les blessures jamais refermées. Remonte à la surface celle originelle de la honte sociale, de l’inceste, des liens compliqués avec l’amour, avec sa fille, avec l’idée même d’aimer et d’être aimée. Le musée devient le prétexte à une mise à nu. Une façon d’en découdre avec tout ce qui empêche de vivre simplement, de s’asseoir parmi les autres, de croire qu’on y a sa place.
La satire affleure souvent, mais sans cruauté. Les installations conceptuelles, les vidéos qui s’expliquent, les œuvres qui prétendent dire le monde sans le regarder… Tout cela glisse, suscite un sourire sec, une ironie lasse. Le regard est clair, sans complaisance. L’écriture est acérée, presque apaisée . L’art, pour Angot, ne suffit pas. Il reste en surface. Il n’a pas la force de l’écrit, la seule chose qu’elle aime faire, et sache faire, au fond.
Écrire, un point c’est tout
Tout revient constamment, dans ce court récit, tendu, à la littérature. Non pas comme refuge, ni comme posture, mais comme nécessité absolue. Une question de survie. Rien d’autre ne compte. Ni le musée, ni le cadre, ni les attentes. Ce qui importe, c’est la langue. La possibilité d’attraper ce qui traverse, ce qui cogne, ce qui blesse encore. Ce que l’écriture seule peut tenir.
Cette Nuit sur commande n’en est pas vraiment une. C’est un refus déguisé, une résistance élégante. Une manière de rappeler que certaines vies, certains récits, ne peuvent se plier à la forme. Et que parfois, répondre à une commande, c’est commencer par la contourner.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Nuit sur commande de Christine Angot
Éditions Stock
collection « Ma nuit au musée »
mars 2025
161 pages
prix conseillé 19 €