Éliot, une nouvelle de Catherine Verlaguet

Aujourd'hui c'est dimanche. Catherine Verlaguet a accepté d'écrire un conte, une fable d'aujourd'hui.

Eliot est petit, même depuis qu’il est grand. Et maintenant, il est vieux aussi. 

Il y a des vieux qui restent jeunes ; mais Eliot, non. Il est vieux et il assume. Il est même content d’être vieux, Eliot, parce qu’on lui fout la paix. Plus personne pour essayer de le tirer en randonnée, ou en voyage, ou dans des histoires d’amours rocambolesques – qu’il a toujours refusées de toute façon. 
Eliot est usé par une vie qu’il n’a même pas vraiment vécue, par des aventures qui ont creusées sa peau comme autant de « et si ».
Il est agent de maintenance, Eliot, dans un établissement scolaire : tout le monde le connait, mais personne ne le voit. Il est plutôt transparent, discret – il répare sans que personne ne remarque rien – et hop ! C’est fait. Et il sait faire, Eliot ; ça, il faut le dire : il est doué. Dommage que ce soit sa dernière année. C’est pas qu’il aime son job, Eliot, mais il se demande quand même ce qu’il va faire après.

Eliot (triturant son jeton de caddie) – M’en fout, j’le jette. 
J
’aimais bien faire les courses avec Juliette. Avec Juliette, on prenait un caddie. On y passait des heures, le samedi. On choisissait nos p’tits bonheurs, comme elle disait : nos p’tits fromages, nos p’tits yaourts, nos légumes, nos protéines et puis nos p’tit extras, les biscuits, le chocolat, une noix de coco ! Des amandes grillées ! Elle savait vivre, Juliette. Avec Juliette, je prenais le temps de vivre. Et elle avait du goût, la vie : le goût de tout ce qu’on achetait ici et qu’on prenait le temps de cuisiner ensemble et de manger lentement, en discutant. ‘fin, c’est surtout elle qui parlait. Moi, je suis pas bavard, mais j’aimais l’écouter. Seulement, quitte à parler toute seule, un jour, elle est partie, Juliette. J’prends plus d’extras. J’prends même plus de caddie. Alors ça… 
M’en fous, j’le garde.

Juliette – Eliot ! Quelle surprise ! C’est bon de te voir là ! Ça fait longtemps ! Tu vas bien ? Non, pardon. Je peux pas commencer comme ça – je savais que tu serais là : tu viens ici tous les dimanches matin boire ton café, je l’ai pas oublié, c’est pour ça que je suis venue. Je m’assieds, tu permets ? Tu vas bien ? Tu as… T’as pas bonne mine, non – t’as le teint gris. Tu manges au moins ? Tu dors bien ?
T’es pas très bavard, hein – rien ne change, c’est rassurant. 
Qu’est-ce que t’es chiant quand-même ! C’est pas facile, tu sais, de vivre avec quelqu’un qui raconte jamais rien ! Non mais vivre avec toi, c’est comme vivre toute seule en fait ! Tu le sais, ça ! C’est pénible ! 
Il doit bien te passer des trucs par la tête quand-même ! 
Tu fais jamais, ça ? Dire tout simplement ce qui te passe par la tête ?

Eliot – Non.

Juliette Bon. Je voulais te parler. C’est pour ça que je suis là. Parce que tu m’emmerdes, tu sais ! Qu’est-ce que tu peux m’emmerder avec ton silence… Mais voilà. Depuis que je suis partie, je réalise quand-même que, quitte à vivre seule, j’aimais mieux vivre avec toi. Parce que même si tu parles pas – pas beaucoup, pas assez… C’est ton odeur qui me manque. Tes yeux sur moi. Et la place, là, dans le creux de ton cou, où j’aime poser ma tête pour m’endormir. C’est chez moi, ce creux de toi – là que je me sens bien et… ça me manque, tout ça. 

Ça t’embête si je reviens ?

Catherine Verlaguet, auteure et dramaturge

Tous les jours sur son Facebook® Catherine Verlaguet publie un épisode de son feuilleton confiné

Crédit photos © Stéphanie Dantel

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