© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Les Incrédules : L’opéra d’outre-mère de Samuel Achache

Questionnant notre rapport à la mort et s’insinuant dans les interstices de nos croyances, le metteur en scène, accompagné de ses complices musiciens Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang, signe une œuvre singulière, drôle, touchante et déconcertante.

Un immense mur gris délavé fait office de rideau. Devant, trône un instrument étrange, hybride entre xylophone géant et clavecin réinventé. Une jeune femme avance, l’air paumé. Elle parle, sans trop savoir ce qu’elle fait là. Son double opératique la rejoint. Puis viennent d’autres figures aux costumes identiques, pleureuses évoquant d’autres temps, d’autres époques.

Entre fantômes et partitions
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Le salon apparaît après un lent ballet de cloisons. La jeune femme vient à peine d’emménager, des cartons jonchent le sol. Le téléphone sonne. La nouvelle tombe comme un couperet : sa mère est morte. Une version plus jeune de celle qui lui a donné la vie franchit la porte. Esprit ? Projection ? Le flou est cultivé. En tissant récit intime et figures fantasmatiques, Samuel Achache interroge nos croyances face à la mort. La mère revient hanter sa fille. Le réel tangue, les doubles donnent aux scènes un aspect burlesque.

L’opéra épouse ce vertige. Dialogues et arias se superposent, la parole se chante autant qu’elle se joue. L’humour affleure, le chagrin aussi. C’est bancal, déroutant, souvent drôle, parfois trop éparpillé. À tant vouloir jouer la répétition, varier les dispositifs, le metteur en scène flirte avec la confusion. Mais quand tout s’accorde – comme dans une séquence mystique dans une église perdue au milieu de nulle part – le théâtre devient saisissant.

Une partition à double fond
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Tout est chorégraphié dans le moindre détail, notamment la mise en place des décors et des instruments sur scène. Sarah Le Picard campe une fille incrédule, désemparée face à une mère toxique autant que tendre, jouée par la formidable Margot Alexandre. Leurs alter ego lyriques – Jeanne Mendoche et Majdouline Zerari – prolongent l’étrange vibration de cet opéra un brin foutraque et déstabilisant. 

Les ruptures de ton, la fantaisie bricolée, les apparitions incongrues – comme le visage du Christ, rappelant le suaire de Sainte Véronique, illuminant un mur qui se met à pleurer – font du théâtre le lieu de tous les glissements : passé, présent, rituel, fantasme, tout se chevauche sans jamais chercher à trancher.

L’au-delà à portée de voix

Si vous aimez le théâtre foutraque, le bricolage inspiré et les déraillements chers à Samuel Achache, ne le cherchez pas dans le décor, mais dans le livret et la partition. Certes, tout ne colle pas ; l’ouvrage chancelle encore. Mais dans ce grand opéra de chairs et de spectres circule une émotion trouble, qui embarque les uns et laisse les autres un peu septiques. Moins le récit d’une fille sous emprise que la traversée d’un deuil insoutenable, ce spectacle porte le besoin viscéral de comprendre pour enfin lâcher prise, se délester — et peut-être, pardonner à celle qui vous a donné la vie en le regrettant.


Les Incrédules de Samuel Achache
Opéra Grand Avignon – Festival d’Avignon
Du 22 au 25 juillet 2025
à 17h
Durée 2h environ
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Tournée
18, 20, 22 et 25 septembre 2026 à l’Opéra national du Rhin (Strasbourg)
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Avec l’Orchestre de l’Opéra national de Nancy-Lorraine,
Jeanne Mendoche, Majdouline Zerari, René Ramos Premier, Margot Alexandre, Sarah Le Picard, Marie Lambert, Pierre Fourcade, Antonin-Tri Hoang, Sébastien Innocenti, Thibault Perriard
Direction musicale Nicolas Chesneau
Livret Samuel Achache et Sarah Le Picard en collaboration avec Margot Alexandre, Thibault Perriard et Julien Vella
Composition Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang  
Orchestration Pierre-Antoine Badaroux
Mise en scène Samuel Achache  
Assistanat à la mise en scène Chloé Kobuta  
Assistanat à la direction musicale William Le Sage
Dramaturgie Julien Vella  
Costumes Pauline Kieffer  
Scénographie Lisa Navarro  
Conception du miraclophone Thibault Perriard  
Lumière César Godefroy
Ingénieur son Julien Aléonard
Décors Atelier de décors de l’Opéra national du Rhin
Costumes Ateliers de l’Opéra national de Nancy-Lorraine
Traduction des surtitres en français et en anglais Richard Neel

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