Assis de profil sur une chaise, un homme attend. Chez lui, dans un espace nu, il espère la venue de la femme qu’il aime. Rencontrée au supermarché, il l’a aussitôt invitée à dîner. À travers cette attente, il ouvre son jardin secret et évoque ses doutes, ses envies, sa vie en filigrane. Parlant à lui-même, tantôt s’adressant au public complice et confident, il partage ses espoirs, ses maladresses, ses luttes pour paraître « normal ». Mais plus il essaie, plus sa bizarrerie affleure.
Appelé Michel – prénom qu’il n’a pas, mais que lui donne la femme aimée –, il devient le miroir de nos propres tentatives pour tenir debout dans le monde. Derrière ses mots décalés se dessine une humanité brute, touchante. Ce qu’il livre sans filtre, c’est notre part d’étrangeté à tous, ce que l’on maquille derrière des gestes convenus, cette fragilité qu’on cache sous des habits sociaux. Et c’est précisément cette manière d’être sans filtre, sans fard, qui fait mouche : on rit, beaucoup ; on est ému, parfois troublé. Car Michel a peut-être franchi une ligne que nous effleurons sans cesse. Mais il reste proche, si proche que l’on se surprend à l’accueillir en soi.
Une fiction, une vraie
Le texte de Fabrice Melquiot est une petite pièce d’orfèvrerie, ciselée avec précision, où la langue bute, glisse, trébuche, et, dans ce déséquilibre, trouve une vraie poésie. Jean-Yves Ruf accompagne cette matière avec une mise en scène sobre et juste, qui laisse toute la place au jeu. Et Roland Vouilloz, pour qui le texte a été écrit, offre une performance d’une rare finesse. Il éclaire nos failles, les rend supportables, presque désirables. Si c’est cela, être bizarre, alors peut-être est-ce une manière d’être profondément vivant.
Dans un Festival Off saturé de récits personnels, d’autofictions et de « moi je », Le Bizarre rappelle la force d’un vrai rôle, d’une vraie fiction, d’un vrai théâtre. Celui qui, sans détours, nous ramène à ce que nous avons en commun : notre humanité.
Le Bizarre de Fabrice Melquiot
Présence Pasteur – Festival Off Avignon
du 5 au 26 juillet 2025 – relâche les 8, 15, 22, 25 juillet 2025
à 18h15
durée : 1h
Tournée
4 au 8 novembre 2025 au Théâtre du Crochetan
Mise en scène de Jean-Yves Ruf
avec Roland Vouilloz
Collaboration artistique – Maria Da Silva
Scénographie de Fanny Courvoisier
Création lumière de Nicolas Mayoraz
Création son – Olga Kokcharova
Régie d’Émile Schaer
