Un large tapis de fausse fourrure violette recouvre une partie de la scène. Assis côte à côte sur un baffle, Zoé Lakhnati et Per-Anders Kraudy Solli observent l’arrivée du public. Les conversations vont bon train, l’ambiance est détendue. Pourtant, insensiblement, la pièce a déjà commencé. La performeuse féline, gracile, quitte sa position, glisse dans l’espace. Chaque geste semble propulsé par un son, ou est-ce l’inverse, ses gestes qui provoquent chez l’autre le besoin de répondre par des sons modulés par sa bouche – beats, boîte à rythme, mots, etc.
Un pas de deux burlesque et vocal
Zoé Lakhnati déploie une gestuelle expressive, rappelant celle d’un Buster Keaton ou d’un Charlie Chaplin au féminin. Grimaces, contorsions, déhanchés s’enchaînent, mais le clown qui est en elle n’est jamais loin. En face, Per-Anders Kraudy Solli bruite, chante, improvise. Il fait surgir des textures vocales comme autant de partenaires invisibles. La rencontre est organique. Ensemble, ils construisent une forme libre, composite, sans narration linéaire, mais saturée de références.
Where the fuck am I ?, leur première collaboration née à P.A.R.T.S. lors de leurs travaux de fin d’étude, déborde d’une énergie contagieuse. Des fragments de pop culture – de Prince à Michael Jackson – s’immiscent dans la danse. Des scènes mimées de thrillers aux défilés parodiques, le duo dessine un paysage mouvant, traversé de ruptures, de clins d’œil, de syncopes. À deux, ils forment une entité étrange et complice. Une créature hybride à deux corps, tendue et vibrante.
La langue comme muscle et manifeste
Le changement est rapide. Lucía García Pullé entre en scène, côté cour. Vêtue d’un tee-shirt rouge moulant et d’un short noir en vinyle, elle s’assoit sur un baffle elle-aussi. Le corps reste figé. Seule la langue bouge. Elle sort, tourne, se replie, se déploie. Mother Tongue débute par cette chorégraphie fascinante et dérangeante. La parole devient chair. La bouche, le centre de toute l’attention.
Arrivée de Buenos Aires en 2019, Lucía García Pullé développe ici un solo radical. Le regard du spectateur est happé par la précision du geste, la tension interne du mouvement. À mesure que la musique glisse vers des nappes techno, le corps prend le relais, le torse vibre, le bassin pulse, les muscles roulent. Aucune parole, ou presque. Juste des pancartes brandies avec détermination : « L’accent est cher », « Paladar se dit palais », « On est là depuis onze mille kilomètres ». Des slogans qui dessinent une géographie personnelle, traversée par des enjeux politiques.
En fin de solo, sur une chanson mélancolique de Mailen Pankonin, la performeuse se retourne et ôte son haut. Son dos se tend, se plie, vibre. Une sculpture vivante. Tout est là : solitude, tension, lutte. Un manifeste entre satire et douleur sourde. Danser pour ne pas disparaître.
Programme #3
La Belle scène Saint-Denis – La Parenthèse – Festival Off Avignon
du 12 au 14 juillet 2025
durée 1h30 environ