D’où vient le Waacking ?
Josépha Madoki : Cette danse est née au début des années 70 à Los Angeles, dans les clubs, sous l’impulsion de la communauté queer afro-américaine et latino. Ces hommes, marginalisés à la fois par leur couleur de peau et leur orientation sexuelle, ont créé leurs propres espaces de liberté. Ils dansaient sur du disco, en s’inspirant des attitudes glamour des stars hollywoodiennes comme Greta Garbo, Fred Astaire ou Marilyn Monroe. C’était un acte de résistance joyeuse, un jeu de masques et un moyen de revendiquer une existence qu’on leur refusait ailleurs.
Quelles sont les différences entre Waacking et Voguing ?
Josépha Madoki : Les deux danses n’ont de commun que les communautés queer afro-américaines qui les ont créées, mais leurs inspirations diffèrent totalement. Le Waacking puise dans le cinéma hollywoodien des années 30 à 50, dans le glamour des stars de l’écran.
Le Voguing, lui, naît un peu plus tard à New York, influencé par le monde de la mode, les poses des mannequins et les défilés, avec une esthétique très inspirée du magazine Vogue. Le Waacking raconte des histoires à travers le mouvement, avec des attitudes fluides et expressives ; le Voguing joue davantage sur des lignes géométriques et des codes très codifiés de présentation. On peut dire que ce sont des « cousins germains », mais avec des énergies bien distinctes.
Comment avez-vous croisé cette danse ?
Josépha Madoki : En 2005, à Paris, j’ai vu une danseuse japonaise, Yoshie Koda, sur scène. Sa manière de bouger m’a hypnotisée. Ce fut un vrai coup de foudre. À l’époque, j’étais déjà engagée dans la danse contemporaine et le hip-hop, et le Waacking me fascinait tout en me semblant presque intimidant. J’ai observé de loin pendant plusieurs années, jusqu’au jour où j’ai eu le temps et l’audace de m’y plonger complètement.
Je sortais de deux ans de tournée avec une comédie musicale. J’étais épuisée, j’avais le temps et le besoin de changer d’air pour aller vers d’autres pratiques. J’ai foncé, j’ai étudié et cherché les informations à la source, Los Angeles et New York pour rencontrer les OG – Original Génération (Tyrone Proctor, Dallace Ziegler, Viktor Manoel…) – , afin de comprendre toutes les facettes de cette culture et de cette esthétique.
Et tout a basculé après un battle en Suède…
Josépha Madoki : Oui, en 2013, j’avais déjà quelques battles à mon actif en France. Et quand je me suis sentie un peu plus à l’aise avec cette danse, j’ai tenté le Street Star de Stockholm. C’était l’un des plus grands battles de Waacking à l’époque. Par un incroyable hasard, je me suis retrouvée en demi-finale face à Yoshie Koda, cette même danseuse qui m’avait inspirée huit ans plus tôt. Et j’ai gagné. Cette victoire a tout changé. J’ai reçu des invitations pour juger des battles, donner des stages et des conférences, performer et faire des tournées à l’étranger, surtout en Asie. Ma carrière a pris un tournant auquel je ne m’attendais pas.
Le 12 juillet, vous organisez un battle international sous la verrière du Grand Palais éphémère. Comment va se dérouler cet événement ?
Josépha Madoki : C’est du freestyle pur, en duos, 2 contre 2. Chaque danseur a 45 secondes à une minute pour exprimer sa personnalité. Au départ, il y aura une centaine de participants venus du monde entier — de Corée, de Nouvelle-Zélande, d’Italie, de Roumanie…
Après les pré-sélections, le top 16 s’affrontera jusqu’à la finale. J’ai voulu un jury représentatif des différents générations et continents : Billy Goodson, l’un des pionniers de Los Angeles, qui a mis dans la lumière le Waacking en devenant le chorégraphe de Diana Ross et de Michaël Jackson, Marid figure emblématique de la scène Waacking Coréen, et la jeune française Oumrata, étoile montante de la scène européenne. J’aimais bien l’idée d’un jury venant de plusieurs continents et faisant partie de différentes générations de waackers.
Danser sous la verrière du Grand Palais, qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Josépha Madoki : C’est un symbole très fort. Cette danse née dans les marges trouve aujourd’hui sa place dans un lieu emblématique de la culture française. Le Grand Palais, c’est la beauté classique, institutionnelle. Y faire rayonner le Waacking, c’est une victoire sur l’histoire, une mise en lumière magnifique de cette culture longtemps invisible.
Comment s’est nouée votre collaboration avec le festival Paris l’été ?
Josépha Madoki : Tout est parti d’un véritable coup de cœur. Thomas Quillardet, le co-directeur, a assisté à plusieurs battles ces dernières années. Cette énergie, cette joie, cette audace propre au Waacking l’ont touché. Quand il a réfléchi à l’ouverture du festival, il a voulu cette fête, cette puissance. Paris l’été est un festival que je connais bien en tant que Parisienne. Investir un tel événement avec cette discipline, me tient d’autant plus à cœur que c’est aussi une reconnaissance, et une joie immense.
Votre nom de scène est « Princesse Madoki ». D’où cela vient ?
Josépha Madoki : Le Waacking permet de créer son propre personnage. Quand je monte sur scène, j’ai l’impression de porter une véritable couronne. On célèbre, on joue, on se réinvente. C’est très sérieux sans se prendre au sérieux. C’est une joie immense, une forme de liberté que je n’ai jamais retrouvée ailleurs, même dans le hip-hop, le contemporain ou le voguing. Le Waacking est à la fois une danse de résistance et de célébration.
All World Waacking de Josépha Madoki
Grand Palais – Paris l’été
12 juillet 2025
18h