© Arnaud Bertereau
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À la barre :  La justice pour violences sexuelles à cœur

En s’emparant du texte de Ronan Chéneau, Steeve Brunet propose un spectacle immersif dans une salle du Tribunal judiciaire d’Avignon. Il donne à voir de près les rouages de la justice.

Depuis la Manufacture intra-muros, il faut une dizaine de minutes pour rejoindre le tribunal, célèbre pour avoir accueilli, il y a quelques mois, le procès très médiatisé de L’affaire Mazan. L’entrée dans la salle, après les portiques de sécurité, se fait avec une certaine solennité. Si cette affaire résonne encore, c’est que le texte de Ronan Chéneau touche à ces drames sourds et indicibles qui hantent nos sociétés : les procès pour violences sexuelles et sexistes. Il interroge frontalement l’égalité entre les femmes et les hommes. Il ne s’agit pas ici de rejouer le procès, mais d’évoquer d’autres audiences, d’autres récits, portés à la scène dans une mise en situation directe.

Une salle d’audience comme seule scène
© Arnaud Bertereau

Pas de scène, pas de coulisses. Juste une véritable salle d’audience.. On s’installe sur les mêmes chaises que celles qu’ont occupées victimes, prévenus, familles, avocats, journalistes ou simples curieux. Les comédien·nes sont déjà là. En robe noire ou en civil, à vue, ils glissent d’un rôle à l’autre, parfois en une seule phrase ou simplement  d’un regard. Juge, procureur, victime, accusé. Les voix se modulent, les corps s’ancrent, les visages changent. Aucun effet. Aucun pathos. Juste la brutalité des mots, la crudité des récits, la violence des actes et la froideur du lieu.

Et tout prend corps parce que c’est ici que ça se passe. C’est ici que tout se joue. Les paroles coupées, les témoignages disséqués, les questions qui creusent là où ça fait mal. Les silences aussi. Les oublis. Les revirements. Les « elle l’a bien cherché », les « on ne saura jamais ». Le droit dans sa rigueur sèche, face aux failles béantes de l’humain.

La justice comme outil, pas comme réponse

Ronan Chéneau ne reprend pas comme fondement de sa pièce un procès unique. Il en compose une mosaïque. Il mêle des dizaines de cas inspirés du réel pour faire entendre ce que l’on n’écoute pas assez, la voix des femmes, des enfants, des personnes dominées, abîmées.… La justice, ici, n’est ni un monstre ni une héroïne. Elle reste un outil. Parfois précise, souvent bancale. C’est ce que la mise en scène de Steeve Brunet rend avec une efficacité redoutable. La machine judiciaire se veut et se doit d’être impartiale. Elle ne juge pas la morale, elle applique la loi. Elle ne peut avoir de cœur, elle n’en a pas le droit. Elle s’en tient aux faits et tranche en conséquence, quitte à broyer l’individu sans même le vouloir.

On sort bousculé. Non par la violence elle-même – elle est dite, jamais exhibée -, mais par ce qu’elle révèle. Ce que cela dit de nous, collectivement. D’une société qui continue à faire douter les victimes, à excuser les agresseurs, à fermer les yeux sur la domination. Le théâtre devient ici un lieu d’examen. Pas seulement de conscience, mais de structure, Ce pour que les mots des victimes soient entendus autrement que comme un simple problème de preuve.


À la barre de Ronan Chéneau CDN de Normandie Rouen
Texte publié aux éditions Les Solitaires intempestifs
La ManufactureFestival Off Avignon
du 8 au 18 juillet 2025, relâche du 12 au 14 juillet 2025
à 11H et 15H
durée 2h (avec débat)

Tournée
2 avril 2026 au Théâtre François Ponsard | Vienne (38)

Mise en scène de Steeve Brunet
avec Steeve Brunet, Marion Casabianca, Anne Cosmao, Valérie Diome, Adrien Vada, Rémi Dessenoix

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