Le théâtre documentaire a cela de perturbant, qu’il joue par nature sur la frontière entre la réalité de son propos et la fiction de sa forme. Dans la poursuite d’un travail commun engagé depuis 2003, Luisa Pardo et Lázaro G. Rodríguez poussent encore plus loin ce trouble. Avec Centroamérica, les deux artistes se retrouvent pris au piège de leurs propres recherches, devenant malgré eux acteurs de l’histoire en cours dont ils voulaient se faire témoins. Par cette écriture, ils interrogent alors leur propre rôle et celui du théâtre comme outil de résistance face aux régimes autoritaires.
En deux temps
Il faut dire que la matière ne manque pas, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière sud de leur Mexique d’origine. Là, sur cette bande de terre qui relie les deux Amériques et sépare les océans, les autocraties meurtrières font loi et les libertés individuelles sont étouffées. C’est le premier constat de l’enquête menée par Luisa Pardo et Lázaro G. Rodríguez. À force de tourner son regard vers son voisin du nord, le Mexique en a oublié qu’il était lui-même terre d’accueil pour les migrants du Belize, du Nicaragua, du Honduras ou du Panama. Seulement, si les exils sont massifs, les raisons de ces migrations sont tout aussi nombreuses. Multipliant les entretiens pour recueillir des témoignages, le binôme prend vite conscience de l’ampleur de la tâche, jusqu’à se faire happer par sa propre démarche au gré d’une rencontre qui les mène littéralement au cœur de l’enquête.
Sans tout dévoiler de ce récit pivot de la dramaturgie, Centroamérica se place alors sur un autre plan du travail documentaire à travers les codes du reportage. La démonstration factuelle des premiers instants prend soudain des airs de thriller immersif, au sein d’une scénographie colorée et apaisante qui voudrait pourtant nous maintenir à distance du réel. Dans un rythme fluctuant, comme ralenti par la chaleur étouffante, Luisa Pardo et Lázaro G. Rodríguez favorisent ainsi les faits, au service desquels ils placent un théâtre intimement politique, autour d’un sujet dont la rareté fait la force.
Peter Avondo
Centroamérica de Luisa Pardo et Lázaro G. Rodríguez
Créé le 15 octobre 2024 au Théâtre Joliette à Marseille.
Vu à La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon dans le cadre du Printemps des Comédiens.
Les 5 et 6 juin 2025
De et avec Luisa Pardo et Lázaro G. Rodríguez
Scénographie et création lumière de Sergio López Vigueras
Conception et réalisation du décor de Pedro Pizarro
Assistante à la mise en scène – Macaria Reyes
Assistantes générales – Janet Vázquez et Manu Guerrero
Image de l’affiche – Cecilia Porras Saénz
Personnage dans la vidéo – María/ Ella Fuerte
Images d’archives – Filmothèque de l’UNAM
Images du Nicaragua 2018 :-Rafael Camacho et Chilly Smit
Témoignages :deDora María Téllez, Gabriela Selser, Rafael Camacho et des hommes et femmes nicaraguayens exilés qui ont raconté leur histoire, mais ne peuvent être nommés pour des raisons de sécurité
