Solal Mariotte © Anne Van Aerschot
Solal Mariotte © Anne Van Aerschot
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Solal Mariotte, le feu sous la peau

Passé par PARTS, la formation bruxelloise d'Anne Teresa De Keersmaeker, le jeune chorégraphe-danseur présente en juin RAVAGES/COLLAGES en duo avec le batteur Lucas Messler à la Maison Danse d’Uzès, avant de fouler pour la première fois la carrière Boulbon d’Avignon dans un duo inédit avec la grande dame belge autour de Jacques Brel.

Remarqué en 2023 au Festival d’Avignon dans Exit Above d’Anne Teresa De Keersmaeker, Solal Mariotte y irradiait d’une virtuosité vertigineuse, traversée d’une grâce désarmante. Comme s’il dansait sans armure, avec juste ce qu’il faut de rage, de fragilité, d’abandon. Depuis la fin de ses études à P.A.R.T.S, il a créé son propre solo devenu avec le temps duo. 

En pleine création, il parle comme il danse, à pleine voix, avec élan, mesure et intensité. Les mots jaillissent, s’emballent, s’interrompent parfois, portés par une pensée qui fuse et un désir de précision. À 24 ans, l’artiste basé à Bruxelles se tient déjà en équilibre sur plusieurs scènes. Sa danse, née dans la rue, façonnée par le hip-hop, nourrie au conservatoire, n’a rien de tiède. Elle mord, elle pense, elle respire.

COLLAGES / RAVAGES de Solal Mariotte © Duy-Laurent Tran
COLLAGES / RAVAGES de Solal Mariotte © Duy-Laurent Tran

Solal Mariotte a grandi à Charvonnex, un petit village de Haute-Savoie. Une fratrie soudée, un père commercial qui gratte la guitare, une mère coach de vie qui l’encourage à suivre ses élans. Il déborde d’énergie, explore tous les terrains – karaté, rugby, escalade, VTT. Le jeune homme ne tient pas en place. 

Il suit ses frères et sœurs, veut faire mieux, plus fort, plus haut. Surtout ne pas être à la traîne. Et puis, un jour, une fête associative. Un petit show de breakdance. Le choc. « Ils faisaient des headspins, c’était fou. Je voulais être comme eux. » Il a douze ans. Le break devient sa langue. Sa manière d’habiter le monde.

À treize ans, il entre dans l’arène des battles. « J’avais peur, c’était la guerre. » Puis vient la rencontre fondatrice avec Imad Nefti, professeur à Annecy, qui l’ouvre à la recherche, à la composition. « Ce n’était pas un cours. C’était une rencontre. Rien n’était formel, tout était une histoire de feeling, de temps partagé à la manière d’une Jam. »

Grâce à sa mère, toujours en soutien, il intègre le conservatoire d’Annecy en horaires aménagés. Loin de chez lui, sa vie se poursuit en internat, partageant sa chambre avec d’autres artistes en devenir, des musiciens, des danseurs. Il y découvre le contemporain, le classique, l’histoire de la musique. Et surtout, il apprend à hybrider. À faire dialoguer son break avec tout ce qu’il découvre.

COLLAGES / RAVAGES de Solal Mariotte © Duy-Laurent Tran
COLLAGES / RAVAGES de Solal Mariotte © Duy-Laurent Tran

C’est cette curiosité-là, ce goût du frottement, qui l’amène à P.A.R.T.S en 2019. Parmi 1 200 candidats, il fait partie des quarante retenus. Là, il apprend à écrire du mouvement, à penser le geste. À se frotter au répertoire de Anne Teresa De Keersmaeker, de Trisha Brown, et tant d’autres artistes qui passent par là pour transmettre un peu de leur pratique.

À cette même époque, il fonde un crew, Above the Blood, qu’il appelle sa « famille choisie ». Il continue à danser dans les lieux hip-hop, à les mêler au contemporain, à nourrir l’un de l’autre. En 2022, il rejoint en tant que remplaçant Any Attempt Will End in Crushed Bodies and Shattered Bones de Jan Martens. C’est sa première expérience d’une grosse production et de tournée.

Les années P.A.R.T.S ne forgent pas que le danseur. Elles ébranlent aussi l’homme. Confronté à une diversité de corps, de parcours, de récits, il prend conscience de sa position : jeune homme blanc, cisgenre, au sein d’un monde chorégraphique plus vaste. « Quand on est breakeur, cest un défi d’être vulnérable. De se débattre avec la virilité, avec les stéréotypes du genre. Moi, je veux montrer la fragilité du danseur.»

Alors il commence à faire des collages d’images, de phrases, de matières. Un travail de superposition, presque thérapeutique. De cette pratique naît RAVAGES/COLLAGES, son premier solo, à la sortie de l’école. «C’était un besoin urgent dexprimer seul ce que javais au fond de moi. »

Le spectacle évolue. Un temps duo avec le pianiste Jean-Luc Plouvier, il devient face-à-face plus rythmique avec Lucas Messler, batteur complice. « Lucas a trente ans. Avec lui, le dialogue est plus direct, plus vif. Et la batterie, ça change tout. »

Aujourd’hui, l’œuvre se décline et évolue au fil des rencontres. Une version collective est en préparation avec quarante jeunes du conservatoire d’Annecy, danseurs, musiciens, corps multiples. «Cest une pièce polyphonique, pleine de sons, pleine de corps. Mais je naurais pas pu en arriver là sans passer par lintime, le duo, le tâtonnement.»

Brel de Anne Teresa de Keersmaeker et Solal Mariotte © Anne Van Aerschot
Brel de Anne Teresa de Keersmaeker et Solal Mariotte © Anne Van Aerschot

Le lien avec Anne Teresa De Keersmaeker, tissé à P.A.R.T.S dans une forme de distance respectueuse, prend un tour presque plus romanesque. «Je voulais organiser un battle à l’école. Je suis allé lui demander d’être jury. Elle a refusé… mais elle ma remarqué.»

Un jour, lors d’une audition, elle lui demande quel artiste l’inspire. Il répond sans hésiter Brel. Elle acquiesce, puis lâche spontanément : «Un jour, nous ferons un duo sur ses chansons » Il croit à une blague. Et pourtant. En juillet 2025, ils seront là, ensemble, dans la carrière Boulbon. Un duo rude et poétique, à ciel ouvert. « C’est majestueux… et un casse-tête. Jouer en plein air, avec toutes les contraintes techniques, c’est un défi. Mais on a le temps de s’y préparer. »

Chez Solal Mariotte, la danse cherche l’endroit juste, le moment juste. Ce point d’intensité où le geste devient pensée, et la pensée matière. À chaque mouvement, une même question affleure : « Comment habiter le monde sans le figer ? » La réponse, chez lui, est toujours en mouvement.


RAVAGES/COLLAGES de Solal Mariotte
Festival La Maison Danse Uzès
du 21 mai au 8 juin 2025
présentation de la pièce le 8 juin 2025 en clôture du festival
durée 40 min

Conception, chorégraphie et interprétation – Solal Mariotte
Live musique – Lucas Messler
Costume de Chiara Mazzarolo


Brel d’Anne Teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte 
Festival d’Avignon
Carrière Boulbon
du 6 au 20 juillet 2025
Durée 1h30

Concept, chorégraphie et danse Anne Teresa De Keersmaeker, Solal Mariotte 
Musique de Jacques Brel  
Scénographie de Michel François 
Lumière de Minna Tiikkainen
Costumes d’Aouatif Boulaich 
Dramaturgie de Wannes Gyselinck 
Direction des répétitions – Assistanat Nina Godderis, Johanne Saunier 
Recherche danse – Pierre Bastin 
Recherche musicale – France Brel/Fondation Jacques Brel, Filip Jordens 
Son d’Alex Fostier


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