Dès l’entrée dans la salle, le ton est donné. Sur le mur de briques peint en noir, la définition de la Pangée s’affiche en plusieurs langues, en lettres blanches. La dérive donc, celle des corps et des continents, sera au cœur de Mossy Eye Moor. Sur scène, un immense tapis de sol bleu — à la fois ciel et océan — déploie sa surface lisse, unie, impeccable. Quelques objets, énigmatiques, y sont disposés. Ils serviront plus tard à d’étranges rituels, presque chamaniques.
De part et d’autre du plateau, quatre silhouettes attendent dans l’ombre. Elles guettent le bon moment pour s’élancer et se fondre dans le mouvement. Plus tard, une cinquième entité surgira de derrière le décor. Une apparition à pas feutrés. Déjà, la mécanique du vivant est en marche.
Haute technicité

Louise Vanneste, formée à la danse classique puis à l’école P.A.R.T.S., compose avec une précision d’orfèvre. Chaque danseur, chaque danseuse a sa partition, sa temporalité, son souffle propre. On pense à des plaques tectoniques qui s’éloignent, se frottent, se répondent sans jamais vraiment se heurter. Les gestes sont fragmentés, ténus, parfois presque imperceptibles. Tout se joue dans les transitions, les inflexions, les suspens.
Il y a là une étrangeté fascinante. Une beauté discrète. Une lenteur assumée. Une chorégraphie qui regarde du côté des éléments, des mouvements souterrains, de l’invisible. On comprend les intentions — rendre sensibles les forces impalpables, brouiller les frontières entre l’humain, le végétal, le minéral. Mais ce qui vibre et habite les interprètes a du mal à franchir le quatrième mur. Le discours, très pensé, très écrit, demeure en surplomb. La danse, très cérébrale, manque de chair.
En quête de chair
Et malgré la singularité troublante des présences sur le plateau, malgré la densité technique, Mossy Eye Moor reste dans une abstraction un peu sèche. On admire, mais on reste à distance. Comme si la matière du monde, si soigneusement convoquée, manquait d’une faille, d’un vertige, d’un souffle chaud pour nous traverser pleinement.
Reste une proposition ambitieuse, une invitation à ralentir, à laisser le sensoriel l’emporter sur l’intellect. Le lâcher-prise n’est pas simple. Les mouvements hypnotiques des artistes résistent, mais à y regarder de plus près, dans les silences du corps, dans les secousses lentes, un monde semble en recomposition.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé Spécial à Bruxelles
Mossy Eye Moor de Louise Vanneste
Kunstenfestivaldesarts
La raffinerie – Charleroi Danse
du 21 au 24 mai 2025
durée 50 min environ
Tournée
5 juin 2025 à l’Atelier de Paris – CDCN dans le cadre du festival June Events
27 novembre 2025 au Vilar, Louvain-la-Neuve
Concept & chorégraphie : Louise Vanneste
Chorégraphie & danse – Eli Mathieu Bustos, Alice Giuliani, Maïté Maeum Jeannolin, Amandine Laval, Castélie Yalambo
Dramaturgie de Sara Vanderieck
Collaboration dramaturgique – Paula Almiron
Collaboration artistique/ éléments scénographiques – Kasper Bosmans
Son de Cédric Dambrain
Création lumière d’Arnaud Gerniers
Assistante chorégraphique – Anja Röttgerkamp
Costumes d’Esther Denis
Collaboration scientifique – Sophie Opfergelt