Jean Destrem © Tuong-Vi Nguyen
Jean Destrem © Tuong-Vi Nguyen

Jean Destrem : Du talent et du bagou

Comédien, membre de la 3e promotion de la jeune troupe de La Colline, il incarne actuellement le double jeune de Wajdi Mouawad dans Journée de noces chez les Cromagnons. Plongeant dans les souvenirs de l’auteur et metteur en scène, il habite la scène avec générosité et retenue.

Votre premier souvenir d’art vivant ?
Mes premiers souvenirs d’art vivant viennent des bals trad’ de mon enfance. Je suis originaire de Limoges. Mon père, ainsi que plusieurs membres de ma famille, sont très impliqués dans la musique traditionnelle en Limousin. Il y a dans toute la région une vie culturelle intense : des concerts, des bals populaires où les gens se retrouvent, écoutent de la musique et dansent toute la nuit. Toutes les générations s’y mêlent dans une joie contagieuse.

Quand les musiciens jouent pendant des heures, les danseurs entrent dans une sorte de transe, une extase provoquée par le tournoiement. C’est magnifiquement raconté dans le film Le Grand Bal de Laetitia Carton. Et pour l’enfant que j’étais, c’était un terrain de jeu génial : il fallait courir vite entre les jambes des adultes sans se faire écraser !

Journée de noces chez les Cromagnons de Wajdi Mouawad © Simon Gosselin
Journée de noces chez les Cromagnons de Wajdi Mouawad © Simon Gosselin

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir cette voie ?
L’été, nous suivions mon père dans un grand château en Corrèze, un lieu de création, pour rejoindre la compagnie Barbaroque. Ils montaient d’immenses spectacles musicaux en plein air, avec une cinquantaine de comédiens et de musiciens. Tous les artistes venaient avec leurs familles, leurs enfants. C’était encore un immense terrain de jeu pour moi.

C’est là que j’ai découvert le monde des intermittents du spectacle. À mes yeux d’enfant, ces gens avaient un métier fantastique : jouer devant des spectateurs, avec ses amis, dans des lieux incroyables, et en vivre. Évidemment, ça ne pouvait que me faire rêver.

Pourquoi ce métier ?
J’ai eu la chance de “toujours” savoir que je voulais faire ce métier. C’était une évidence. Et j’ai toujours été absolument certain que je le ferais. La question, c’était plutôt comment y parvenir, puisqu’il y a mille façons d’être comédien. Deux spectacles ont ancré ce choix dans mon enfance : L’Avare à la Comédie-Française, en 2009, et Les Naufragés du Fol Espoir d’Ariane Mnouchkine.

Le tout premier spectacle auquel vous avez participé ? Une anecdote marquante ?
C’était avec ma classe de spécialité théâtre au lycée : Les Trois Sœurs, de Tchekhov. Nous venions de finir une générale catastrophique. Le metteur en scène, installé dans les gradins, était furieux et nous faisait ses retours. On ne faisait pas les fiers.

Soudain, la porte du fond de scène se claque violemment, sans raison apparente. Il dit : « Ça, c’est Tchekhov qui n’est pas content. » On rit un peu. Il s’énerve : « Ne riez pas ! C’est vrai ! Les auteurs sont toujours présents quand on s’empare de leurs écrits ! Ils cherchent à nous parler… »

Sur le coup, je n’y ai pas cru. Mais aujourd’hui, cette idée me parle beaucoup. J’ai compris l’importance de la croyance et de la superstition dans ce métier. Il faut pouvoir s’accrocher à du fantastique, croire au surnaturel.

Journée de noces chez les Cromagnons de Wajdi Mouawad © Simon Gosselin
Journée de noces chez les Cromagnons de Wajdi Mouawad © Simon Gosselin

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Les spectacles de Sylvain Creuzevault. Ils ont bouleversé ma manière de voir et de faire du théâtre. Je sors de ses pièces avec une énergie folle. La pensée fuse, chaque prise de parole répond à une urgence, les comédiens sont “les doigts dans la prise”.

C’est très drôle, les personnages sont méchamment humains, jamais lisses. Et derrière, il y a toujours une réflexion politique et philosophique dense. Gros coup de cœur pour Banquet Capital et Les Frères Karamazov.

Quelles rencontres ont marqué votre parcours ?
Toutes celles qui m’ont bouleversé en me faisant confiance : Wajdi Mouawad, Frédéric Fisbach, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, Frédéric Noaille, Delphine Eliet… Et puis d’anciens professeurs, des amis, et l’amour.

Où puisez-vous votre énergie créative ?
Dans tout ce qui me fait rire. Je suis inspiré quand je suis à la fois plein d’énergie et profondément bouleversé. Un vrai rire est ce qui m’en rapproche le plus.

En quoi ce que vous faites est essentiel à votre équilibre ?
Parce que le théâtre est l’espace où je peux loger tous mes rêves. Tout devient fiction, fantasme, ambition, voyage… Tout devient possible.

Aux Singuliers, un projet porté par Frédéric Fisbach © Tuong-Vi Nguyen
Aux Singuliers, un projet de la jeune troupe de La colline porté par Frédéric Fisbach © Tuong-Vi Nguyen

Que représente la scène pour vous ?
C’est tout simplement addictif.

Où ressentez-vous, physiquement, votre désir de créer et de jouer ?
Dans le ventre, au niveau du diaphragme. Et quand il est bien réveillé, il envoie de la chaleur jusqu’au bout des doigts.

Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
J’adore ceux qui créent dans le risque, l’improvisation, l’écriture plateau. Ce sont avec eux que je me sens le plus vivant en création.

J’aimerais aussi me mettre au service d’un projet scénique porté par des plasticiens, comme ceux de Philippe Quesne. Et retravailler avec des danseurs me plairait beaucoup.

Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
Ça a été un immense déchirement de ne pas pouvoir jouer Journée de noces chez les Cromagnons au Liban. Alors ce serait vraiment fou de pouvoir le faire un jour…

Si votre parcours était une œuvre d’art ?
Une œuvre musicale. Un album. Music for 18 Musicians de Steve Reich ou The Dark Side of the Moon des Pink Floyd.


Journée de noces chez les Cromagnons de Wajdi Mouawad
Première française le 9 juin 2024 au Printemps des Comédiens
durée 2h environ

Tournée
29 avril au 22 juin 2025 : La Colline, Théâtre National, Paris

mise en scène de Wajdi Mouawad assisté de Cyril Anrep
Dramaturgie de Charlotte Farcet
Avec Fadi Abi Samra, Jean Destrem, Layal Ghossain, Aly Harkous, Bernadette Houdeib, Aïda Sabra

Traduction en libanais et surtitrage – Odette Makhlouf
Scénographie d’Emmanuel Clolus
Lumières de Laurent Matignon
Musique originale de Nadim Mishlawi
Son de Annabelle Maillard
Vidéo de Stéphanie Jasmin
Accessoires – Michelle Feghali
Costumes d’Isabelle Flosi
Maquillage et coiffures de Cécile Kretschmar
Fabrication des accessoires, costumes et décor – Ateliers de La Colline

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