Le musée du quai Branly vous invite dans le cadre de son cycle “Invitation à…”. Comment avez-vous abordé cette carte blanche ?
Fouad Boussouf : Travailler dans un musée, ce n’est pas une première pour moi. J’ai déjà chorégraphié au Louvre, au MAC VAL, au Musée d’Art et d’Histoire de Genève… Mais cette invitation du musée du quai Branly – Jacques Chirac est particulière. Elle m’a permis de poursuivre une recherche entamée il y a plusieurs années, notamment grâce à l’artiste plasticien Kader Attia. C’est lui qui m’a sollicité un jour pour l’une de ses œuvres, Les racines poussent aussi dans le béton. Il avait besoin de corps vivants, de présences, et j’ai découvert à cette occasion la puissance des musées comme espaces de dialogue entre l’immobile et le mouvement.

En 2022, lors de l’exposition consacrée à Ugo Rondinone au Petit Palais, nous avions aussi travaillé à une performance in situ mêlant vidéo et danse. Depuis, j’essaie de faire en sorte que les visiteurs ne se contentent pas de regarder les œuvres. Je veux qu’ils croisent aussi des corps dansants, qu’ils vivent une expérience sensorielle, presque rituelle. Il y a quelque chose de la mémoire qui s’imprime, quelque chose qui reste.
Vous parlez souvent de mémoire dans votre travail. Elle se joue aussi dans ce geste ?
Fouad Boussouf : Oui, il y a quelque chose de l’ordre du souvenir qui s’imprime. Les objets exposés ont leur mémoire, bien sûr, mais les corps aussi. Quand vous mettez en présence ce qui est figé et ce qui est vivant, il se passe quelque chose. Une résonance. Un trouble parfois. La danse, c’est une forme de rituel en soi — elle rend présent, mais elle inscrit aussi une trace. Et dans un musée, cette tension devient très forte.
Vous avez conçu un parcours en deux temps : “Musée dansant” et “Jardin dansant”. Qu’est-ce qui vous a guidé ?
Fouad Boussouf : L’idée était vraiment de faire en sorte qu’on ne puisse pas rester statique. Je voulais inviter les gens à bouger, à suivre un chemin, à se laisser entraîner. Ce n’est pas une simple promenade, c’est une forme chorégraphique déambulatoire. On dessine des lignes, des courbes, on insuffle un mouvement de foule, tout en douceur. Et je tenais aussi à investir l’extérieur, les jardins, qui sont souvent oubliés ou traversés sans attention. Ils deviennent, eux aussi, scène, matière vivante.
Vous avez également invité d’autres artistes à vous rejoindre, dont la compagnie Retouramont…

Fouad Boussouf : Je voulais qu’il y ait de la voltige, une danse qui défie la gravité. L’objectif était de faire lever les yeux aux spectateurs, de leur permettre de voir la façade du musée autrement, cette architecture qu’on ne regarde jamais depuis le théâtre de verdure. Cette compagnie fait naître une verticalité et déplace le regard. Ça me semblait essentiel pour rééquilibrer les perspectives, inviter à la surprise.
Certaines pièces sont des reprises de votre répertoire, comme Feû et Oüm. Comment dialoguent-elles avec le lieu ?
Fouad Boussouf : Ce sont des pièces courtes, intenses, très physiques. Elles portent en elles un élan, un feu, une énergie qui ne demande qu’à être canalisée par l’espace. Dans un musée, leur impact est décuplé. Ce sont des œuvres qui racontent quelque chose de l’ordre du vital, de l’humain en tension. Les jouer là, c’est leur donner un autre écrin.
Cette manière de sortir des cadres résonne aussi avec votre travail au Phare – CCN du Havre, que vous dirigez. Le festival Plein Phare Out s’inscrit dans cette même dynamique…
Fouad Boussouf : Absolument. Depuis le départ, j’ai voulu que le CCN ne reste pas enfermé entre quatre murs. Plein Phare Out, c’est l’édition qui sort, qui respire. Chaque année, on explore de nouveaux quartiers du Havre. Pour cette édition, on investit la plage, le quartier de Caucriauville, ainsi que différents lieux autour du Phare. Il y a tant d’espaces à activer, tant de manières de regarder la ville autrement. Ce qui m’intéresse, c’est de révéler l’architecture par la danse, d’ouvrir des brèches dans le quotidien.
Quels sont les temps forts de cette édition ?

Fouad Boussouf : On retrouve notamment Dominique Boivin avec sa pièce Transports exceptionnels, où un danseur fait un pas de deux avec une pelleteuse. C’est puissant et délicat à la fois. Je présente °Up dans sa version pensée pour l’extérieur. Bastien Dausse revient avec une nouvelle proposition. Et puis, il y a tous les ateliers, les moments de partage, et la block party : une grande fête pour que le public danse lui aussi. Ce n’est pas un festival pour regarder, c’est un festival pour vivre.
Finalement, entre le musée et la ville, entre l’intérieur et l’extérieur, votre travail invite toujours au déplacement ?
Fouad Boussouf : Oui, c’est vraiment ça. Se déplacer, physiquement, mais aussi dans son regard. Sortir d’un confort, d’un cadre, pour aller vers l’autre, vers l’espace, vers l’inconnu. C’est ça qui m’anime. Que la danse fasse lien, qu’elle ouvre des lieux et des imaginaires.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Invitation à Fouad Boussouf
Musée du Quai Branly -Jacques Chirac
les 17 et 18 mai et les 24 et 25 mai 2025
Festival Plein Phare – Out #3
Le Phare CNN du Havre-Normandie
du 29 mai au 1er juin 2025