Pourquoi avoir fait le choix de recréer D’après une histoire vraie aujourd’hui ?
Christian Rizzo : Pour plusieurs raisons. Je l’ai recréée en octobre dernier, alors que je m’apprêtais à quitter la direction du Centre chorégraphique national de Montpellier. C’était important pour moi de refermer cette période avec la pièce même qui m’avait permis d’y entrer. Il y avait un besoin personnel de boucler un cycle. Mais ce n’est pas tout. D’après une histoire vraie a marqué un tournant dans mon parcours. C’est une œuvre qui a ouvert un espace à un rapport nouveau entre danse d’auteur et danses anonymes, entre formes contemporaines et échos folkloriques. Et, sans doute, elle a aussi contribué à décomplexer beaucoup de chorégraphes autour de moi, sur cette question. Je voulais en rappeler la force inaugurale.
Vous parlez aussi d’une aventure humaine…

Christian Rizzo : C’est sûrement la vraie raison. J’avais simplement envie de revoir mes amis. Cette pièce a dépassé le cadre du travail. Elle est devenue une aventure collective autant qu’affective. Recréer D’après une histoire vraie, c’était comme ouvrir mon carnet d’adresse et dire : « Les gars, ça vous dit qu’on se retrouve ? » Ces personnes me manquaient. Pas juste pour danser, mais pour être ensemble.
Avez-vous réussi à réunir toute l’équipe d’origine ?
Christian Rizzo : Presque. Il y a eu un seul remplacement – un des danseurs est reparti vivre au Pérou. Pour moi, c’était impensable de remonter cette pièce avec une autre équipe. Ce qui s’est tissé à l’époque est unique. Ces corps se connaissent. Ils vibrent ensemble, avec une intimité qui ne se décrète pas. Et aujourd’hui, ce sont des hommes plus mûrs, avec un autre rapport au monde, au corps, au regard. Cela donne à la pièce une épaisseur nouvelle, plus fraternelle encore, plus attentive.
Est-ce que le fait de la présenter en extérieur, à Uzès, change quelque chose ?
Christian Rizzo : Un peu, mais pas tant dans l’écriture chorégraphique que dans la réception. La pièce avait déjà été jouée en plein air à Chamarande. Ce qui change le plus, c’est l’absence du dispositif scénique, du clair-obscur, de cette lumière qui voile et dévoile. En extérieur, on perd cette écriture lumineuse, mais on gagne une frontalité, une énergie. Ce groupe d’hommes qui débarque dans un espace, c’est presque une procession.
Votre regard sur la pièce a-t-il changé depuis 2013 ?

Christian Rizzo : Oui, énormément. À l’époque, je pensais avoir créé une pièce simple, directe. En la reprenant, j’ai vu combien elle était stratifiée, complexe. Il y a des récits souterrains qui, avec le temps, sont remontés à la surface. À l’origine, je voulais déjà interroger la façon dont les hommes peuvent être ensemble autrement, avec de l’écoute, de l’attention, de la tendresse. Je me situais contre une masculinité toxique. Aujourd’hui, cette question est encore plus brûlante. Et le contexte géopolitique autour du bassin méditerranéen, qui était déjà présent dans la pièce, résonne autrement. Avec les années, cette fraternité me touche encore plus.
Avec cette re-création, il est aussi question de répertoire. Est-ce important pour vous de revisiter vos pièces ?
Christian Rizzo : Oui… et non. J’ai un rapport particulier au répertoire. Peut-être parce que je viens des arts plastiques, et que j’ai voulu m’en détacher, afin de cultiver une forme d’éphémère. Ce qui compte pour moi, ce n’est pas de constituer une collection, mais de faire dialoguer certaines pièces avec le présent. D’après une histoire vraie avait quelque chose à me dire aujourd’hui. Et inversement, je voulais la laisser intacte, comme un volume d’un journal intime. Je n’ai rien modifié. Elle porte les questions d’alors, mais elles se lisent autrement dans notre époque. Ce n’est pas un retour en arrière, c’est un geste de présent.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Christian Rizzo : Je n’ai pas besoin d’un sujet qui fasse écho aux troubles du monde pour créer. Ma seule actualité, c’est d’essayer de comprendre comment on tient debout, comment on vit. Ce qui m’importe, c’est le lien entre la solitude et la communauté. Tout part de là. Les pièces ne répondent pas à des thèmes, mais à un état d’être. Je traverse le monde et, à un moment, je ressens le besoin de mettre une forme entre moi et lui. Ce besoin-là, il est toujours le même.
Vous travaillez actuellement sur une nouvelle pièce, À l’ombre d’un vaste détail, hors tempête…

Christian Rizzo : Elle sera créée à la Biennale de Lyon, en septembre, à la Maison de la Danse. C’est une pièce pour sept interprètes, avec une partition d’orgue composée par le groupe Puce Moment, un texte de Célia Houdart, une lumière de Caty Olive… C’est une œuvre qui prolonge en creux la trilogie sur l’invisible. Elle interroge la façon dont un groupe se constitue par couches de solitude. Je cherche une forme de calme, de sérénité. Pas pour se voiler la face. Juste pour ne pas faire semblant d’aller bien en criant plus fort. C’est une pièce d’attention.
Un art de la tension douce ?
Christian Rizzo : Peut-être. Un art de la justesse, je l’espère. À 60 ans, j’essaie de faire le tri. De simplifier. Pas d’appauvrir, mais d’éclaircir. Ce qui reste, c’est ce que je tiens vraiment à partager.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
D’après une histoire vraie de Christian Rizzo
Création le 7 juillet 2013 au Festival d’Avignon
Festival La Maison Danse Uzès
du 4 au 8 juin 2025
à voir le 6 juin 2025 à la Promenade des Marronniers
Conception, chorégraphie, scénographie et costumes : Christian Rizzo
Création lumière de Caty Olive
avec Youness Aboulakoul, Fabien Almakiewicz, Yaïr Barelli, Massimo Fusco en alternance avec Nicolas Fayol, Pep Garrigues, Kerem Gelebek, Filipe Lourenço, Roberto Martínez
À la création Miguel Garcia Llorens
Musique originale : Didier Ambact & King Q4
Arrangements sonores de Vanessa Court
Assistante artistique – Sophie Laly
Régie générale – Jérôme Masson ou Victor Fernandes, Régie lumière – Romain Portolan, Régie son :-Delphine Foussat