Un cri dans le noir. Non, pas un cri : une déchirure. Le violon de Luz Prado gémit, crie, grince, saigne. Et dans ce vacarme naît une silhouette. Frêle. Longiligne. Presque irréelle. Alberto Cortés qui flotte plus qu’il ne marche, pris dans un halo d’ombres et de lumières rasantes. C’est Analphabet. Un fantôme queer, un satyre romantique et un être blessé. Un Saint Sébastien des temps modernes, écartelé entre les débris du désir et les violences tapies dans l’ombre.
Une apparition sur les lieux du désir

À coups de mots et de gestes, il invoque les fantômes. Les siens. Les nôtres. Ceux qu’on croise sur les plages au coucher du soleil. Dans les coins sombres des parcs. Ceux qu’on n’a pas su aimer ou qu’on a trop aimés. Une histoire d’amour – ou plutôt une ruine d’amour – s’ébauche. Deux hommes. L’un fuit. L’autre attend. Ils s’aiment, se blessent. Et dans la déchirure, surgit cette figure spectrale. Il ne vient ni expliquer ni accuser. Il est là. Il chante. Il parle. Il murmure une mémoire effacée.
Alberto Cortés se définit comme un « pédé andalou ». Pas pour provoquer. Pour situer et marquer un territoire intime et politique depuis lequel penser et raconter le monde. Inspiré par La decadencia del analfabetismo de José Bergamín, il refuse les mots qui rangent, les alphabets qui assignent. Il préfère les langues cabossées et déviantes. Il glisse entre l’andalou et le castillan, invente une grammaire du trouble, se fait poète du désordre.
Une langue cabossée, une danse incantatoire
Sur scène, le théâtre devient lieu de résistance et d’envoûtement. Le corps se plie, se tend, s’effondre. Une danse entre l’enfant et l’insecte. Entre le vivant et le spectre. La voix se mêle aux râles du violon, aux cris déformés d’une bande-son viscérale. On est dans un poème scénique, un chant funèbre et amoureux. Ça tremble, ça vacille, ça bouleverse.
Ce que propose Cortés n’est pas une pièce. C’est un rituel. Une tentative de réenchanter ce qui a été brisé. Une offrande. Un geste d’amour vers ceux qui errent dans la nuit.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bruxelles
Analphabet d’Alberto Cortés
Kunstenfestivaldesarts
Théâtre Les Tanneurs
Rue des Tanneurs 75
1000 Bruxelles, Belgique
Du 9 U 12 mai 2025
durée 1h10
Concept, dramaturgie, textes, mise en scène et interprétation – Alberto Cortés
Violon et conversations – Luz Prado
Création lumières – Benito Jiménez
Technicien·nes lumières – Benito Jiménez & Cristina Bolivar
Son d’Óscar Villegas & Pablo Contreras
Coordination technique – Cristina Bolívar
Enregistrement piano de César Barco
Scénographie de Víctor Colmenero
Costumes de Gloria Trenado
Regard externe – Mónica Valenciano