Simple d'Ayelen Parolin © François Declercq
Simple d'Ayelen Parolin © François Declercq

Trajectoires 2025 : la danse dans tous ses états

À Nantes, malgré la coupe budgétaire sans précédent de la Région Pays de Loire, le Festival porté par le CCNN, que dirige Ambra Senatore, bat son plein. Maintenu grâce la solidarité des autres structures participantes, cette huitième édition sous le signe de l’éclectisme et de l’inclusion est un véritable carton. 

Nuages gris, air sec et froid, le ciel de Nantes a un peu, en cette fin d’après-midi de janvier, le teint blafard chanté par Barbara. Emmitouflés dans leurs doudounes, les nantais sont pourtant au rendez-vous. Devant l’entrée du Château des ducs de Bretagne, la file ne cesse de grandir. Ce soir, c’est nocturne. La chorégraphe nantaise, Audrey Bodiguel, investit le musée en proposant une déambulation chorégraphique autour du vivre ensemble, de la solidarité et du collectif. 

Vêtus de bleu, les 60 danseurs et danseuses amateurs habitent les lieux et offrent à travers leur mouvement un autre regard sur l’histoire de la ville. Portés par les sons de Skinshape, de Mansfielf.TYA ou du musicien nantais Tedaak, qui revisite, non sans humour, Un jour mon prince viendra, les artistes d’une nuit font vibrer les murs. Par session de douze minutes, les solos, les duos et les danses de groupe s’enchaînent. Passant d’une salle à l’autre, le public se laisse hypnotiser par ces corps pluriels et multiples en transe. Avant d’affronter le froid de l’hiver, ces petits impromptus réchauffent les cœurs. 

<em>Simple</em> d'Ayelen Parolin © François Declercq
Simple d’Ayelen Parolin © François Declercq

À quelques encablures du centre de Nantes, à l’auditorium de Rezé, la chorégraphe argentine présente une de ses pièces phares, Simple. Changement total d’univers, l’ambiance est à la fête, au délire cartoonesque. Face à une salle pleine à craquer, un danseur hirsute – absolument génial – fait son entrée. Complètement dépassé, le regard interrogatif, il se demande bien ce qu’il fait là. Enchaînant quelques pas, quelques mouvements, comme soumis à une cadence intérieure, il prend possession de l’espace, s’amuse tel un enfant de ses frasques. Découvrant son corps et ses capacités, il déploie une gestuelle décalée autant que précise. 

Rejoint par deux comparses, un danseur et une danseuse – tout aussi excellents – , il poursuit sa découverte du monde. Empruntant au monde de la BD les expressions exubérantes de ses héros, Ayelen Parolin esquisse une fresque délirante qui fait rire les enfants et les adultes transportés dans un univers bariolé, faussement féérique, mais follement drôle, qui n’est pas sans rappeler L’île aux enfants. Ne cherchant ni à parodier, ni à moquer la post-modern dance, l’artiste propose au contraire une traversée farcesque de haute technicité où l’émotion l’emporte sur le sens. Tout simplement jubilatoire !  

3 Concertos pour piano de  Bartòk, chorégraphie de Louis Barreau © Alain Julien
3 Concertos pour piano de Bartòk, chorégraphie de Louis Barreau © Alain Julien

La soirée se poursuit à l’Onyx. Située au cœur d’une zone commerciale de Saint-Herblain, la scène conventionnée danse et arts du cirque dirigée par Gaëlle Lecareaux a tout d’un immense cube noir. Imaginé par l’architecte Myrto Vitart, associée à Jean Nouvel, le lieu se révèle plus chaleureux qu’il n’y paraît dès que l’on pénètre en son sein. Alors que certains spectateurs font déjà la queue pour pénétrer dans la salle, d’autres s’attablent au bar. Ici pas de placement, la politique est démocratique. Venus soutenir et découvrir la dernière pièce de l’enfant du pays, le public a fait le déplacement en nombre. Au programme, Trois concertos de Bartòk mis en mouvement par Louis Barreau

Sur un plateau nu, à peine habillé en fond de scène d’un immense rideau mordoré, neuf danseuses et danseurs se laissent traverser par les œuvres radicales du compositeur hongrois. S’inspirant d’une de ses pensées « Ma véritable idée directrice, c’est la fraternisation des peuples malgré toutes les guerres et tous les conflits », le chorégraphe trentenaire pense l’espace comme un terrain de jeu pour une humanité abîmée qui n’a toutefois pas perdu l’espoir d’être réparée. Marche avant, marche arrière, courses folles, gestes fendant l’air, l’écriture de Louis Barreau est extrêmement cérébrale. Elle ne laisse pas la place à l’improvisation ou au débordement. Presque ascétique, elle se veut plus technique que communicative. 

D’étreintes en séparations, de solo en pas groupés, le sourire aux lèvres des interprètes est beau à voir. Ils ne dansent pas, ils se confrontent et virevoltent quasiment à l’unisson. Au fil des concertos, l’atmosphère et les costumes s’assombrissent, les gestes se répètent et se répondent. Fragile, la partition imaginée par Louis Barreau n’a pas encore trouvé son tempo. Elle se frotte encore au public, se peaufine doucement. Tout comme la musique de Bartòk, elle prend son temps pour se faire entendre, se laisser voir. 

Si la journée s’achève, la huitième édition du Festival Trajectoires ne fait que commencer. Jusqu’au 31 janvier, Nantes et ses environs, n’en déplaise à Madame Morançais, vivent au rythme de la danse et de la performance. De Georges Labbat à Joachim Maudet, en passant par Catol Texeira, Massimo Fusco ou Noé Soulier, les rendez-vous sont nombreux, éclectiques et inclusifs, de quoi plaire à tous ! 


Festival Trajectoires
du 16 au 31 janvier 2025

Chœur d’Audrey Bodiguel
le 18 janvier 2025 au Château des Ducs de Bretagne
Assistant chorégraphique – Christine Maltête Pinck
Régie Lumière – Juliette Gutin
Son, mixage – Guillaume Bariou
Interprète, musicien : Tedaak

Interprétation : 60 danseur·euse·s amateur·ice·s ; étudiant·e·s de l’Université de Nantes

Simple d’Ayelen Parolin
les 18 et 19 janvier 2025 à
l’Auditorium – La Soufflerie, Rezé
Durée 50 min
Création & interprétation – Baptiste Cazaux, Piet Defrancq & Daan Jaartsveld
Assistante chorégraphique – Julie Bougard
Création lumière : Laurence Halloy
Scénographie & costumes : Marie Szersnovicz
Dramaturgie : Olivier Hespel
Regard extérieur : Alessandro Bernardeschi
Visuels : Cécile Barraud de Lagerie
Costumes : Atelier du Théâtre de Liège

3 Concertos pour piano de  Bartòk
le 18 janvier 2025 au Théâtre Onyx
Durée 1h15
Chorégraphie et direction – Louis Barreau
Créé avec et dansé par  Zoé Bernabéu, Daniel Cantero, Gaspard Charon, Matthieu Chayrigues, Marion David, Marion Jousseaume, Flore Khoury, Thomas Regnier et Jeanne Stuart
Assistanat artistique – Bernadette Gaillard
Conseiller musical – Félix Dalban-Moreynas
Création lumière de Françoise Michel
Scénographie d’Andréa Warzee
Costumes de Camille Vallat
Son de Jonathan Lefèvre-Reich
Danseur stagiaire (CNSMDP) : Arthur Bordage
Musique : Béla Bartók (1881-1945)
Concerto pour piano n° 1 en mi mineur, Sz 83, BB 91 (1926). Direction : Esa-Pekka Salonen / Piano : Pierre-Laurent Aimard / Chicago Symphony Orchestra (2023)
Concerto pour piano n° 2 en sol majeur, Sz 95, BB 101 (1930–1931). Direction : Claudio Abbado / Piano : Maurizio Pollini / Chicago Symphony Orchestra (1977)
Concerto pour piano n°3 en mi majeur, Sz 119, BB 127 (1945). Direction : Susanna Mälkki / Piano : Andreas Haelfiger / Helsinki Philharmonic Orchestra (2020)

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