Fantasmagoria, Philippe Quesne © Martin Argyroglo
"Fantasmagoria" de Philippe Quesne © Martin Argyroglo

Au Théâtre Garonne, Philippe Quesne invite les fantômes et les taupes

Inauguré il y a deux ans par le directeur artistique de la Scène européenne toulousaine, Stéphane Boitel, le cycle Constellation donne carte blanche à des artistes choisis. Après Fanny de Chaillé et Meg Stuart, le directeur de la Ménagerie de Verre imagine un programme fantomatique.

Dans le théâtre Garonne, Philippe Quesne, pendant neuf jours, a creusé sa grotte éphémère et y a niché un programme peuplé de fantômes. Les funérailles d’Émilie Rousset croisaient les communications d’outre-tombe de Michikazu Matsune dans un florilège mêlant théâtre, performance, poésie et cinéma. En clôture de cette carte blanche, cette soirée dédiée aux fantasmagories, du nom des spectacles populaires donnés aux alentours de la Révolution française, où des foules levaient les yeux vers des figures qui s’animaient sous leurs yeux. Ces toutes premières projections collectives d’images lumineuses constituent en cela un ancêtre du cinéma.

Fantasmagoria, Philippe Quesne © Martin Argyroglo
« Fantasmagoria » de Philippe Quesne © Martin Argyroglo

Dans Fantasmagoria, le rideau s’ouvre sur une sorte de décharge de pianos au milieu desquels traînent quelques hauts-parleurs. Tous ceux-ci ne tarderont pas à s’animer sous l’effet d’une force invisible, d’une énergie fantôme : les pianos jouent tout seuls, certains s’élèvent à quelques mètres au-dessus du sol. Les rouages sont visibles, mais ce n’est pas grave : ce qui importe ici, d’avantage que l’illusion à laquelle on ne saurait prétendre comme on le faisait il y a 250 ans, c’est justement une sorte de poésie mécanique, un anthropomorphisme mélancolique de la machine.

La mise en exergue du trucage retourne sur elle-même l’allégorie platonicienne : ici, pas de croyance naïve devant la lumière qui s’anime, mais une mystification éclairée. Les squelettes en images de synthèse et les ossements qui tourbillonnaient sur le rideau baissé au début du spectacle (les mêmes que dans Le Jardin des délices) s’animent bientôt dans les écrans de fumée qui jaillissent derrière les pianos. Le plateau se charge, les fantômes se projettent partout, dans la fumée et sur les parois. L’incantation monte, elle retombera ensuite au néant d’où elle est venue, mais pas sans avoir fait s’exciter le dispositif, prendre les flammes et jaillir l’eau de derrière les pianos.

Maulwürfe © Martin Argytoglo – Charlotte Kaminski
Maulwürfe © Martin Argytoglo, Charlotte Kaminski

Avant, dans une autre salle du théâtre, la conférencière Anne Gourdet-Marès délivrait quelques clés de compréhension technique et historique des fantasmagories et de leur généalogie d’inventions — la lanterne magique, le fantascope d’Étienne Robertson — avant d’en offrir le spectacle dans les règles de l’art, avec une lanterne du XIXe siècle et des plaques d’époque, chinées chez les antiquaires (elle en possède à peu près 300). On retrouve dans ces projections une qualité d’image et surtout de couleur qui donnent effectivement une impression de vie aux images, lesquelles sont animées manuellement par des jeux de superposition rudimentaires. Un visage se met à nous suivre du regard, la lune se lève sur un cimetière la nuit, un homme et son chien échangent leurs têtes. La présentation, menée en partenariat avec la Cinémathèque de Toulouse, est aussi pédagogique qu’envoûtante.

En épousant le regard des spectateurs d’il y a 250 ans, on se retrouve à faire revivre en nous leurs émerveillements. Les fantômes convoqués, en quelque sorte, ce sont eux : un public disparu, enterré depuis longtemps par le progrès technologique, mais dont les plaisirs scopiques viennent nous hanter le temps d’une représentation. La fête se termine dans une des salles de ce théâtre de bord de fleuve avec un concert de Maulwürfe, le groupe de rock en habits de taupes géantes imaginé par Quesne dans la pièce La Nuit des taupes comme une lecture littérale du mot underground. La fin de soirée sera donc caverneuse et tellurique. Et assez délirante.


« Spectres, revenants et autres fantasmagories », constellation composée avec Philippe Quesne
Théâtre Garonne
1 Av. du Château d’Eau, 31300 Toulouse
Du 20 au 29 mars 2024

Fantasmagoria de Philippe Quesne
conception, mise en scène, scénographie Philippe Quesne
création musicale Pierre Desprats
collaboration artistique Élodie Dauguet
création lumière Nico de Rooij
voix Isabelle Prim Èlg, Pierre Desprats
textes extraits de E.G. Robertson, Allan Kardec, Laura Vazquez
collaboration dramaturgique Éric Vautrin
accessoires Mathieu Dorsaz
collaboration technique Marc Chevillon
assistante Fleur Bernet
animation 3D Bertran Suris, Philippe Granier
construction des décors Atelier du Théâtre Vidy-Lausanne
production Elizabeth Gay
régie générale Quentin Brichet
régie vidéo Mattias Schnyder, Nicolas Gerlier
régie son Charlotte Constant, Ludovic Guglielmazzi
régie plateau Fabio Gagetta
régie lumière Jean -Baptiste Boutte Farid Deghou

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