Love Chapter de Sharon Eyal et Gai Behar © André Le Corre
© André Le Corre

Love Chapter 2, les corps augmentés du duo Eyal-Behar

Au Théâtre du Rond-point, la magie de la chorégraphe et du musicien, installés depuis peu en France, opère indéniablement. Créé en 2017, lauréat du prix Fedora, ce ballet pour sept interprètes est tout simplement une merveille de virtuosité !

Il y a affluence au Rond-Point en ce soir de mars. Devant la salle Renaud-Barrault, spectatrices et spectateurs de tous âges ont fait le déplacement. Depuis quelques années, le nom de Sharon Eyal suffit pour titiller les curiosités, enflammer les passions et déplacer les foules. Née à Jérusalem, l’artiste a fait ses armes à la Batsheva dont elle a été la directrice de 2003 à 2004 puis la chorégraphe attitrée jusqu’en 2012. L’année suivante, cette artiste prolixe (30 pièces à son actif depuis 2009) fonde, avec son complice Gai Behar, L-E-V, leur propre compagnie. Installé en France depuis peu, le duo fait événement à chaque création.

En présentant pour trois dates exceptionnelles Love Chapter 2, dont la première a eu lieu lors de la 37e édition de Montpellier Danse, le duo ravive la flamme des corps en perdition et réinvente une parade amoureuse aux accents guerriers où sexualité et séduction se conjuguent en une fascinante fresque humanoïde. Dans un clair-obscur savamment ciselé par Alon Cohen, d’étranges créatures habitent la scène. Gestes saccadés suivant les battements d’un métronome, jambes tendues, corps pliés, bras en hyper extension, Sharon Eyal multiplie les références à une extra-humanité. Mettant ses interprètes en tension permanente, elle crée des images surréalistes qui attrapent le regard, saisissent l’attention et emportent vers d’autres réalités, d’autres mondes. 

Les mouvements rappelant ceux des insectes ou évoquant la robotique, l’écriture de la chorégraphe, sous le regard de son acolyte Gai Behar, suit la cadence ultra syncopée de la musique d’Ori Lichtik pour mieux en dépasser la concrétude et faire de l’œil à une forme d’abstraction hypnotique. Traversant des siècles de danse, empruntant autant au classique, au folklorique qu’au contemporain, la chorégraphe imagine un ballet où se démultiplient à l’infini les formes et les styles. Visages grimaçant, poings frappant les airs, muscles bandés à l’extrême, poses extravagantes, elle offre à vue les corps sur pointes de ses danseurs et danseuses, vêtus d’un justaucorps couleur chair extrafins. 

Passant du rire aux larmes, du burlesque à une gestuelle très épurée, les sept interprètes, tous d’un rare talent et d’une technicité incroyable, structurent l’espace, dessinent une multitude de formes géométriques et font du plateau un champ de tous les possibles. Se déplaçant en groupe compact ou s’émancipant de cette confrérie, chacun d’eux suit sa propre ligne à peine différente de celles des autres. Tout l’art minimaliste et extrêmement millimétré de Sharon Eyal — qu’on a pu découvrir dans Love Chapter 3, Into the Hairy, entre autres — explose dans ces petits riens distincts qui font la force sidérante de ses pièces. 

Ultra sophistiqué, extrêmement physique, ce Love chapter 2 sidère par sa beauté autant que par sa technicité de haute volée. Donnant à voir les sentiments humains au-delà même des corps, indéniablement le duo EyalBehar flirte avec le firmament des chorégraphes et inscrit son œuvre dans une grande histoire contemporaine de la danse !


Love Chapter 2 de Sharon Eyal et Gai Behar
Salle Renaud-Barrault
Théâtre du Rond-Point
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
jusqu’au 23 mars 2024
Durée 55 min

Création de Sharon Eyal & Gai Behar
Musique d’Ori Lichtik
avec Frida Dam Seidel, Darren Devaney, Guido Dutilh, Juan Gil, Alice Godfrey, Johnny McMillan, Nitzan Ressler
Lumières d’Alon Cohen
Costumes d’Odelia Arnold, Rebecca Hytting & Gon Biran
Directeur technique – Alon Cohen
Techniciens-: Yair Salman, Oren Elimelech, Hillel Sharp 

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