Denis Eyriey dans Extinction de Julien Gosselin © Simon Gosselin
Denis Eyriey dans Extinction de Julien Gosselin © Simon Gosselin

Denis Eyriey, homme de corps de Julien Gosselin

Des Particules élémentaires au "Passé" et à Extinction, qu'il reprend pour quelques dates aux Théâtres de la ville du Luxembourg, en passant par Le Passé, l’artiste, fidèle depuis ses débuts au metteur en scène, habite le plateau et crève l’écran de sa présence intense et solaire. 

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
Quand j’étais enfant, mon père a habité quelque temps à New York. Autour de mes dix ans, j’ai eu la chance, un Noël, qu’il m’emmène voir Showboat, une comédie musicale à succès des années vingt qui avait été remise au goût du jour. Cela m’avait bouleversé. J’étais captivé par la capacité des acteurs à chanter et danser, et par tout ce qui fait finalement un peu les clichés des artistes outre-Atlantique. Par ailleurs, j’étais un grand fan de Fred Astaire et de ses comédies musicales. Voir ça en direct m’a totalement subjugué. Des années plus tard, quand j’ai soumis l’idée à mon père que je voulais faire du théâtre, bien qu’il soit plutôt réticent, il m’a avoué se souvenir de mon regard qui pendant le spectacle cherchait à tout scruter, à ne manquer aucune miette.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Il n’y en a pas qu’un. Évidemment ce spectacle à Broadway en fait partie. Mais aussi quelques films vus quand j’étais enfant ou adolescent, comme Le parrain avec Al Pacino ou les longs-métrages de Truffaut. En fait, ce sont plein de petites choses qui je crois ont planté la graine et l’idée, même lointaine, que pouvoir incarner différentes psychés était désirable. Je reste persuadé qu’il faut régulièrement continuer à chercher et trouver « des petits déclencheurs » pour toujours se surpasser, continuer à apprendre tous les jours des nouvelles choses et ainsi se relever des petites déceptions qui arrivent dans ce métier. Encore aujourd’hui, je continue à aller au cinéma, au théâtre, à me laisser porter par d’autres. Je lis aussi beaucoup d’ouvrages sur la formation de l’acteur, je regarde et lis des interviews de metteur en scène, de comédiens et comédiennes. Ce métier est passionnant, car il est toujours possible de progresser. 

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Ce sont toutes les personnes qui pendant mon parcours, ont cru en moi, m’ont encouragé avec sincérité sans jamais travestir ce qu’ils pensaient. Quand vos parents ne viennent pas du tout de ce milieu, c’est difficile de savoir ce que signifie d’être comédien et si on est capable de faire ce métier. Je n’y connaissais rien, je n’allais pas au théâtre, je n’étais pas un grand lecteur et n’avais pas d’amis qui pouvaient avoir le même désir. Alors comme beaucoup de jeunes gens, je suis allé au Cours Florent. J’ai eu la chance de rencontrer un premier professeur (Patrick Mille) qui a vu quelque chose en moi, ne m’a pas lâché, m’a parlé des concours, plus particulièrement de celui de l’École du TNS et j’ai eu la chance d’y rentrer. À l’époque, Stéphane Braunschweig en était le directeur. Et à partir de là, tout a changé. La vague idée du début même si elle était encore loin d’être réelle, devient plus concrète. Vous rencontrez des gens qui ont dédié leur vie à l’art. La découverte et l’amour des auteurs, l’exigence, l’amour du théâtre et plus précisément de l’acteur. Vous rencontrez des personnes formidables qui vous prêtent des outils, vous prodiguent des conseils, qui, si vous le souhaitez, si vous les apprivoisez, peuvent changer votre vie. Encore maintenant je repense à certaines phrases de mes professeurs d’alors et replonge dans certains de mes cahiers d’étudiant pour me les remémorer plus précisément.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 
En dehors d’un très vague souvenir de spectacle à l’école primaire duquel je ne garde que de rares flashs où s’esquissent des costumes d’arbres en carton, des épées en bois et moi, déguisé en Merlin l’enchanteur. Mon véritable premier rôle professionnel, je le dois à Stéphane Braunschweig, qui avait mis en scène la sortie d’école de ma promo en 2005. J’en garde un souvenir d’excitation et d’appréhension. Je me souviens aussi m’être dit que les choses sérieuses commençaient et que ça allait être bien plus difficile qu’à l’école.

Votre plus grand coup de cœur ?
J’en ai plusieurs. Je n’allais pas au théâtre et donc quand j’ai décidé de passer les concours j’ai bien compris qu’il allait falloir combler cette lacune. De cette période, je garde un grand souvenir d’un Dostoïevski mis en scène par Frank Castorf à Chaillot. Quand j’étais en formation au TNS, avec mes camarades de promo, nous allions tout voir. J’ai pu ainsi découvrir le travail de Lupa, Mnemonic de Simon McBurney, Les Marchands et Au monde de Pommerat, Purifiés mis en scène par Hubert Colas, et Guerre et Paix de Fomenko, un immense spectacle que j’étais allé voir tous les jours de son exploitation à Strasbourg pour observer les acteurs. 

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
Il y en évidemment eu plusieurs. Il y a celle d’un élève au Cours Florent quand j’avais dix-huit ans, qui aujourd’hui est devenu un ami et avec qui je viens de terminer une série pour Canal +, vingt plus tard… Il est devenu réalisateur, mais à travers notre amitié, nous avons toujours continué à échanger sur le métier d’acteur, sur le jeu et le comédien au service de la mise en scène. À l’École du TNS, il y a eu Nicolas Bouchaud qui a été d’une grande importance pour moi. Il parlait du jeu comme personne avant lui et comme je l’admirais cela m’a ouvert de nouvelles perspectives, fait toucher du doigt une nouvelle approche de l’art dramatique. Enfin je ne peux pas ne pas parler de Julien Gosselin et de toute cette équipe avec qui je partage ma vie depuis dix ans maintenant. Je les aime. Je suis très admiratif de chacun d’entre eux. C’est toujours incroyablement joyeux de se retrouver. Nous avons tout connu ensemble. Des naissances, des décès, des mariages, des divorces. Par ailleurs la rencontre avec Julien a été de l’ordre de l’évidence. Nous avions les mêmes envies, les mêmes avis sur le théâtre et l’art en général, les mêmes goûts. Cela a été très simple et très rapide. C’est étonnant de voir à quelle vitesse il a évolué et comment il continue encore à chercher, à se questionner. 

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? 
Je suis un peu un fanatique de travail. J’aime qu’un projet prenne une grande place dans mon espace mental, me plonger intégralement dans l’auteur, sa psyché, sa vie. D’une manière générale, je trouve que les gens s’accommodent trop du peu, pensent que l’on peut ne répéter que trois ou quatre heures par jour, et souvent, cela se ressent quand on va voir les spectacles. Mais paradoxalement, je pense que la vie doit rester la chose la plus importante. Un de mes professeurs à l’école du TNS, disait toujours « l’art n’est intéressant que s’il rend la vie plus importante que l’art » — j’ai appris bien plus tard que cette citation était en fait de Robert Filliou. J’essaie de m’y tenir. 

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
À peu près tout. Cela dépend des projets, bien sûr, mais quand je suis au théâtre, tout part de l’auteur, du texte donc. Il me faut lire l’intégralité de son œuvre. Michel Bouquet disait que tout était dans le texte, il relisait chaque soir, même après deux cents représentations, des passages de la pièce qu’il jouait. Donc l’œuvre est toujours le point de départ. Mais ensuite arrivent la musique, parfois des contemporains de l’auteur, parfois les miens, les images (tableaux ou photos), mais ça pourrait être aussi l’architecture… Enfin tout. Quand je travaille un rôle au cinéma, cela peut aussi être une personne croisée dans la rue ou d’autres performances d’acteur. 

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
Je vais encore citer des professeurs. L’un disait « on peut tout faire sur scène, mais pas n’importe quoi ». Et un autre « la scène serait comme si vous étiez enfermé dans une cage face à un lion ». Je ne sacralise pas particulièrement cet espace et pourtant, il n’en est pas de plus important à l’instant T. Cela requiert donc une certaine concentration et un certain état de corps et d’esprit.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
Malheureusement, beaucoup le cerveau. Je suis toujours très attentif à l’émotion qu’a provoqué en moi un texte en première lecture, même si après j’ai besoin de comprendre pourquoi il m’a procuré ce type d’émotion et pourquoi le metteur en scène a choisi ce texte. J’essaye de plus en plus de faire passer un peu plus tout ça par le corps et vais chercher à travailler ça dans les années à venir.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
Pêle mêle, Ivo Von Hove, Castelucci, Arthur Harari, Justine Triet, Stéphane Demoustier et j’en oublie… Je pourrais aussi parler d’acteurs. Partager le plateau avec Lars Eidinger ou le ToneelGroep d’Amsterdam — en particulier Ramsey Nasr que j’aime beaucoup — seraient des expériences géniales. Voir comment ces acteurs travaillent serait forcément passionnant et enrichissant. 

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
Celui qui n’existe pas encore et que l’on ne m’a pas encore proposé. Plus sérieusement, peut-être une grande comédie musicale pour retrouver cette première expérience de spectateur d’enfance…Mais j’aurais du pain sur la planche ne serait-ce que pour avoir un niveau passable. 

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
J’hésite entre L’homme révolté de Camus et Martin Eden de London mais avec une fin plus joyeuse tout de même. Je ne viens pas du même milieu et n’ai évidemment pas eu la vie de Martin Eden/Jack London, mais cette quête de perfection inatteignable et la découverte de la littérature par amour me plaît bien.


Extinction d’après les textes de Thomas Bernhard, Arthur Schnitzler et Hugo von Hofmannsthal
Création le 2 juin au Printemps des comédiens
durée 5h avec entractes

Tournée 
23 et 24 mars 2024 aux Théâtres de la Ville de Luxembourg

Traduction de Francesca Spinazzi / Panthea (en cours)
Adaptation et mise en scène de Julien Gosselin assisté de Sarah Cohen et Max Pross 
Scénographie de Lisetta Buccellato
Dramaturgie d’Eddy d’Aranjo et Johanna Höhman
Avec Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Zarah Kofler, Rosa Lembeck, Victoria Quesnel, Marie Rosa Tietjen, Maxence Vandevelde et Max Von Mechow
Musiques de Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde
Lumières de Nicolas Joubert
Vidéos de Jérémie Bernaert et Pierre Martin Oriol
Son de Julien Feryn
Costumes de Caroline Tavernier
Cadre vidéo – Jérémie Bernaert, Baudouin Rencurel
Avec la participation de tous les départements de Si vous pouviez lécher mon cœur et de Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz 

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