Michel Kelemenis © Agnès Mellon
© Agnès Mellon

Michel Kelemenis, l’âme créatrice de KLAP Maison pour la danse à Marseille 

À l’occasion des premières représentations de sa nouvelle création, VERSUS, qu’il sous-titre « duo d’aimants à quatre corps », le directeur de la Maison pour la danse phocéenne revient sur son parcours et ses inspirations artistiques. Rencontre avec un homme de conviction. 

Michel Kelemenis : D’une initiative personnelle, liée à mon désir d’imaginer un lieu où il serait possible pour les artistes de créer, de partager… C’était il y a un peu plus d’une quinzaine d’années, quand les conditions me sont apparues réunies pour devenir le moteur d’un nouveau projet structurant pour la danse à Marseille. Nous avons, avec mon équipe d’alors, monté le dossier que j’ai présenté et, oh combien défendu, auprès des édiles de l’époque. La ville a accepté. C’est une chance inouïe pour un chorégraphe de pouvoir concevoir un outil en adéquation avec sa discipline et celles d’autres artistes. Le lieu, pensé pour être le plus fonctionnel possible et réduire les contraintes techniques, se veut au service de l’art qu’est la danse. Marseillais, j’ai voulu que KLAP soit un lieu partagé et ouvert sur la ville. Nous avons fait le choix d’investir le champ de l’éducation artistique en invitant les habitants du quartier à participation, en accompagnant les jeunes danseurs, danseuses et chorégraphes dans leur parcours professionnel et en soutenant la création par l’utilisation optimale des deux Studios et de la Salle de création. Liée à ma compagnie, la structure, que je dirige depuis son ouverture en 2011, ne cesse d’évoluer. Avec le recul, je pense que KLAP est un instrument d’amplification colossale du projet de création et de transmission que portait auparavant notre compagnie, et le bel équipement a aujourd’hui toute sa place au cœur de la cité phocéenne. 

Michel Kelemenis : Il y en a trois. La première est évidemment le soutien à la création. Une de nos missions est de faire exister la danse, la promouvoir dans le paysage culturel marseillais. Dans cet objectif, nous accueillons en résidence et en représentation 60 à 70 équipes artistiques annuellement. Oui, c’est colossal. Certaines y travaillent régulièrement, d’autres épisodiquement. L’important à mon sens est que la maison soit en permanence habitée par les artistes, que toutes et tous se partagent l’outil. En fonction de leur besoin, ils et elles utilisent l’un des trois espaces, suivant que leur temps est à la recherche, à l’écriture des corps, ou à peaufiner des aspects plus techniques comme le son et la lumière.
Le deuxième axe est lié à l’investissement territorial. Nous sommes situés au cœur d’un des arrondissements les plus pauvres de Marseille, économiquement parlant. Notre bâtiment est entouré d’associations d’aides alimentaire, médicale et sociale. Il est donc indispensable de travailler en lien avec nos voisins, de partager l’outil aussi de manière citoyenne : nous accueillons chaque année entre 2000 et 3000 enfants pour des stages de découverte, des ateliers ou pour apprécier des spectacles. Un moyen pour nous de familiariser nos petits et grands voisins avec la danse, et d’offrir, en quelque sorte, le meilleur de nous-mêmes. 
Pour finir, KLAP est aussi le lieu où est implanté ma compagnie. C’est là que je fabrique mes pièces, bien que nous ne nous y produisions que rarement. Il m’est indispensable que la compagnie existe auprès d’autres lieux marseillais, comme de laisser le champ libre des représentations à KLAP à de très nombreuses compagnies. En treize ans, je n’ai finalement dévoilé ici que deux de mes créations, dont la dernière VERSUS, que je destine notamment à des espaces petits ou des lieux non dédiés à l’accueil traditionnel de spectacles. Je voulais que VERSUS soit transportable et jouable dans n’importe quel endroit. Créée dans un studio et non pas sur la grande scène de KLAP, la pièce se définit comme un projet de territoire. 

Michel Kelemenis : Deux temps forts ponctuent la programmation annuelle. L’automne se dédie largement aux projets en cours de fabrication : intitulé QUESTION DE DANSE, ce moment offre aux artistes de présenter des étapes de chantier, d’échanger avec le public et de se nourrir de ses retours. Le second temps fort, + DE GENRES, a lieu au printemps autour de la question de la diversité des êtres et des choix de vie. Cette manifestation fête cette année ses sept ans et débute le 8 mars avec la Journée internationale des Droits des femmes. J’aime consacrer une partie de la programmation aux évolutions sociétales, où les corps convoquent différence, tolérance, désir, sexualité…

Michel Kelemenis : VERSUS questionne la forme du duo : comment aborder le duo par la notion plutôt que par le récit singulier de deux personnes en présence ? Ma compagnie existe depuis 35 ans, et j’ai évidemment créé de nombreuses « situations dansées à deux ». Il était donc pour moi important de chercher de nouveaux chemins d’écriture. L’idée s’est imposée d’inviter 4 artistes dans l’aventure, pour ouvrir à de nouvelles possibilités et dépasser cette évidence que, être deux en scène, c’est, en soi, déjà un duo. Je me suis donc extrait de ce schéma pour multiplier, avec deux danseuses et deux danseurs, leurs rencontres autant que possible. Je souhaitais permettre à chaque spectateur d’être au cœur de la pièce en y trouvant le reflet de son propre désir. Concrètement, l’écriture propose un duo en permanente évolution, où les interprètes se substituent sans cesse les uns aux autres. Dans les substitutions se joue à mes yeux l’universalisation de la rencontre. La forme en est dynamisée, et amplifiée par l’exiguïté de l’espace scénique autour duquel le public est assis au plus près.  

Michel Kelemenis : Il y a une grande force à se trouver au plus près du geste, à voir poindre la sueur des visages, à entendre les respirations ou encore partager le frémissement des présences. C’est une tout autre dimension de relation entre les interprètes et les spectateurs, quasi de l’ordre du toucher. Je souhaite ici créer une intimité inhabituelle entre artistes et public, et nous affranchir du quatrième mur qui impose sa distance. Avec VERSUS, les histoires à deux se ressentent, qu’elles soient amoureuses, belliqueuses, distantes ou fusionnelles, en étant percuté par les émotions, en étant témoins et peut-être même un peu voyeur. 

Michel Kelemenis : C’est surtout qu’il s’en crée sans cesse et beaucoup : les spectateurs viennent avec une somme de références. Il m’est apparu important de ne pas me laisser aller à du simple ou de l’évident. Cette exigence de créateur rend l’exercice passionnant mais aussi presque ardu. Il faut trouver de nouveaux souffles, de nouveaux territoires à explorer, ou du moins essayer de les réinventer. Pour m’expliquer : lorsque je me suis attaqué au conte de Barbe bleue en 2015, j’ai fait le choix d’inverser les genres et les valeurs, l’homme monstrueux devenant femme sublime. De cette manière, je m’affranchissais des idées reçues et des imaginaires collectifs, et libérais ma propre narration. En imaginant aujourd’hui un duo à partir d’un corpus de quatre interprètes, je m’autorise la même liberté. Par ailleurs, j’ai sous-titré le spectacle « duo d’aimants à quatre corps ». Ici s’évoque non seulement l’idée de relation amoureuse, mais aussi la force magnétique : une double entrée entre attraction et répulsion qui se retrouve au plateau. 

Michel Kelemenis : Il s’agit d’une création originale d’Angelos Liaros-Copola, jeune compositeur grec avec lequel nous collaborons pour la quatrième fois. Ancien bassiste d’un groupe de death métal, il développe un univers entre électro et musique underground berlinoise. Son habile entrelacement entre mystère et clarté me fascine ; il répond totalement à mon désir d’une atmosphère embrassante et envoûtante où baignent, dans une même eau, les spectateurs et les interprètes de VERSUS

Michel Kelemenis : L’essentiel pour moi reste le corps, dans son déploiement, dans son intelligence, dans le développement de ses combinaisons. La relation du geste au son est aussi primordiale. Cela peut paraître convenu, simple ou évident, mais c’est ainsi que je me reconnais. Mon geste, qui navigue depuis toujours entre abstraction et sensualité, connaît une évolution inhérente au temps qui passe, à l’expérience et aux collaborations. Lorsque l’interprète s’empare de l’écriture et la fait sienne, la danse s’irise et s’enrichit de teintes propres à chaque danseur ou danseuse… Comme une langue partagée, sensuellement colorée de mille accents. 


VERSUS de Michel Kelemenis
création janvier 2024 au Klap de Marseille

Festival + de Genre
du 8 au 27 mars 2024

Conception générale, chorégraphie, scénographie de Michel Kelemenis
Danse avec la participation des interprètes – Aurore Indaburu, Claire Indaburu, Anthony La Rosa, Max Gomard
Musique d’Angelos Liaros-Copola
Lumière d’Alexandre Martre
Costumes de Camille Penager assistée de Sandrine Collomb

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