Fantasio d'Alfred de Musset, mise en scène de Laurent Natrella © Lauren Pasche
© Lauren Pasche

Fantasio, la balade en terre burlesque de Laurent Natrella

Au théâtre de Carouge, après un passage au TKM en septembre dernier, le comédien et metteur en scène porte au plateau la comédie de Musset avec la jeune garde tout feu tout flamme du théâtre romand.

Ils étaient faits pour se rencontrer. Lui, qui joue Scapin dans la mise en scène survoltée d’Omar Porras, eux, à peine sortis de grandes écoles d’art dramatique de Suisse romande, traînent leurs guêtres dans les théâtres suisses en quête de sensations, de découvertes théâtrales. Entre Laurent Natrella et ces artistes en herbe, c’est le coup de foudre. En bonne fée ayant le goût de la transmission, le directeur du TKM, imagine de les réunir sur un même projet, histoire que cette lune de miel artistique perdure et se transforme en belle aventure. Il propose à l’ancien sociétaire de la Comédie-Française de mettre en scène cette jeunesse fougueuse et bouillonnante aussi que de le permettre de se confronter aux grands textes du répertoire . 

Assez vite, le choix se porte sur Fantasio de Musset. Pittoresque à souhait, un brin fantastique et follement tourbillonnante, cette pièce est idéale. Elle évoque les tourments d’une jeunesse désœuvrée dans un monde vieillissant. Comment ne pas voir le parallèle entre les deux époques, celle décrite dans cette comédie en deux actes écrite en 1833 et celle que nous vivons aujourd’hui où de toute part les conflits menacent. 

S’emparant des codes du temps présent, soif de vivre, binge drinking et excès en tout genre, la jeunesse dorée très « punk » de la bourgeoisie bavaroise de ce XIXe siècle à réenchanter s’apprête à célébrer dignement les noces de leur chère princesse avec le prince de Mantoue. Il faut dire qu’à la clé, se profile une paix durable entre les deux pays. Sans lésiner, bouteilles de champ’ à la main, ils hurlent à tue-tête, promettent quelques grabuges, s’encouragent brillamment à « prendre la taille aux filles, tirer les bourgeois par la queue et casser les lanternes. »

Seul Fantasio, (excellent Hugo Braillard) pourtant jamais le dernier à faire la fête, semble en retrait, désabusé de toutes ces mascarades, ces superficialités. Ruiné, devant des sommes faramineuses à ces créanciers, il traîne en lui une forme de mélancolie. Son échappatoire viendra de la mort du fou du roi, le brave Saint-Jean. Se grimant en bouffon, il entre dans le saint des saints, approche le seigneur de Bavière (candide Zacharie Heusler) et sa charmante fille Elsbeth (espiègle Loubna Raigneau). Ému par sa détresse, ses larmes à la veille d’épouser un être qu’elle n’aime pas et méprise, il va d’un fait d’éclat, ridiculiser le futur prétendant et entraîner la rupture des fiançailles. 

En s’emparant de l’œuvre de Musset, Laurent Natrella se met tout au service de cette jeune troupe fougueuse et impétueuse. Tout en respectant le texte, il le mâtine de tonalités pop rock, le saupoudre de rap et lui donne des accents queer. Ainsi Fantasio, cheveux peroxydés, vêtu d’un manteau de fourrure rouge et portant une multitude de colliers en or à rendre envieux le chanteur d’IAM, a tout d’Un Enfant du siècle, passé, présent et futur. Habillée de sa robe virginale ou d’une parure cousue de fil d’or, La princesse aux faux airs enfantins frappent l’air de ses petits poings et se révèle mutine. Le prince de Mantoue (baroque Pierre Boulben) tout enveloppé de son splendide manteau aux milles fleurs semble s’être évadé de quelques défilés de mode et surjoue hardiment arrogance et extravagance. 

Ciselant des caractères tranchés, forçant les traits comiques des personnages quitte à basculer dans le « too much », le metteur en scène ancre ce Fantasio dans une sorte de toquade burlesque, de folie furieuse que rien ne semble arrêter. Si l’ombre de Porras plane sur cette fantaisie acidulée, les jeunes comédiennes et comédiens ont su habilement tourner à leur avantage les excès de cette équipée bavaroise et romanesque. Jouant avec les clés d’un romantisme d’un autre temps, il donne à l’œuvre de Musset une dimension terriblement actuelle. Sociétés occidentales en repli sur elles-mêmes, Guerres aux portes de l’Europe, excentricités d’une jeunesse en perte de repères, tout ce que nous vivons aujourd’hui est latent dans les mots du poète. Laurent Natrella n’a eu qu’à les exacerber pour coller à l’air du temps. Détonnant ! 


Fantasio d’Alfred de Musset
Création le 26 septembre 2023 au Théâtre Kléber-Méleau à Renens
Théâtre de Carouge

Rue Ancienne 37
1227 Carouge (Suisse)
jusqu’au 11 février 2024
Durée 2h environ

Mise en scène de Laurent Natrella assisté de Marie-Evane Schallenberger
Avec Ismaël Attia (Spark, Flamel), Pierre Boulben (Le prince de Mantoue, jeunes gens), Hugo Braillard (Fantasio), Clément Etter (Marinoni, l’Officier), Françoise Gautier (l’Esprit du Conte, Rutten, Facio, un page), Linna Hassan Ibrahim (la gouvernante, jeunes gens), Zacharie Heusler (Hartmann, Le Roi de Bavière), Loubna Raigneau (la princesse, jeunes gens)
Scénographie de Fredy Porras
Musique de Christophe Fossemalle
Lumières d’Elsa Revol assistée de Théo Serez
Son de Ben Tixhon
Régie plateau – Luis Henkes
Costumes de Bruno Fatalot assisté de Julie Raonison
Perruques et maquillages – Véronique Soulier-Nguyen assistée de Léa Arraez
Accessoires – Yvan Schlatter

La Genèse du projet racontée par Laurent Natrella © TKM

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