Avec Un homme qui dort, Georges Perec signe une œuvre bien singulière. Tel un long poème, il raconte l’histoire d’un jeune étudiant, petit cousin d’Oblomov et de Bartleby, qui a décidé un matin de ne plus se lever, de « se laisser envahir par la torpeur et faire l’expérience de l’indifférence absolue ».
Après Une vie de Maupassant, la Cie des Âmes libres, animée par Véronique Boutonnet et Richard Arselin, s’attaque brillamment à ce long monologue de l’oulipien Perec. Mis en scène avec une grande poésie par Stéphane Daurat, ils nous font entendre tout le sens de ce véritable « objet hypnotique ». Dans cet écrin qu’est la petite salle de l’Essaïon, nous avons vraiment la sensation d’être sous la mansarde de l’étudiant. Et nous nous laissons porter par la langue magnifique de ce texte.
Dans le livre, un narrateur parle à l’étudiant. On ne sait qui il est. Certainement l’auteur qui s’adresse au jeune homme qu’il a été. Véronique Boutonnet incarne cette voix. Ce féminin représente la conscience, celle qui soliloque et se souvient. Un mot que Perec aime tant explorer ! Son jeu impressionne. Dans ce qui se rapproche d’une litanie, la comédienne appose à chaque phrase, à chaque idée une nuance presque musicale. Richard Arselin est l’étudiant. Il n’a plus l’âge et c’est en cela que réside une des puissantes images de ce spectacle remarquable. En s’extrayant de l’extérieur, en se renfermant sur soi, la jeunesse s’efface. Son mutisme est parlant. Ses gestes et ses mouvements, chorégraphiés au millimètre, répondent au texte, à cette voix intérieure qui, après l’avoir entraîné aux portes de la folie, lui ouvre celle « de l’espoir et de la vie ». Et c’est beau.
Marie-Céline Nivière
Un homme qui dort de Georges Perec.
L’Essaïon
6 rue Pierre au Lard
75004 Paris.
Jusqu’au 29 février 2024.
Les jeudis à 19h.
Durée 1h10.
Spectacle imaginé et joué par Richard Arselin et Véronique Boutonnet.
Mise en scène de Stéphane Daurat.
Scénographie de Richard Arselin.
Création lumières de Mathias Bauret.
