Nicolas Le Bricquir - Denali © DR

Nicolas Le Bricquir, un jeune homme à l’avenir prometteur

Auteur, comédien et metteur en scène, Nicolas Le Bricquir s’est emparé d’un fait divers survenu aux États-Unis, dans une petite ville d’Alaska. Son spectacle, Denali est conçu comme une série, avec ses codes et ses épisodes. Le résultat est des plus surprenants. Après son grand succès au théâtre de l’Oulle durant le dernier Festival Off d’Avignon, le spectacle arrive au Studio Marigny.

Nicolas Le Bricquir : Oui, ça c’est sûr. Je suis sorti de l’ESCA, l’école supérieure d’Asnières, en 2020, donc il y a 3 ans. On nous a appelés la promo Covid ! Notre fin d’école a été un peu inexistante, car nous étions tous chez nous.

Nicolas Le Bricquir - Denali © Louise Guillaume
Denali © Louise Guillaume

Nicolas Le Bricquir : Je me posais un peu la question de comment faire du théâtre, alors que l’on ne pouvait plus entrer dans une salle de spectacle. J’ai repris le concept de Gwenaël Morin, avec qui j’ai beaucoup travaillé, et j’ai monté des Racine en extérieur, avec des amis de l’école. On a fait cela pendant un mois, dans les parcs, les arènes de Belleville, sur le parvis de l’église de Ménilmontant… Chaque jour on jouait une pièce différente, Britannicus et Andromaque en alternance. Ce qui est paradoxal et marrant c’est que je m’interroge sur l’intérêt de monter des vieux textes. Pourquoi ne pas écrire ses propres pièces ? C’est quoi le théâtre aujourd’hui ? Et bizarrement, c’est en montant du Racine que j’ai vendu mon premier spectacle.

Nicolas Le Bricquir : En réalité, j’avais commencé un peu avant. Déjà avant l’épisode du Covid, j’avais en tête cette question : qu’est-ce qui fait que des gens peuvent passer une semaine entière, sans faire rien d’autre que regarder une série ? Alors que quand une pièce dure plus de deux heures, ils trouvent cela compliqué, ils rechignent. Comment faire pour qu’au théâtre il y ait le même dynamisme, la même force d’attraction que peut avoir un écran ? J’adore le travail de Joël Pommerat, de Wajdi Mouawad. Ils amènent quelque chose de très cinématographique dans la forme, qui rend le discours très audible.

Denali - Nicolas Le Bricquir © Louise Guillaume
Denali © Louise Guillaume

Nicolas Le Bricquir : Bien sûr, mais après ! À la base, j’ai eu une formation scientifique au lycée. Je n’aimais pas du tout les cours de français, je préférais les maths. Même si je faisais du théâtre à côté au conservatoire. Je ne lisais jamais les pièces, juste ma scène. Après le bac S, je suis entré dans une fac de théâtre. C’est un peu là que j’ai découvert tout le théâtre. J’ai eu une passion très forte, pendant un moment, pour tout ce théâtre très élitiste, très intellectuel. J’éprouvais un malin plaisir à résoudre les énigmes, à trouver les références qui se cachaient dedans.
Pendant deux, trois ans, cela m’a passionné. Après, j’en suis beaucoup revenu. Aujourd’hui, je suis un peu en opposition à ça. Car en fait, à qui ça s’adresse ce théâtre très référencé ? À part à des gens, comme je l’étais, très universitaires ? J’avais les connaissances nécessaires, du coup c’était très plaisant à regarder. Mais pas pour mes potes qui viennent de Béziers et qui ont une idée du théâtre comme quelque chose d’inaccessible. Ils ont raison. Quand je vais à l’Odéon et que je vais voir Krystian Lupa, en polonais surtitré pendant 5h, je ne peux pas dire à mes potes, allez-y, c’est très facile ! Maintenant, je me demande comment on fait pour redonner une envie. Ils sont nombreux, comme Alexis Michalik, Mélody Mourey, à faire que le théâtre soit un peu plus « sexy » !

Nicolas Le Bricquir : Je pense souvent à des idées de mise en scène avant tout ! Je sais ce que je veux insuffler, quelles thématiques sociétales. Là, j’avais envie d’aborder le sujet du libre arbitre. Mais pour y arriver il me faut un cadre pour rendre le tout digeste. Donc, je pense d’abord à la forme. Je regardais énormément True Detective, Fargo, Mindhunter, ces séries-là qui portent sur des tueurs en série, qui suivent leur psychologie et qui sont très addictives. Je rêvais de faire ça au théâtre, de faire un spectacle avec tous ces codes des séries policières des années 2010.
J’avais une idée de dispositif avec une scène d’interrogatoire, avec des allers-retours dans le temps. En juin 2019, je suis tombé sur un article dans Le Parisien sur Denali. J’ai trouvé que l’histoire racontait totalement notre époque, avec ce désir de devenir une star coûte que coûte. Devenir connu est le but de notre jeunesse. Ma génération est dedans mais je pense que cela sera encore plus le cas avec celles qui viennent. À part d’être connu, c’est quoi l’intérêt de la vie ? Cette histoire racontait beaucoup ça.

Racine en plein air - Nicolas Le Bricquir © DR
Racine en plein air © DR

Nicolas Le Bricquir : Leur enjeu est de devenir célèbre pour être célèbre. Il n’y a pas autre chose. Ils ne le veulent pas parce qu’ils sont musiciens, acteurs, artistes… C’est juste être connu, pour enfin être quelqu’un. Pour moi, c’est une recherche d’identité, car c’est ça qui nous fait exister, c’est le regard des autres qui nous crée. C’est comme ça que j’ai interprété l’histoire de Denali. C’est ça que j’ai voulu raconter avec cette forme-là en la mettant au centre d’une série télé. En fait, elle devient elle-même conceptrice d’une série dont elle est l’héroïne. Aujourd’hui on va jouer à Marigny avec son nom à elle, parce que la vraie Denali a fait ce qu’elle a fait. Quelque part, il y a tout un méta discours où elle a réussi à accéder à son désir de célébrité : aujourd’hui, de l’autre côté de l’Atlantique, je monte une pièce et je fais un spectacle sur elle.

Nicolas Le Bricquir : Oui. C’est toujours en procès. Je n’ai pas regardé depuis six mois, il faudrait que j’aille voir où ça en est. C’est très dur à juger parce qu’ils ont une montagne de données à regarder, des échanges de textos, de vidéos… Donc, ils mettent beaucoup de temps à analyser toutes les informations.

Donc vous lisez l’article sur ces jeunes qui ont tué une copine, ont inventé toute une histoire pour ne pas être arrêté et qui se sont pris les pieds dans le tapis… Vous partez d’un fait divers pour en faire une fiction…

Nicolas Le Bricquir : Mon axe était le libre arbitre, un sujet qui me passionne beaucoup. Est-ce que l’on est responsable de ce que l’on fait fondamentalement ? C’est par ce prisme que je traite le fait divers. Le premier épisode est centré sur l’enquête. Ça, c’était facile à écrire parce que j’avais les éléments factuels qui me permettaient de raconter une histoire. Je savais ce qu’ils avaient fait dans la soirée. Je savais ce que les jeunes voulaient cacher. Mais dès que j’ai voulu entrer dans leur intimité, ça a été plus dur. Je n’étais plus protégé par la vérité des faits. Je me suis identifié à eux. J’ai essayé de comprendre tout ça. Je suis très touché par Denali et ses complices. Dans tout ce que je trouvais sur l’histoire, toute l’empathie allait pour Cynthia, la victime, et ils traitaient les autres de monstres. Ils ont balayé Denali. À dix-huit ans, sa vie est terminée alors qu’elle a déjà eu une enfance terrible. Oui, elle a fait quelque chose de terrible, mais c’est plus complexe. On les met dans une prison et on ferme les yeux sur ce qui s’est passé. Or si on ne tente pas de comprendre, il faut se dire qu’il y en aura d’autres. Il faut vraiment se poser la question. Pourquoi ces jeunes-là font ça ? Comment peut-on, à dix-sept ans, aller voir des potes aux lycées et leur proposer neuf millions de dollars pour tuer quelqu’un ? Comment peut-on aller au bout de ça ? Je pense que c’est sociétal et qu’il faut s’y confronter.

Nicolas Le Bricquir - Racine en plein air © DR
Racine en plein air © DR

Nicolas Le Bricquir : J’écris avec la mise en scène dans la tête. Je sais exactement où je vais. Après on a chorégraphié tout ce qui se passe derrière, parce que je ne veux pas que l’on voie les artifices. Aujourd’hui au théâtre, il y a toute une vague où l’on se fiche de montrer les ficelles. On montre que l’on est au théâtre, avec les changements des décors, accessoires et costumes à vue… J’aimerais tout gommer et revenir un peu dans le théâtre à l’italienne avec ses subterfuges, ses illusions, de faire plonger le spectateur de manière immersive dans le spectacle. La moitié du travail était en fait de cacher. On ne voit pas, ce sont les comédiennes et les comédiens qui s’activent derrière à trimballer des tables et des chaises, à changer de costume très rapidement.

Nicolas Le Bricquir : Oui celui du public. J’avais envoyé le dossier au Théâtre 13 sans en parler à l’équipe. Je passe le premier tour. Du coup, je dois avancer, car je n’avais alors que le premier épisode. Quand on a passé les deux autres tours, je me suis dit qu’il allait falloir écrire le deuxième et le troisième épisode. C’est comme ça que j’ai pu avancer. Après, il y a eu un an d’errance pour trouver des partenaires pour accompagner le projet.

Denali © Louise Guillaume
Denali © Louise Guillaume

Nicolas Le Bricquir : On a été complet à partir de la troisième représentation et en suite on l’a été jusqu’au bout. C’était mon premier Avignon. Je ne savais pas trop comment cela marchait. Il y a quelque chose de miraculeux. On se demande comment on va faire pour avoir 200 personnes par jour et puis tout à coup les gens sont là. L’équipe a tracté comme des malades. J’ai une grande chance de les avoir. Cela fait trois ans qu’ils travaillent bénévolement, qu’ils sont à fond dans l’aventure. Parce qu’ils y croyaient et qu’ils avaient très envie que cela marche. On a arrêté de tracter après la première semaine et la salle continuait de se remplir. Le bouche-à-oreille a fonctionné.

Nicolas Le Bricquir : En sortant d’Avignon, on a eu des sollicitations de plusieurs productions. Ce qui est fou, c’est qu’il y a un an, on en était à payer la salle du théâtre Trévise pour pouvoir faire deux représentations, pour montrer notre travail aux professionnels. Il n’y en a qu’un qui est venu et qui ne nous a pas suivis. On était à une période où j’aurais tout accepté ! Et après Avignon, on se retrouve à avoir plein de choix et des angoisses inverses. À savoir quel choix sera le bon !
Stéphanie Bataille est arrivée avec la proposition de venir jouer au Studio Marigny, une salle de 300 places, sur les Champs-Élysées. On l’a choisie parce que c’était la proposition qui nous excitait le plus. Il y avait à nouveau quelque chose d’être dans l’urgence, d’être à nouveau un peu outsider. Quand Stéphanie Bataille nous a dit, voilà vous démarrez dans trois semaines vous jouez, après l’excitation, je ne vous cache pas que là, l’échéance arrivant, j’ai un peu le trouillomètre à zéro ! Mais, on est tellement content…

Pour lire la critique du spectacle Denali, cliquez ici.


Denali, texte et mise en scène de Nicolas Le Bricquir
Studio Marigny
Carré Marigny
75008 Paris.
Du 17 novembre au 31 décembre.

Durée 1h30.

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