© Nicolas Eychenne

Mélissa Zehner touche juste et fort avec La Nuit se lève

Dans le cadre de SUPERNOVA #8, Mélissa Zehner présente sa création "La Nuit se lève" au ThéâtredelaCité avec le Théâtre Sorano à Toulouse.

Dans le cadre de SUPERNOVA #8, le ThéâtredelaCité et le Théâtre Sorano à Toulouse accompagnent la création La Nuit se lève de Mélissa Zehner. La jeune metteuse en scène et sa compagnie Les Palpitantes y proposent un spectacle nécessaire et minutieux sur une thématique pourtant audacieuse, l’inceste.

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Il y a celles et ceux qui parlent de l’inceste comme d’un mythe, quelque chose venu tout droit du fin fond des récits grecs et qui n’existerait que par le biais de l’imaginaire. Il y a celles et ceux qui, ne le voyant pas de leurs yeux ou refusant de s’y confronter, n’oseraient même pas en prononcer le nom. Et il y a Mélissa Zehner qui, soutenue par les comédiennes de la compagnie Les Palpitantes, aborde non seulement le sujet avec beaucoup de sensibilité et de pertinence, mais offre également une pièce à l’écriture précise, dans une mise en scène délicate qui traite en profondeur de la problématique dont elle s’empare.

Dans La Nuit se lève, il n’est pas question de montrer quoi que ce soit, de faire de l’inceste un prétexte au spectacle derrière lequel se dissimulerait le fond même du problème. Ici on n’exhibe rien, ici le pire est déjà arrivé, ici on tente de comprendre, de lutter, de se battre, de se reconstruire. Au travers de son texte comme dans sa mise en scène, Mélissa Zehner ne suggère pas, elle n’impose pas non plus, elle déroule avec équilibre et finesse les récits de ces femmes aux destins liés par une enfance anéantie. Elle est pertinente aussi, la manière dont cette création nous autorise à rire, à nous émouvoir, à célébrer ou à nous insurger, au fil d’une construction qui n’interdit rien si ce n’est le déni, ou pire, l’indifférence. Aucun risque en tout cas que le public tombe dans l’une ou l’autre de ces situations : il s’immisce malgré lui dans une histoire qui a déjà commencé et dont, à l’image de ces femmes, il ne sortira pas aisément.

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Tout ce que développe La Nuit se lève se joue d’ailleurs dans cette inextinguible douleur. En dépit de tous les efforts consentis, de toutes les substitutions auxquelles on aimerait croire, il y a derrière ces sempiternelles réminiscences tout un système en place qui ne permet pas de soigner ou d’accompagner les victimes. Dans ce système, des hommes débattent de la profondeur de la pénétration dans le cadre d’un viol, oubliant que l’agression n’a pas attendu ce geste pour exister, ignorant qu’une vie n’a pas attendu pour être brisée. Dans ce système, des hommes abusent du pouvoir qu’ils se sont eux-mêmes octroyé. Dans ce système, on chante l’inceste comme un tube de variété. Dans ce système, la parole d’un enfant contre celle de son agresseur n’a pas valeur de vérité. Et bien que ces faits nous soient ici adressés comme un cri viscéral, il ne fait pas de cette pièce un manifeste virulent et tendance à l’encontre du patriarcat. Évitant précisément ce piège, Mélissa Zehner en fait le constat nécessaire, radical, sans en oublier l’essentiel de son récit.

Ce jeu d’équilibriste est par ailleurs rendu presque évident à travers la distribution complémentaire qui y prend part. Autour de la metteuse en scène, Laure Balida, Sara Charrier, Vinora Epp et Maud Gripon viennent chacune avec leurs énergies propres, lesquelles se répondent et contribuent à un jeu de troupe naturellement homogène. Par elles, par leur douceur, par leur délicatesse, par leurs colères, par leurs espoirs, se matérialise ce qui fut trop longtemps invisibilisé, dédramatisé, ignoré. Par elles, qui témoignent au nom de celles et ceux qui ne peuvent pas le faire, qui ne l’ont pas pu, passe aussi le message qu’enfin, peut-être, on ne taira plus l’indicible, on ne doutera plus de l’impossible, on ne fermera plus les yeux devant l’invisible. La Nuit se lève est un spectacle puissant, doux, sensible, une grande réussite !


La Nuit se lève de Mélissa Zehner
SUPERNOVA #8 – Festival jeune création
Au ThéâtredelaCité avec le Théâtre Sorano
Durée 1h45

Du 31 janvier au 2 février 2024 à la MC2 – Grenoble
Le 9 mars 2024 au Théâtre des 13 Vents – Montpellier
Le 27 avril 2024 au Théâtre Molière – Sète
Le 30 avril 2024 au Théâtre Le Périscope – Nîmes

Texte : Mélissa Zehner
Mise en scène : Mélissa Zehner et Les Palpitantes
Avec : Laure Barida, Sara Charrier, Vinora Epp, Maud Gripon et Mélissa Zehner
Dramaturgie et œil extérieur : Clara Bonnet
Soutien dramaturgique et mise en scène : Maud Gripon et Sara Charrier
Collaboration artistique : Laure Barida, Vinora Epp et Malou Rivoallan
Soutien à la direction d’actrices et œil complice : Christelle Simonin
Composition musicale : Malou Rivoallan
Scénographie : Loana Meunier
Costumes : Malaury Flamand
Création lumière et régie générale : Lou Morel
Son et musiques additionnelles : Joan Cambon
Régisseur son : Lucas Lartaud
Coach rap : Pierre Laloge
Stagiaire à la mise en scène : Eva Kirsch
Stagiaire à la scénographie : Valentine Aubin

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