Le repas des fauves - Julien Sibre © Fabienne Rappeneau
© Fabienne Rappeneau

Le repas des fauves se dévore à nouveau

"Le repas des fauves", pièce Molièrisée de Julien Sibre, revient sur le devant de la scène au Théâtre Hébertot.

Déroulons les souvenirs. Julien Sibre, dont on suit la carrière depuis ses débuts, est tombé un soir sur Le repas des fauves, un film de Christian-Jaque, avec Claude Rich, Francis Blanche, Dominique Paturel… Le tout jeune homme, qu’il est alors, y voit tout de suite matière à faire théâtre. Normal, le scénario s’appuie sur une pièce, écrite en 1960 par le dramaturge Vahé Katcha. Julien Sibre s’attelle à adapter l’œuvre qui en avait bien besoin. S’ensuivra un long parcours pour que le spectacle voie le jour. Il n’est pas connu, les comédiennes et comédiens de sa distribution n’ont plus et le sujet fait peur ! Finalement, Didier Caron, qui vient alors, avec ses associés, de prendre la direction du théâtre Michel, ose le pari. Il a eu du flair !

Le spectacle aux 3 Molières
Le repas des fauves - Julien Sibre © Fabienne Rappeneau
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Continuons à dérouler l’historique. Le succès est vite au rendez-vous. Comme nous l’avions souligné à l’époque, ce spectacle était un sans-faute. C’est ainsi, qu’à la surprise d’une partie de la profession et à la joie de l’autre, la pièce rafla aux Molières 2011, trois précieuses statuettes, celles de la meilleure adaptation, de la meilleure mise en scène et du meilleur spectacle du théâtre privé. Du Michel, en passant par une belle tournée, et jusqu’à sa dernière en mai 2013 au Palais-Royal, le spectacle se joue à guichet fermé. Dix ans après, Francis Lombrail, directeur du théâtre Hébertot, demande alors à Julien Sibre d’en faire une re-création. Chose faite et bien faite ! Car la pièce, par son sujet comme par sa forme, n’a pas pris une ride.

Un choix cornélien

L’action se passe en 1942, dans un salon bourgeois. Malgré la guerre et les privations, la soirée s’annonce festive. C’est l’anniversaire de Sophie. Son époux a réuni pour l’occasion le cercle des amis intimes. Ni vraiment collabos (sauf un), ni très résistants (sauf un), ces gens sont « d’excellents Français » qui attendent, en se débrouillant, que la guerre passe ! Mais voilà, ce soir elle les rattrape, dévoilant toute son absurdité et sa barbarie… I

Il y a eu un attentat contre deux officiers allemands en bas de chez eux. La Gestapo fait payer cet acte terroriste en décidant de choisir dans l’immeuble 20 otages, deux par appartement. Lorsque le chef S.S. arrive au dernier étage, il tombe sur la petite fête et reconnaît dans le maître de maison, le libraire chez qui il vient souvent acheter des œuvres rares. Magnanime, il va leur laisser jusqu’au dessert pour qu’ils choisissent ceux qui vont mourir. Et là, plus question de chanter, la ritournelle d’Henri Carat : Avoir un bon copain, voilà c’qui y’a de meilleur au monde ! La peur de la mort va faire exploser l’amitié si forte, si belle qui les unissait ! Et on ne vous dira surtout pas comment cela se termine, car le suspense est tout le nerf de cette pièce.

Un bel ouvrage
Le repas des fauves - Julien Sibre © Fabienne Rappeneau
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La recréation ne réside pas dans la mise en scène. Le décor, les costumes et les lumières, œuvres de Camille Duchemin, Mélisande de Serres, Jean-François Domingues, contribuent à garder ce cachet sépia qui sied à l’atmosphère de l’époque. On retrouve, ce qui avait fait l’originalité de sa mise en scène, l’utilisation de ce dessin animé, remarquable ouvrage de Cyril Drouin, pour raconter ce qu’il se passe dehors.

Julien Sibre a profité de la patine du temps pour peaufiner ces personnages, qui, du coup, ont pris de l’épaisseur. Chacun des convives de la fête représente un kaléidoscope sociétal. Il y a André le magnifique, pour qui l’argent n’a pas d’odeur et de couleur. Ce renard rusé est interprété par Thierry Frémont. Dans le rôle du bon petit-bourgeois, qui vend des livres anciens, on retrouve Olivier Bouana. Il fait bon ménage avec Stéphanie Caillol qui incarne sa tendre femme Sophie. Jochen Hägele est le redoutable officier S.S. Les autres personnages sont interprétés en alternance. Le soir de notre venue Jérémy Prevost était Pierre, l’aveugle vétéran de la Grande Guerre ; Barbara Tissier, la trop gentille Françoise ; Sébastien Desjours, le petit médecin peureux, Benjamin Egner, le professeur homosexuel. Ils partagent leur rôle avec Alexis Victor, Stéphanie Hédin, Cyril Aubin et Julien Sibre.

Jouant sur les lâchetés, les élans de tendresse, de colère, de panique, sans jamais tomber dans la caricature, ils sont tous, sans exception, parfaits. On sort du spectacle toujours autant bouleversé et ravi.

Marie-Céline Nivière

Le repas des fauves, d’après l’œuvre de Vahé Katcha
Théâtre Hébertot
78 bis bd des Batignolles
75017 Paris.
Jusqu’au
29 févier 2024.
Du mercredi au samedi à 21h, matinée samedi à 16h et dimanche 15h.
Durée 1h45.

Adaptation et mise en scène de Julien Sibre.Avec Thierry Frémont, Cyril Aubin, Olivier Bouana, Stéphanie Caillol, Sébastien Desjours, Benjamin Egner, Jochen Hägele, Stéphanie Hédin, Jérémy Prevost, Julien Sibre, Barbara Tissier, Alexis Victor.
Création lumières de Jean François Domingues.
Scénographie de Camille Duchemin.
Réalisation graphique de Cyril Drouin.
Costumes de Mélisande de Serres.
Musique originale de Jérôme Hédin.

© Théâtre Hébertot
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1 Comment

  1. Bonjour

    Juste une petite mise au point concernant la création du REPAS DES FAUVES.
    Julien Sibre a créé ce spectacle en OCTOBRE 2009 au Théâtre André Malraux ( énorme succès) de RUEIL-MALMAISON en ouverture du Festival « Rueil en Scènes ». Didier Caron, qui l’a repris un an plus tard, le sait d’ailleurs très bien.
    Merci pour vos critiques que je lis avec attention.
    Cordialement.

    Jean-Claude Derry
    ex Directeur du T.A.M. de Rueil-Malmaison

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