
L’affaire Romand, du nom d’un homme qui, toute sa vie, a joué la comédie et fini par tuer sa famille pour ne pas faire face à la réalité, a donné à Mitch Hooper le désir de « l’éclairer à sa manière ». En ressort cette pièce passionnante au titre signifiant : Le poids du mensonge. Dans un univers qui oscille entre celui de Pinter (dont il fut l’assistant) et de Chabrol, l’auteur et metteur en scène se révèle presque aussi machiavélique qu’Hitchcock.
Jean a tout réussi dans la vie. Par son métier de publicitaire, il connaît la terre entière, jongle avec les idées et l’argent. Il a une belle maison. Sa femme Carole, parfaite mais dépressive, préfère vivre recluse dans son jardin et ne s’intéresse pas à ce qu’il fait lorsqu’il n’est pas à la maison. Ce qui arrange bien Jean. Mais un jour, quelque chose se fissure dans la machinerie que Jean a mise en place durant des années. La supercherie de son existence devient évidente. Il va lui falloir agir et le drame va surgir.
La pièce se décline en trois parties. Chacune porte en elle assez de rebondissements pour que nous n’en disions pas plus. Qui est le plus pris dans ses mensonges ? Le mythomane où les autres ? L’un a rêvé sa vie, les autres ont fait des arrangements avec. Qu’est-ce que la normalité ? Cette pièce est également une photographie de couple, et elle est effroyablement nette. Ce qu’on retiendra, en plus de la qualité de l’écriture et de la mise en scène, c’est la qualité de l’interprétation. S’emparant de leur personnage, extrêmement bien dessiné par l’auteur, Julien Muller, Anne Coutureau, Anatole de Bodinat et Sophie Vonlanthen font vibrer de tout leur talent ces êtres complexes, tout aussi attachants qu’exaspérants. C’est admirable.
Marie-Céline Nivière
Le poids du mensonge, texte et mise en scène Mitch Hooper.
La Manufacture des Abbesses
7 rue Veyron
75018 Paris.
Du 24 août au 15 octobre 2023.
Du jeudi au samedi à 21h, dimanche à 17h.
Durée 1h40.
Avec Anne Coutureau, Anatole de Bodinat, Julien Muller, Sophie Vonlanthen.
Scénographie de Delphine Brouard.
Lumières de Patrice Le Cadre.
Conception sonore de Jean-Noël Yven.
Costumes de Philippe Varache.
[…] « Carole était amoureuse de Marc dans sa jeunesse, mais elle a épousé Jean. Parce que Jean le lui a demandé, tandis que Marc était indifférent – en apparence. La vie s’est écoulée, puis tout le monde se retrouve des années plus tard, au bout, en réalité, d’un fleuve de « menteries », comme on disait au temps de Molière. Le poids du mensonge, à la Manufacture des Abbesses, nous montre comment l’on rate sa vie. Professionnellement, en n’atteignant jamais ses idéaux (écrire des livres ou des poèmes magnifiques). Mais surtout sa vie personnelle, sentimentale, en ne vivant pas avec la personne que l’on aime et en n’aimant pas la personne avec laquelle on vit. Tout le monde ment dans cette pièce, mais surtout chacun se ment à lui-même, en refusant de voir le désastre de sa vie. La parole est un rideau de fumée pour masquer ces décors en carton pâte qui servent d’existence. Le plus gros menteur est Jean, qui se fait passer depuis des années pour un riche et influent publicitaire. Oui, Le poids du mensonge est directement inspiré par l’histoire de Jean-Claude Romand, ce faux médecin prétendument expert à l’OMS, qui préféra tuer toute sa famille plutôt que d’avouer sa mystification, une fois acculé par les dettes. Jean est un trou noir qui absorbe tout dans son mensonge sans fin et sans fond. Mais les trois autres personnages de la pièce ont menti eux aussi, depuis toujours, à leur petite échelle, dans leur intimité et même dans leur for intérieur. Avec cette pièce subtile et sombre, Mitch Hooper, auteur et metteur en scène, invente le « vaudeville noir », où les tromperies de couple dissimulent une tragédie. Après les coups de feu fatidiques, elle se noue sous nos yeux tandis que nous descendons avec les quatre personnages, vers le drame final, la pente de la nuit qui précède le crime. Mitch Hooper a construit une pièce où tout est dans les non-dits, les silences, les arrière-pensées, les regards en bas ou de travers… C’est remarquable de subtilité et de cruauté douce. L’auteur est servi par un quatuor de comédiens à la finesse ciselée comme du cristal. Ils sont tous juste dans la fausseté, ils transpirent l’insincérité de leurs personnages sans aucun couac. Un bonus pour Anne Coutureau, Carole friable, dont la vie se résume à la somme de ses douleurs et de ses regrets, et qui s’effondre, lucide, sur elle-même. Elle a deviné que Jean va devoir tuer tout le monde, puisque la vie est un suicide collectif… Mais il est trop tard pour arrêter la machine infernale du mensonge. C’est magnifique et terrifiant. Allez-y. » https://www.loeildolivier.fr/2023/09/le-poids-du-mensonge-lexcellent-thriller-psychologique-de-mitch… […]