Tachkent - Rémi De Vos © Paul Bourdrel

Le joyeux faux règlement de compte de Rémi De Vos

Au Studio Marigny, avec "Tachkent" mis en scène par Dan Jemmett, Rémi De Vos, rend un bel hommage à l'art dramatique.

Tachkent - Rémi De Vos © Paul Bourdrel

Sous l’impulsion du comédien Hervé Pierre, Dan Jemmett met en scène au Studio Marigny, Tachkent de Rémi De Vos. Un texte brillant dans lequel un auteur règle ses comptes aux metteurs en scène. Cette pièce, au ton réjouissant du théâtre de l’absurde, nous plonge au cœur des relations humaines, celles qui sont au cœur de l’art dramatique.

© Paul Bourdrel

Rémi De Vos est un dramaturge habitué des salles du théâtre subventionné. Avec sa nouvelle pièce, Tachkent, il entre dans le sérail du théâtre privé, nous rappelant ainsi qu’à une époque, ce dernier était avant-gardiste. Lorsqu’en 1954, Jean-Louis Barrault, alors directeur artistique du Marigny, ouvre la petite salle, c’est pour pouvoir « défricher les nouveaux territoires de l’écriture théâtrale ». Et même si l’auteur de Madame ou de Départ volontaire n’est plus à découvrir, le studio Marigny retrouve sa mission première.

Une mise en abîme

Ne me demandez pas pourquoi la pièce s’appelle Tachkent ? D’autant qu’il n’y a aucun rapport avec la capitale de l’Ouzbékistan ! Mais faut-il qu’un titre ait toujours un sens ! Cela aurait pu s’appeler La solitude de l’auteur, Auteur au bord de la crise de nerfs ou Je n’aime pas les metteurs en scène ! Le personnage central de la pièce est un dramaturge célèbre qui ne va pas très bien. Il reste là, mutique, observant le monde autour de lui d’un regard hagard. Lorsqu’il a de rares moments de lucidité, c’est pour grogner contre les metteurs en scène, ces bernard-l’hermites qui s’approprient le travail d’un auteur pour en faire leur propre création.

Un auteur à la hauteur
Tachkent - Rémi De Vos © Paul Bourdrel
© Paul Bourdrel

Il ne faut pas prendre au premier degré ce qui est dit ! De Vos en profite pour expliquer cette relation tendue et fragile entre un auteur vivant, les morts n’ayant pas la possibilité de s’insurger, et le metteur en scène. Il nous offre ainsi une belle réflexion sur ce qu’est le processus de création. Certains passages m’ont arraché de grands éclats de rire ! Hervé Pierre, qui a quitté récemment la Comédie-Française est exceptionnel. Il passe de l’apathie à l’exaltation avec une grande sensibilité. Quel interprète !

Trois personnages en quête d’auteur

Rémi De Vos a entouré son auteur de trois personnages, hauts en couleur, dont les dérèglements nous ont ravis. Il y a la nouvelle compagne, ancienne toiletteuse pour chien. Elle n’aspire qu’à une chose, que son amant retrouve goût à la vie pour pouvoir l’épouser et toucher à sa mort ses droits d’auteur ! Pour cela, elle convoque deux personnages de son passé. Rien de tel pour réveiller le présent ! Valérie Cruzet est impayable en écervelée qui oscille entre naïveté et vulgarité. Elle représente celle qui ne va jamais au théâtre, qui associe le mot culture va avec les revues people ou le petit écran.

C’est ainsi que surgit l’ex-femme ! Une vedette de théâtre que personne ne connaît puisqu’elle n’est jamais passée à la télévision. C’est la compagne des débuts et de la gloire. Elle lui reprochera de ne jamais lui avoir écrit un rôle à la mesure de son talent. Avec son phrasé, ses ruptures, ses positions de mains, Clotilde Mollet est grandiose en Reine des planches. Face à ce monstre sacré, on retrouve l’acteur ! Lui, il est carrément obscur. C’est le ringard, celui qui a rêvé d’une grande carrière et qui n’a finalement brillé que dans son salon. Tout en subtilité, Grégoire Œstermann est irrésistible. On ne laisse totalement avoir par ces deux personnages qui permettent à De Vos de s’exprimer sur ces animaux étranges, à la fois admirables et agaçants que sont les comédiennes et comédiens.

Un metteur en scène pas rancunier

Dan Jemmett, qui possède assez d’humour et de talent, signe une mise en scène remarquable. Il ne trahit pas l’auteur ! Sa scénographie est explicite. Nous sommes dans une boîte noire. Celle du plateau, celle du monde intérieur dans lequel l’auteur est enfermé. Et lorsque le coup de théâtre s’installe, tout prend sens. Et c’est magnifique !

Marie-Céline Nivière

Tachkent de Rémi De Vos
Studio Marigny
Carré Marigny
75008 Paris.
Jusqu’au 5 novembre 2023.
Du mardi au samedi à 21h, dimanche 15h.
Durée 1h30.

Mise en scène de Dan Jemmett,
assistée de Noémie Pierre.
Avec Hervé Pierre, Clotilde Mollet, Grégoire Œstermann, Valérie Crouzet.
Costume de Sylvie Martin-Hyszka.
Décors de Dick Bird.
Lumières d’Arnaud Jung.

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