En ouverture de la 3e édition de Vivants !, organisée par le Palais de la Porte Dorée, le Collectif F71 porte au plateau le naufrage en Méditerranée de l’Aquarius. À travers les témoignages de l’équipage et des rescapés, il invite à plonger au cœur d’un drame humain, celui d’hommes, de femmes, d’enfants, de migrants prêts à tout pour fuir leur pays en quête d’un monde meilleur.
Lucie Nicolas – Collectif 71 © Kandida Muhuri
Quelle est la genèse du projet ?
Lucie Nicolas : J’ai été frappée par cette histoire en juin 2018. Pour la première fois, l’Italie fermait ses ports et refusait brutalement le débarquement de 630 rescapés secourus par l’Aquarius, navire de sauvetage en mer Méditerranée. Comment des États pouvaient-ils renier le droit maritime international et empêcher des sauveteurs d’agir ? J’ai décidé de raconter ces 10 jours en mer d’un point de vue « embarqué », en retrouvant les personnes à bord, rescapés et sauveteurs. Sur la base de cette longue enquête et de ces entretiens, j’ai écrit le texte, qui reconstitue chronologiquement les événements.
Comment avez-vous abordé ce sujet délicat ?
Lucie Nicolas : Il s’agit de récits que des personnes m’ont confiée. Il fallait les respecter. Et je ne voulais pas tomber dans une forme de « pathos », mais montrer une communauté d’individus en lutte face à l’adversité. J’ai choisi très tôt d’orienter l’écriture vers une forme épique, chorale et musicale. J’ai retravaillé les mots-mêmes des protagonistes, par le montage, en privilégiant le rythme pour aboutir à une partition vocale qui fait alterner récits et dialogues. Je savais aussi que je voulais travailler avec le musicien compositeur Fred Costa pour mettre en musique et en son, le texte. Nous ne montrons pas de situations réalistes, nous restons toujours au bord de l’incarnation. C’est la puissance évocatrice du son qui produit les images dans la tête des spectateurs et spectatrices.
En quoi consiste le dispositif sonore qui permet de spatialiser cette tragique odyssée ?
Lucie Nicolas : Il s’agit d’un cercle de pied de micro, ainsi que divers éléments de la technique du son que les interprètes manipulent qui constituent la transposition du pont de l’Aquarius. Les câbles, les bonnettes de micro sont orange, comme la coque du navire. Je voulais que la boite noire du théâtre et ses outils soient l’équivalent du bateau, que la communauté théâtrale que forment le public et l’équipe soit comme la communauté des humanitaires et des rescapés. Finalement, les techniques de machinerie théâtrale nous viennent de la marine.
Au lointain est installé Fred Costa qui joue de plusieurs instruments et de la musique électro-accoustique en « live ».
Le spectacle s’adresse autant aux adultes qu’aux ados. En quoi c’est important pour vous de faire entendre ces voix, de porter au plateau ce drame humain qu’est l’Aquarius ?
Lucie Nicolas : La question n’est pas de convaincre les spectateur.ices de telle ou telle opinion. Il s’agit de donner un autre récit que celui des médias ou des politiques sur les drames qui se produisent en mer méditerranée et sur le rôle qu’y joue l’Union Européenne. Il me semble qu’en nous plongeant de manière très précise et concrète sur les vies des personnes qui traversent, sur les modes d’action des sauveteurs, nous pouvons nous forger un point de vue citoyen et sortir d’un fatalisme plombant ou d’une instrumentalisation politique.
Propos recueillis par olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le Dernier Voyage (AQUARIUS) du Collectif F71
Festival Vivants !
Palais de la Porte Dorée
293 avenue Daumesnil
75012 Paris
les 29 et 30 septembre 2023
durée 1h30
