Parle, envole-toi - Bruno Abraham-Kremer © Pascal Gély

Sur le fil de sa vie, Bruno Abraham-Kremer touche les étoiles

Au Lucernaire, le comédien Bruno Abraham-Kremer revient sur son passé et nous délivre un spectacle d'une grande richesse.

Parle, envole-toi - Bruno Abraham-Kremer © Pascal Gély

Le comédien Bruno Abraham-Kremer est un conteur hors pair. Après s’être attaqué avec talent aux œuvres d’Éric-Emmanuel Schmitt (Milarepa, M. Ibrahim et les fleurs du Coran), de Romain Gary (La promesse de l’aube, L’Angoisse du roi Salomon), de Jankelévitch (La vie est une géniale improvisation) et bien d’autres, le comédien et metteur en scène se lance dans l’exercice de l’autobiographie. Parle, envole-toi ! est un bijou que l’on conseille vivement.

© Pascal Gely

L’autobiographie théâtralisée est un exercice formidable qui, lorsqu’il est réussi, amène le spectateur à faire un beau voyage au cœur de lui-même. Car parler de soi, c’est avant tout dialoguer avec les autres. Sinon, cela n’a aucun intérêt. Le sous-titre du spectacle de Bruno Abraham-Kremer est très explicite : Comment le théâtre m’a sauvé la vie. On sait ainsi d’emblée de quoi il est question. Mais ne vous y méprenez pas, le cheminement du comédien sort des sentiers battus : il nous entraîne dans une épopée drôle et tendre à la fois, celle d’un jeune homme en quête d’identité qui va trouver au bout de son chemin la lumière de l’amour, de la tendresse, de la vie. Et au passage, en se racontant, cet enfant du XXe siècle va nous faire traverser son époque.

Parle, envole-toi - Bruno Abraham Kremer © Pascal Gely
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My yiddishe momme

Bruno est né en 1958. La Seconde Guerre mondiale s’est terminée il n’y a pas quinze ans. Les rescapés de la Shoah hantent les familles juives décimées. On se reconstruit. Chez les Kremer, cela signifie qu’on retourne sur les traces du passé. En 1963, la mère décide d’embarquer toute sa famille dans un voyage à travers la Hongrie avec, pour destination, la visite du camp d’Auschwitz. Bruno a cinq ans. Lorsqu’il entre, avec ses parents, dans une synagogue de Budapest, tous les vieux lui tombent dessus. Ils sont ceux qui ont vu périr les leurs ! Cet enfant est un miracle à leurs yeux. Cette première partie est absolument remarquable : en explorant cette période d’après-guerre, il évoque le poids d’un passé lourd à porter, la difficulté de redessiner le futur entouré de tous ses fantômes.

De cette reconstruction va naître la déconstruction. Celle de sa famille. Ses parents divorcent à une époque où cela n’est pas un acte ordinaire. Sa mère s’en va et le laisse à la garde de son père. Bruno devient alors un petit Antoine Doinel, faisant les 400 coups dans la capitale. Nous voilà partis dans ce Paris disparu, avec ses bistrots typiques, ces gens à la forte gueule mais au cœur grand. Rarement la solitude et l’abandon furent-ils aussi bien exprimés. Le petit Bruno s’échappe dans la rue mais aussi dans des jeux solitaires où l’imaginaire se lâche. Grâce à une professeur de français, il rencontre le théâtre, celui de Mnouchkine. C’est L’Âge d’or, avec Philippe Caubère, la première révélation.

« Dans la vie, le non, tu l’as déjà… et le oui, il reste à l’obtenir ! »
Parle, envole-toi - Bruno Abraham Kremer © Pascal Gely
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Puis vient le temps des études. L’adolescence s’éloigne, il faut se protéger et se sauver. Alors Bruno part pour Nice, vers un ailleurs ensoleillé plein de promesses. Il fera du droit pour faire plaisir à papa, puis s’en échappera pour se faire plaisir. On plonge alors dans ces années d’après 1968 où la liberté est accrochée aux rêves de la jeunesse. Tout est à réinventer et à imaginer. Le monde de Bruno bascule définitivement vers un merveilleux qu’il ne quittera plus, celui des planches et des tréteaux. Ces années 1980 foisonnent d’idées dans la recherche d’un théâtre fait autrement. Bruno Abraham-Kremer sait nous faire ressentir cette créativité foisonnante et folle de cette période.

La jeunesse passe vite et il faut aborder l’avenir. Bruno l’a vite compris. De stage en stage, dont le plus important, avec Yoshi Oïda, sera un révélateur ; de rencontre en rencontre, dont celle de Peter Brook. Apprentis comédiennes ou comédiens, spectateurs amoureux du théâtre, vous allez alors comprendre qu’est-ce qui pousse un homme à oser monter sur scène et entamer, sans le savoir, une longue histoire d’amour avec cet art merveilleux qu’est l’art dramatique. C’est avec Le Golem que le comédien entame sa fabuleuse « trilogie de l’invisible », rencontre le succès et la reconnaissance.

Parole et guérison

Dans une mise en scène au cordeau de lui-même et de sa fidèle alliée Corine Juresco, Bruno Abraham-Kremer nous embarque aisément dans son étonnante aventure personnelle. Partant de l’idée de l’adieu au père, il déroule le fil d’un texte au style impeccable. Passant du récit au jeu avec une aisance ahurissante, l’acteur nous offre une interprétation toute en rondeur, toute en douceur, qui nous saisit et nous réjouit. Le comédien a cette faculté rare d’avoir gardé une part de son âme d’enfant. Il la porte sur son visage, dans son sourire, dans l’éclat de son regard malicieux. Il fait de son récit une histoire universelle qui bouleverse et ravigote nos sens. Et ça, c’est merveilleux.

Marie-Céline Nivière

Parle, envole-toi ! ou comment le théâtre m’a sauvé la vie, de et par Bruno Abraham-Kremer.
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris.
Du 30 août au 15 octobre 2023.
Du mardi au samedi à 21h, dimanche 17h30.
Durée 1h30.

Mise en scène Corine Juresco et Bruno Abraham-Kremer.
Collaboration artistique de Richard Copans.
Scénographie et lumière d’Arno Veyrat.
Son de Jean-Baptiste Favory.

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