La Mousson d'été 2023 © Boris Didym

La rayonnante édition 2023 de la Mousson d’été

A Pont-à-Mousson, la 28e édition de la Mousson d'été, rencontre internationales d'écritures contemporaines a été une réussite

La Mousson d'été 2023 © Boris Didym

Depuis 1995, ce festival atypique installé à Pont-à-Mousson, dans la région Grand-Est, est un des rendez-vous majeurs de la fin de l’été. Amateurs et professionnels se retrouvent en immersion totale avec les écritures contemporaines qui dessinent le théâtre d’aujourd’hui.

© Boris Didym

Grâce à la beauté du lieu dans lequel se déroule le festival, la magie opère tout de suite. Les voûtes, les murs, les jardins de l’Abbaye des Prémontrés, symbole du passé, vont, durant six jours, accueillir les festivaliers venus entendre des mots et des paroles du présent. Les visiteurs de ce joyau architectural du XVIIIe siècle peuvent alors, au détour de leur promenade, entendre des comédiennes et comédiens qui répètent et jouent, ou tomber sur des débats animés.

Écrire le théâtre d’aujourd’hui
Mousson d'été - Aurore travaille © Boris Didym
Aurore travaille © Boris Didym

Cette 28e édition nous a permis de rencontrer des textes encrés dans le réel, et de passer par autant d’émotions différentes. Notre monde va mal. L’être humain d’aujourd’hui se questionne, se remet en cause. Face à cette société nouvelle, où la quête d’identité se confond avec le sens de la vie et où les relations se tendent, il cherche des réponses. Plus que jamais, les débats qui secouent notre société se sont fait entendre. « Imaginer et interroger notre monde » a été le fil rouge de cette mouture concoctée par Véronique Bellegarde, directrice artistique de cette formidable manifestation, qui donne la parole à des autrices et auteurs du monde entier.

Ces textes inédits se confrontent, souvent pour la première fois, à un public, mais surtout à des artistes qui s’en emparent dans des lectures mises en espace. Les metteuses et metteurs en scène, comédiennes et comédiens ont peu de temps pour répéter et souvent enchaînent les propositions. L’exercice est dense mais, comme ils le disent tous, des plus stimulants. Ils aiment cela car la majorité des participants reviennent régulièrement à la Mousson, formant ainsi une famille. Ces artistes sont le nerf de ces rencontres, car le théâtre est fait pour être entendu et vu. Ils n’ont eu de cesse de me surprendre, de séduire par la qualité de leur engagement et de leur interprétation.

Première journée
Mousson d'été - Ceci n'est pas nous © Boris Didym
Ceci n’est pas nous © Boris Didym

La première lecture s’est déroulée sous le chapiteau entouré de marronniers. Fendre les lacs du québécois Steve Gagnon, mis en espace très ingénieusement par lui-même, nous entraîne dans un univers familial tortueux où chacun se déchire et aspire à autre chose. La nature est présente comme étouffante et les animaux ne sont pas forcément les plus féroces. Si ce texte est inédit chez nous, il a été joué en son pays. Menés brillamment par Pierre de Brancion, Marie-Sohna Condé, Paul Fougère, David Gouhier, Julie Pilod, Lola Roy, Yanis Skouta et Alexiane Torrès, nous avons retrouvé toute la puissance du théâtre québécois nourri d’images et de paroles fortes. La représentation s’est poursuivie par une rencontre avec ce jeune dramaturge et metteur en scène de talent. La jeunesse a réagi vivement à ce qu’elle venait de découvrir.
Puis est venu le temps de nous rapatrier, pour risque d’averse, à la bibliothèque pour Cet air infini de la catalane Lluïsa Cunillé. La traduction de l’espagnol par Laurent Gallardo a été une commande de la Mousson. Cette lecture, dirigée par Véronique Bellegard et interprété subtilement par Géraldine Martineau et Jackee Toto sur la musique d’Hervé Legeay, nous a permis de découvrir une autrice à l’univers audacieux tant sur le fond que sur la forme. S’emparant des grandes figures comme Ulysse, Phèdre, Médée, Électre (le meilleur passage) et Antigone, elle interroge notre société actuelle et ses dysfonctionnements.

Après la pause des discours inauguraux et une restauration rapide, nous voilà en place dans l’amphithéâtre pour Les vies authentiques de Phinéas Gage de Marie Piemontese et Florent Trochet, mis en lecture par Géraldine Martineau, avec Thomas Blanchard, Céline Milliat-Baumgartner et Régis Royer. Si le début de l’histoire de ce jeune homme participant à la grande aventure de la construction du chemin de fer en Amérique était porteur de promesse, la pièce ne convainc pas. La soirée s’est achevée au bar du chapiteau du festival par un concert de Gérard Watkins assez rock et révolutionnaire.

Deuxième journée
Mousson d'été - Si ça nous chante © Boris Didym
Si ça nous chante © Boris Didym

Le lendemain, notre premier rendez-vous à lieu sous le chapiteau des marronniers, pour Aurora travaille de l’argentine Marianna de la Mata, traduite par Emilia Fullana Lavatelli et Victoria Mariani. Ce texte nous plonge dans la pampa. Entre misère et désolation, Aurora vit entre ses « deux idiots » d’adolescents et sa mère. Son patron l’oblige à « s’occuper » des étrangers venus construire une église évangéliste et chasser le cerf. Comment se défendre ? Ce texte fort par sa construction et sa puissance d’écriture a été impeccablement mis en lecture par Laurent Vacher et interprété formidablement par Pierre de Brancion, Paul Fougère, Christine Koetzel, Charlie Nelson et Alexiane Torrès.
Le spectacle a été suivi d’une rencontre passionnante avec le traducteur Laurent Gallardo, de la Maison Antoine Vitez, sur le travail de la traduction. Le débat a largement dépassé son thème « Le texte et son contexte : quand faut-il s’arrêter de traduire ? » pour aborder toutes les questions que soulève la traduction.

La lecture suivante, Ceci n’est pas nous de la norvégienne Monica Isakstuen, traduite par Marianne Ségol-Samoy, a été un immense moment de bonheur. L’autrice est une habituée de la Mousson. On le comprend car son texte est un petit bijou. Gérard Watkins a mis en lecture cette famille dysfonctionnant avec une grande finesse et beaucoup d’humour. Anne Cantineau, Sébastien Eveno, Jade Fortineau et Charlie Nelson nous ont régalés. On rêve que cette lecture se transforme vite en spectacle. Le soir, nous voilà tous partis pour le centre culturel Pablo-Picasso de Blénof-lès-Pont où le magnifique spectacle Il n’y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur, avec Johanna Nizard, a emballé les spectateurs qui lui ont fait une standing ovation. La soirée s’est terminée avec Si ça nous chante, un cabaret imaginé par la délicieuse Céline Milliat-Baumgartner. Entourée d’Anne Cantineau, Alexiane Torres, Pierre de Brançion, Sébastien Eveno, Raoul Fernandez, la comédienne nous a fait voyager en chansons sur la playlist de nos existences. Une réussite.

Censure
Mousson d'été - Trois doigts au-dessous du genou - © Boris Didym
Trois doigts au-dessous du genou – © Boris Didym

Pour moi, le troisième jour est le jour du départ. Ayant la matinée de libre, j’en profite pour assister à la répétition générale de la lecture qui sera donnée en début d’après-midi, Trois doigts au-dessous du genou du portugais Tiago Rodrigues, traduit par Thomas Resendes. Ce texte du directeur du Festival d’Avignon sur la censure hostile au théâtre qui a sévi au Portugal pendant la dictature fasciste de 1928 à 1975 est une nécessité à faire entendre de nos jours où les censeurs prennent de plus en plus la parole. Cathy Min Jung, directrice générale et artistique du Rideau de Bruxelles, a réalisé un travail remarquable dans le beau jardin du cloître, utilisant finement l’espace dans lequel elle fait évoluer intelligemment Anne Cantineau, Sébastien Eveno et Jade Fortineau. Une claque.

Transmission

Le noyau dur de cette manifestation pas comme les autres, c’est sans conteste le son Université d’été européenne. Ce dispositif pédagogique, dirigé par l’imminent Jean-Pierre Ryngaert, permet à des gens français ou francophone, des étudiantes et étudiants, des professionnels (du théâtre et de l’enseignement) ou des amateurs (au sens propre du terme) de se confronter aux écritures théâtrales pour mieux les explorer. Le matin, les participants assistent à des ateliers menés par Ryngaert, Joseph Danan, Nathalie Fillion et Pascal Henry. L’après-midi et le soir, ils assistent aux lectures et aux débats. Cette véritable ruche est composée d’abeilles diverses et variées, âgées de vingt à soixante-dix ans. Leur point commun la curiosité et l’amour du théâtre et des textes contemporains. Ils sont passionnés et passionnants. Promis, l’année prochaine, on vous fera vivre de l’intérieur cette aventure qui permet d’aborder autrement ce bel art qu’est l’écriture théâtrale.

Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Pont-à-Mousson

La Mousson d’été
Abbaye des Prémontrés – Pont-à-Mousson (54)
Du 24 au 30 août 2023

L’Université d’été

Fendre les lacs de et dirigée par Steve Gagnon (Canada/ Québec)
avec Pierre de Brancion, Marie-Sohna Condé, Paul Fougère, David Gouhier, Julie Pilod, Lola Roy, Yanis Skouta et Alexiane Torrès
Le texte est publié par L’instant même (Québec) dans la collection L’instant scène.

Cet air infini de Lluïsa Cunillé (Espagne)
traduction Laurent Gallardo avec le soutien de la Maison Antoine-Vitez

dirigée par Véronique Bellegarde,
avec Géraldine Martineau et Jackee Toto, musique Hervé Legeay
La traduction de ce texte est une commande de la Mousson d’été.

Les vies authentiques de Phinéas Gage de Marie Piemontese et Florent Trochel (France)
dirigée par Géraldine Martineau,
avec Thomas Blanchard, Céline Milliat-Baumgartner et Régis Royer
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Aurora travaille

de Mariana de la Mata (Argentine)
traduction Emilia Fullana Lavatelli et Victoria Mariani avec le soutien de la Maison Antoine-Vitez

dirigée par Laurent Vacher,
avec Pierre de Brancion, Paul Fougère, Christine Koetzel, Charlie Nelson et Alexiane Torrès,

présentée dans le cadre du programme Tintas Frescas soutenu par l’Ambassade de France et l’Institut français en Argentine.

Ceci n’est pas nous de Monica Isakstuen (Norvège)
traduction Marianne Ségol-Samoy avec le soutien de NORLA et du Norske Dramatikeres For- bund (Norvège),
dirigée par Gérard Watkins,
avec Anne Cantineau, Sébastien Eveno, Jade Fortineau et Charlie Nelson
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Il n’y a pas de Ajar, texte Delphine Horvilleur,
mise en scène Arnaud Aldigé et Johanna Nizard, collaboration artistique à la mise en scène Frédéric Arp, conseil dramaturgique Stéphane Habib, regard extérieur Audrey Bonnet, scénographie et création lumière François Menou, création maquillage et perruques Cécile Kretschmar, création costumes Marie-Frédérique Fillion, création sonore Xavier Jacquot,
avec Johanna Nizard,
Texte édité chez Grasset.

Si ça nous chante conçu et interprété par Céline Milliat-Baumgartner avec des artistes de l’équipe de la Mousson d’été 2023 musique Philippe Thibault.

Trois doigts au-dessous du genou de Tiago Rodrigues (Portugal),
traduction Thomas Resendes avec le soutien de la Maison Antoine-Vitez,
dirigée par Cathy Min Jung,
avec Anne Cantineau, Sébastien Eveno et Jade Fortineau,
présentée dans le cadre du projet Fabulamundi – Playwriting Europe soutenu par Europe Créative
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