Marie Lamachère © Denise Oliver Fierro

Marie Lamachère fait entrer Shakespeare dans la Bulle Bleue

Dans le cadre du Printemps des comédiens, Marie Lamachère monte avec la Bulle Bleue «Le songe d’une nuit d’été» et «La Tempête» de Shakespeare.

Marie Lamachère © Denise Oliver Fierro

Dans le cadre du Printemps des comédiens, la metteuse en scène montpelliéraine monte Le Songe d’une nuit d’été et La Tempête de William Shakespeare. Artiste associée de la Bulle Bleue depuis trois ans, elle répète actuellement dans les locaux de cette fabrique artistique avec la troupe composée de comédiens et de techniciens en situation de handicap et de jeunes artistes de sa compagnie. À cette occasion, elle ouvre les portes de cet instant créatif, délicat et singulier. 

© Denise Oliver Fierro

 Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter deux classiques et de les mettre au répertoire de la Bulle Bleue ? 

Marie Lamachère : Dans mon parcours, j’ai toujours alterné textes classiques et contemporains. En travaillant avec la troupe de la Bulle Bleue, depuis maintenant plus de trois ans, j’ai senti que c’était le bon moment pour aborder une pièce du répertoire. C’est venu suite au travail effectué en 2021 autour de Betty devenue Boop ou les Anordinaires, une pièce jeune public écrite par Barbara Métais-Chastanier. Ensemble avec l’autrice et une partie de la troupe, nous avons beaucoup travaillé le texte. Assez vite, un rapport singulier s’est installé entre les comédiennes et les comédiennes avec les mots. C’était très fort. Dans un premier temps, cela m’a donné envie de monter avec eux Moby Dick d’Herman Melville, mais en les voyant évoluer au plateau, Shakespeare et tout particulièrement la scène des artisans du Songe d’une nuit d’été se sont imposés. L’aventure était lancée.

Votre approche de travail est-elle différente ? 
Le Songe d'une nuit de la danse et la tempête de Shakespeare -  mise en scène de Marie Lamachère © Marie Clauzade
© Marie Clauzade

Marie Lamachère : Oui, mais comme elle l’est à chaque rencontre, à chaque nouveau comédien qui entre dans la troupe. Pour répéter ensemble, il est nécessaire de s’apprivoiser. Normalement quand je lance un nouveau projet, je choisis le plus souvent des textes en fonction des acteurs. Avec les artistes de la Bulle Bleue, j’ai eu envie d’aller un peu plus loin, d’affiner ce que nous avions ébauché avec Betty Boop. Le fait que ce soit une troupe d’une vingtaine d’artistes me plaisait beaucoup. D’autant que c’est quelque chose vers lequel j’espérais tendre avec ma propre compagnie, Interstices. J’avais depuis longtemps envie de monter une pièce chorale, de trouver une œuvre qui a dans son essence un dynamisme intrinsèque qui nourrit le jeu des artistes. En cherchant, je me suis rendue compte que la troupe de la Bulle Bleue ne s’était jamais frotté à une pièce de répertoire. J’avais envie de tenter l’expérience, de voir où cela nous mènerait de monter non pas un, mais deux Shakespeare. En tant qu’ancienne comédienne, je sais à quel point, dans un parcours, c’est important, voire fondamental de traverser des textes mille fois joués, de se les accaparer, de les faire vivre à travers soi. Et puis je pense qu’il y a dans l’acte de jouer un texte de répertoire la notion de faire partie d’une histoire du théâtre. Que pour une troupe, quelle qu’elle soit, cela signifie appartenir à une communauté dont tout comédien, quel que soit son parcours, sa différence, doit faire partie pleinement, de droit. 

Pour ce projet, vous avez fait le choix d’une distribution mixte. Est-ce pour cela ? 

Marie Lamachère : Bien sûr. Quand nous avons travaillé sur Betty devenue Boop ou les Anordinaires, il y avait déjà des gens de mon équipe. L’osmose s’est faite tout naturellement. Il était donc logique de poursuivre ensemble le travail. Par ailleurs, j’ai donné un laboratoire de recherche autour de l’œuvre de Shakespeare à l’École nationale supérieure d’art dramatique de Montpellier. Cela m’a donné envie d’intégrer une partie des personnes qui ont suivi cet atelier à la troupe. Ils sont neuf jeunes professionnels sortis de l’ENSAD ou du CNSAD depuis un à trois ans ainsi que Damien Valero. Assez vite, cela a apporté une belle énergie. La synergie a été parfaite, chacun portant avec lui son histoire et son vécu. À la Bulle Bleue, certains comédiens sont membres de la troupe depuis plus de dix ans. Ils ont vécu des tas d’expériences, qu’ils peuvent communiquer à ceux qui sortent de l’école. Ils ont une aura, une présence sur scène qui me touche profondément et qu’ils irradient aux autres. Et inversement, ceux qui ont suivi une formation disons plus classique apportent leur connaissance de la langue, du jeu, leur rapport au plateau. Les échanges sont riches. Après ce qui était important pour moi, c’est que tous soient à la même enseigne. En tant que metteuse en scène, sur les planches en face de moi, j’ai des artistes, un point, c’est tout. Il doit en être de même pour le public. 

Comment avez-vous travaillé ? 

Marie Lamachère : Cela a été un travail de longue haleine. Il était nécessaire que je sois à cent pour cent. J’ai donc décidé, le temps du projet autour de Shakespeare, d’engager toutes les ressources de la compagnie et d’y consacrer tout mon temps et mon énergie. Après, avec la Bulle Bleue, nous avons cherché des coproductions pour nous donner les moyens de nos ambitions. Cela a pris du temps mais nous y sommes arrivés. À moins de deux mois de la première, tout cela semble vertigineux, mais tellement fantastique.

Pour la distribution, vous avez fait comment ? 
Le Songe d'une nuit de la danse et la tempête de Shakespeare -  mise en scène de Marie Lamachère © Marie Clauzade
© Marie Clauzade

Marie Lamachère : Comme je l’ai évoqué plus haut, il y a eu des évidences. En travaillant sur d’autres projets avec eux, j’ai immédiatement pensé aux Artisans dans Le Songe de nuit d’été. C’est donc par ce biais, par cette déclaration d’amour au théâtre, que je suis rentrée dans les pièces de Shakespeare. L’effet troupe a fait le reste. La complicité des membres de la Bulle Bleue a toute suite créée quelque chose de ludique, de joyeux. Nous n’avons eu qu’à les suivre et leur emboîter le pas. Ils sont très inventifs, très engagés et heureux de se laisser porter par les directives que je leur donne. Nous avançons main dans la main. Il ne faut pas oublier que pour eux, comme pour les autres comédiens, c’est un vrai choix d’être comédiens. Sur La Tempête, pièce que j’avais envie de monter depuis longtemps, j’ai fait à l’intuition. Pour Prospero, par exemple, je trouvais intéressant de dédoubler le personnage. Un acteur joue la silhouette, deux autres portent sa voix. Je souhaitais retourner l’image du « sage » car ce n’est pas la lecture que j’ai du texte, ni l’analyse dramaturgique que j’en fait. Cela vient du fait que Prospero est relié à la fois à Ariel et à Caliban : ses deux « serviteurs », « esclaves », deux « esprits » et « fils de sorcière ». Comme Prospero appelle Ariel  « mon esprit », j’ai voulu creuser ce lien et en jouer. Par ailleurs, pour être inventif aussi avec le corps, j’ai fait venir Delphine Gaud, chorégraphe, et Cécile Vitrant, qui vient du théâtre d’objet, pour des laboratoires partagés destinés à expérimenter d’autres approches du texte. Cela a aussi participé de la préparation aux répétitions en cours. 

Pour les textes, vous avez travaillé avec quelle traduction ? 

Marie Lamachère : C’est une nouvelle traduction que j’ai demandé à Julie Etienne et Joris Lacoste. Dans les premiers temps des répétitions, nous avons étudié les traductions de Jean-Michel Déprats, d’André Markowicz, d’Yves Bonnefoy et de Pascal Collin. Nous avons essayé d’observer les différences pour comprendre combien chaque traduction joue sur le sens et expérimenter ce que cela induit dans le jeu. Au début, ils n’arrêtaient pas de me dire : on ne comprend rien, ce n’est pas pour nous. Puis, petit à petit, ensemble, nous avons défriché et avancé. Ils se sont pris au jeu et ont pris un grand plaisir à en découvrir les nuances, la poésie. Pour la scène, après, je trouvais important que le texte leur parle, soit plus évident. Du coup, j’ai fait appel à deux traducteurs qui avait travaillé avec Gwenaël Morin. Je leur ai fait confiance. L’idée était de garder le côté ludique et fable de ces textes, de renforcer l’aspect kaléidoscopique, presque surréaliste du Songe, pour permettre plus de souplesse aux artistes. Je trouve que c’est dans ses apérités, ses failles que la pièce de Shakespeare est incroyable. 

Est-ce que la visibilité qu’apporte le Printemps des comédiens est importante pour vous ? 

Marie Lamachère : Certainement. Après j’espère que ce sera surtout un moment de partage, de joie pour les acteurs, que quelque chose va changer dans le regard du public, que cela va leur ouvrir des perspectives. Ce sont d’immenses comédiens. Ils ont une sensibilité rare qui, au plateau, donne quelque chose de singulier et d’intense. 

Avez-vous d’autres envies pour la suite ? 

Marie Lamachère : J’avoue que je ne me pose pas la question. L’expérience est tellement prenante que je souhaite en profiter pleinement. Je sais très bien que ces trois ans avec la Bulle Bleue et ses artistes m’ont changée, m’ont transformée, mais je ne sais pas encore comment. Je veux laisser au temps, le temps de faire les choses, de déposer en moi tout ce que j’ai pu apprendre à leur contact.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier

Le Songe d’une nuit d’été et La Tempête de William Shakespeare 
Printemps des Comédiens
Théâtre des 13 Vents
Domaine de Grammont, Avenue Albert Einstein
34965 Montpellier
du. 2 au 11 juin 2023
durée 2h40 entracte d’un heure 

Conception, adaptation et mise en scène de Marie Lamachère
Traductions de Julie Etienne et Joris Lacoste
Univers sonore de Sarah Métais-Chastanier
Scénographie de Delphine Brouard
Travail du corps – Delphine Gaud
Avec les comédien.nes de la compagnie INTERSTICES et de La Bulle Bleue – Leo Bahon, Melaine Blot, Maëva Brunie, Theophile Chevaux, Romain Debouchaud, Antoine De Foucauld,  Mireille Dejean, Laura Deleaz, Stan Dentz, Steve Frick, Arnaud Gelis, Sarah Lemaire, Agathe Mazouin, Martin Mesnier, Guillaume Morel, Jean-Noël Papera, Philippe Poli, Mickaël Sicret, Damien Valero, Zoe Van HerckTravail de la voix – Samuel Zaroukian
Travail théâtre d’objets – Cécile Vitrant
Création et régie lumière – Julie Valette
Création et régie vidéo – Laurent Rojol
Costumes – Cathy Sardi

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