Léocadia © Yan Ray

Léocadia, les chemins baroques de l’amour selon Anouilh

Au Théâtre Le Funambule Montmartre, la compagnie des Balons Rouges fait revivre Léocadia de Jean Anouilh.

Léocadia © Yan Ray

En s’attaquant à Léocadia de Jean Anouilh, la toute jeune compagnie Les Ballons Rouges, fondée par des anciens élèves du cours Périmony, offre aux spectateurs la joie de retrouver ou de découvrir l’univers de ce poète qui fit vibrer le théâtre au siècle dernier.

© Yan Ray

Jean Anouilh est l’un des grands dramaturges du XXe siècle. Il a écrit quarante-sept pièces. Pourtant, hormis sa superbe Antigone, ses pièces ne sont pas étudiées en classe. Or, à l’instar de celles de Guitry, elles sont le reflet de leur temps. Son théâtre est délaissé aujourd’hui. Quelques metteurs en scène, comme Michel Fagadau (Colombe), Didier Long (Beckett ou l’honneur de Dieu), Ladislas Chollat (Médée), Nicolas Briançon (Antigone), Christophe Lidon (L’Alouette), l’ont sorti de son purgatoire. Certes, à notre époque, son style peut paraître un peu suranné. Mais il n’est pas dit que, dans quelques années, son ouvrage ne retrouve pas sa place dans le répertoire.

« Chemins de mon amour, je vous cherche toujours… »
Léocadia d' Anouilh - Les Ballons rouges - David Legras © Yan Ray
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Léocadia a été créée en 1940 au théâtre de la Michodière, dans une mise en scène de Pierre Fresney. Ce grand acteur (Marius, César, La grande illusion) était entouré d’Yvonne Printemps, Marguerite Deval, Victor Boucher. Elle fut rejouée en 1984, dans une mise en scène de Pierre Boutron, avec Sabine Haudepin, Lambert Wilson et la délicieuse Edwige Feuillère. J’ai eu la chance de le voir.

Anouilh avait classé ses pièces par catégorie, « pièces noires », « pièces brillantes », « pièces grinçantes »… Léocadia, tout comme Le bal des voleurs et Le rendez-vous de Senlis, appartiennent à celle qu’il nommait « pièces roses ». Ce sont des comédies savoureuses dans lesquelles l’auteur s’est laissé aller à sa fantaisie. Cela parle d’amour, des hommes avec leurs défauts et leurs rêves trop grands. Avec le temps, on peut remarquer que si le texte a pris une patine un peu désuète par son sujet, sa forme reste originale. S’en dégage même une belle poésie. C’est une fable où la réalité et l’imaginaire font bon ménage.

« Hélas ! Des jours de bonheur, radieuses joies envolées… »
Léocadia d' Anouilh - Les Ballons rouges - David Legras © Yan Ray
© Yan Ray

L’action se passe avant la Première Guerre mondiale, lorsque le XIXe siècle s’accrochait encore au XXe siècle naissant. Un jeune prince pleure son grand amour, la cantatrice Léocadia, décédée dans un accident. On est romantique, à vingt ans ! Sa comtesse de tante, craignant qu’il se suicide, transforme son domaine en jardins des souvenirs. Ainsi, l’éploré peut revivre à sa guise les plus beaux jours de sa vie. Comme il n’y en a eu que trois, c’est gérable ! La vieille dame croise Amanda, sosie de l’être sublimée. Elle va tenter de l’inclure à ce petit jeu. Mais est-il possible de vivre toute sa vie dans le souvenir pour échapper aux réalités de la vie ?

« Chemins perdus vous n’êtes plus et vos échos sont sourds »

La compagnie Les Ballons Rouges s’est emparée de l’œuvre avec toute la fougue de la jeunesse. Néanmoins, elle a eu la bonne idée de demander au chevronné David Legras (Le livre de l’intranquillité) de mettre en scène cet univers fantasmatique. La scénographie est très efficace. Toute l’action se passe sous une gloriette (kiosque de jardin), posée sur un plateau tournant. L’image du manège fait songer à La Ronde de Schnitzler. Les accessoires accentuent l’aspect forain et enfantin. Tout n’est qu’illusion et jeux dans la vie de ce jeune homme. Cette mise en scène apporte une couleur qui sied bien au monde dépeint par Anouilh.

David Legras s’est distribué dans le rôle du narrateur (qu’il partage avec Jacques Poix-Terrier). Ce personnage est celui par qui l’auteur expose sa vision du monde et surtout du théâtre, qui demeure un des sujets de cette douce parabole. Pour des raisons d’économie, un seul acteur interprète les « marchands de rêves ». Cela fonctionne bien, donnant une fragilité à cette mascarade que viendra dérégler Amanda. Drys Penthier, que nous avions trouvé formidable dans la dernière production de la compagnie, Le Barbier de Séville, ne manque pas de nuances et de talent pour donner à son personnage une belle nature. Dans le registre du valet comique, Axel Stein-Kurdzielewicz s’en sort bien.

« Si je dois l’oublier un jour, la vie effaçant toutes choses »
Léocadia d' Anouilh - Les Ballons rouges - David Legras © Yan Ray
© Yan Ray

Le personnage du prince est complexe. Parce qu’il a vieilli ! Aujourd’hui, cette mélancolie romanesque devrait laisser place à des sentiments plus complexes. C’est un jeune homme oisif, capricieux et trop choyé qui se réfugie dans les chimères pour ne pas affronter la réalité. Il en devient pathétique. Si Julien Raineau possède le physique de l’emploi du jeune premier, il manque un peu de maturité scénique pour montrer les tourments de son personnage. Le rôle d’Amanda a, lui, pris plus de consistance avec le temps. Elle est modiste et vit de son travail. Les pieds sur terre, la tête sur les épaules, elle va ramener le jeune homme à la vie et au véritable amour. La délicieuse Camille Delpech l’incarne avec une belle aisance. Mais la véritable héroïne est la tante, et Valérie Français est impayable dans ce personnage de comtesse loufoque.

S’il comporte quelques irrégularités, il n’en demeure pas moins que ce spectacle est charmant. Dernière mise en garde : comme l’air des Chemins de l’amour, écrit à la création de la pièce par Francis Poulenc pour Yvonne Printemps, circule comme une ritournelle, vous risquez de la fredonner toute la soirée une fois sortis du théâtre.

Marie-Céline Nivière

Léocadia de Jean Anouilh
Théâtre le Funambule
53 rue des Saules
75018 Paris.
Jusqu’au 23 avril 2023.
Les lundis à 19h ou 21h, les samedis à 17h, les dimanches à 18h.
Durée 1h25.

Mise en scène et scénographie de David Legras.
Collaboration artistique de Camille Delpech.
Avec
Camille Delpech, Valérie Français, David Legras ou Jacques Poix Terrier (en alternance), Drys Penthier, Émilien Raineau, Axel Stein-Kurdzielewicz.
Création lumières de Laurent Foiny.

Teaser Lécodia © Compagnie Les ballons rouges – Youtube®
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