Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier - Mise en scène de Pascal Kirsch - Bacon © Géraldine Arestenu

Grand palais, les vertiges de Bacon à cœur et à chair

éée à la Comédie de Reims, avant d’investir le TNS, la nouvelle création de Pascal Kirsch évoque les tourments de l’âme de Francis Bacon.

Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier - Mise en scène de Pascal Kirsch - Bacon © Géraldine Arestenu

Créée à la Comédie de Reims, avant d’investir le TNS, du 10 au 16 mars 2023, la nouvelle création de Pascal Kirsch évoque les tourments de l’âme baconienne confrontée au suicide de son amant et modèle. Un dialogue d’outre-tombe étourdissant ! 

© Géraldine Aresteanu

On est en 1971. Francis Bacon a soixante-deux ans. Dans à peine deux jours aura lieu l’inauguration de la première grande rétrospective qui lui est consacrée au Grand Palais. En son honneur, un dîner réunissant le gratin parisien est organisé au Train bleu, gare de Lyon. L’artiste hésite. En coulisse, un drame vient de se produire. Sa muse, son confident, son amant, George Dyer, vient de se donner la mort dans leur chambre d’hôtel. Corps inerte, avachi sur la cuvette des toilettes, un filet de bave jaunâtre s’échappant de ses lèvres, il a succombé à une overdose médicamenteuse. L’image va hanter l’artiste. Elle servira de base à une série de triptyques, d’une rare intensité. 

Chant funeste
Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier - Mise en scène de Pascal Kirsch - Bacon © Cie Rosebud
©Cie Rosebud

De cette matière mortifère, de cette tragédie amoureuse, le duo Julien Gaillard et Frédéric Vossier s’empare pour écrire un récit à quatre mains, une évocation de ce moment de bascule entre culpabilité, derniers feux d’une passion folle et infinie tristesse. Fresque noire, distordue rappelant l’œuvre picturale de BaconGrand Palais invite à une plongée poétique, vertigineuse dans un espace mental, où la raison s’efface devant les émotions. Obnubilé par l’histoire d’Orphée et d’Eurydice, les vers d’Eschyle, « l’odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux », l’artiste ne peut détacher son regard de la vision morbide de son amant mort. Elle l’habite, le torture, l’oblige à revivre inlassablement leur tumultueuse histoire.

C’est dans un bar de Soho que la rencontre a lieu. Très vite, ils deviennent amants. Composant et recomposant l’image de son modèle, lui triturant les chairs, jusqu’à effacer ses traits, le rendre méconnaissable, le plasticien atteint le sommet de son art. Il multiplie les portraits, obsédé à l’idée de déformer le visage de l’être aimé, « dans le sens de leur apparence, ne pouvant pas le peindre littéralement ». George et son double pictural sont de toutes les expositions de la fin des années 1960. Une forme de sadomasochisme s’installe entre eux. Plus fragile qu’il n’y parait, Dryer se brûle les ailes, boit plus que de raison. Bacon se lasse. La séparation est inévitable. Une dernière confrontation, présent dans de nombreuses œuvres exposées au Grand Palais, il exige d’être présent à Paris. Seul, le peintre était occupé par les préparatifs de la rétrospective, il se laisse emporter par ses démons. Le drame est inévitable. 

Conversations par-delà la mort 
Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier - Mise en scène de Pascal Kirsch - Bacon © Cie Rosebud
© Cie Rosebud

En tissant un dialogue entre l’artiste et son amant décédé à travers deux soliloques, l’un onirique, l’autre plus ésotérique, les deux auteurs font naître des sensations, des images où en filigrane se dessine le portrait de deux âmes maudites. Souvent impénétrable, le récit disparait devant la force visuelle de la mise en scène. Avec ingéniosité, Pascal Kirsch fait jaillir de ce cocktail singulier, presque dissonant, un objet scénique plus plastique que théâtral. Donnant vie à la peinture tourmentée de Bacon, par des projections d’œuvres d’art, un savant ballet de lumières en clair-obscur et un jeu de miroirs, il signe un spectacle à l’esthétisme saisissant. Porté par les compositions musicales de Richard Comte, jouées en direct, par les présences habitées d’Arthur Nauzyciel, de Vincent Dissez, et plus fantomatique de Guillaume CostanzaGrand Palais se fait l’écho sensible de l’union sacrée et délétère de deux êtres, de l’essence même de l’esprit créatif violent et sanguinaire baconien. Captivant et hypnotique !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Reims 

Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier
Création à la Comédie de Reims en mars 2023

Tournée 
Du 10 au 16 mars 2023 au TNS
Le 9 novembre 2023 à l’Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge
Du 15 au 18 novembre 2023 au Théâtre national de Bretagne dans le cadre du Festival du TNB à Rennes
les 23 et 24 novembre 2023 à la Comédie de Béthune, Centre dramatique national des Hauts-de-France

Conception et mise en scène Pascal Kirsch
Avec Guillaume Costanza, Vincent Dissez, Arthur Nauzyciel et Richard Comte (guitare et voix)
création lumières de Nicolas Ameil 
création et régie vidéo de Thomas Guiral 
ingénieur du son – Julien Podolak 
costumes de Virginie Gervaise 
construction de Théo Jouffroy 
conseil vocal – Pauline Leroy 
regard chorégraphique de Thierry Thieû Niang 
régisseur général de Clément Séclin 

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