Ashtar Muallem © DR

Ashtar Muallem, la tête dans le Cosmos

À l'occasion du Festival Spring, Ashtar Muallem, présentera Cosmos et Inops, deux œuvres du jongleur-chorégraphe Clément Dazin.

Ashtar Muallem © DR

Dans le cadre du portrait consacré à Clément Dazin au festival Spring, qui se tient du 8 mars au 16 avril 2023 en Normandie, Ashtar Muallem présentera Cosmos et Inops, deux œuvres du jongleur-chorégraphe, sorti en 2012 du CNAC. Aérienne, plus légère qu’une plume, la circassienne habite l’espace d’une présence ténébreuse, d’une rare intensité. Une artiste incandescente à suivre…

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Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
C’est un souvenir de mes parents sur scène. Mes deux parents sont acteurs et mettre en scène, ils dirigent le Théâtre ASHTAR à Ramallah. Enfant, j’ai passé beaucoup de temps dans le studio du théâtre où ils créaient leurs pièces, entre classique et expérimental. Je me souviens surtout de la pièce La Belle et la bête, Le Petit Prince et Le Retour de martyrs. Ce sont vraiment les tous premiers spectacles auxquels j’ai assisté, pendant les résidences et les représentations. D’ailleurs, mon prénom et celui du théâtre ont été choisis en lien avec la déesse babylonienne Ashtar. 

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Je me souviens que j’ai toujours admiré la danse orientale. Ma grand-mère était couturière, je lui demandais souvent de me fabriquer des jupes longues et des robes pour danser. Quand des amis venaient chez nous à la maison pour nous rendre visite, on me posait souvent la question de ce que je voulais devenir quand je serai grande. Je disais, je veux être ‘Ra’asa’, terme qui désigne une danseuse populaire en arabe. Cela n’était pas très bien vu, un peu comme vouloir devenir danseuse de cabaret. 
Tout le monde riait de ma réponse, mais je m’en foutais, je mettais la dernière jupe que ma mamie m’avait fabriquée et je faisais mon spectacle. Des années plus tard, j’ai su que je voulais être actrice du cinéma, mais ma vie m’a emmenée dans un détour pour passer par le cirque d’abord. En effet, avant dix-huit ans, j’ai beaucoup joué dans des films et des séries télévisées. 

Cosmos de Clément Dazin  - Ashtar Muallem - Spring © Christophe Raynaud de Lage
Cosmos de Clément Dazin © Christophe Raynaud de Lage

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être artiste circassienne ? 
Je ne me suis jamais dit “un jour, je veux devenir artiste”. Artiste est ma manière d’être même quand je ne suis pas devant un public. Je passe mon temps à faire de l’art dans la cuisine, dans le salon, dans ma chambre. Je danse, je cuisine, je peins. 

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 
Snow White à l’école maternelle à Jérusalem, je jouais la sorcière ! Le meilleur rôle dans cette histoire. Évidemment, tout le monde veut être la belle du conte, mais moi, c’est la sorcière qui m’intéressait. Être méchante, cela permet d’avoir plus de matière pour jouer. Au moment où le miroir m’apprenait que la belle Blanche-Neige était encore vivante, je tombais en arrière dans un matelas pré-installé derrière moi pour me réceptionner. Tout le monde était mort de rire et je me souviens jusqu’à aujourd’hui de ce que les gens ont dit à mes parents : que je serai une actrice comme eux. 

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
Je me souviens d’une pièce du marionnettiste Philippe Genty que j’ai vu à Jérusalem en 2016. J’ai adoré cette pièce, car je l’ai traversée comme un rêve, la scénographie prenait tout l’espace de la scène. Les marionnettes étaient géantes et très belles. Il y a eu beaucoup de spectacles que j’ai beaucoup aimé notamment Babel de Sidi Larbi Cherkaoui. 

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
Il y a bien sûr plusieurs rencontres. Je n’aurais pas fait du cirque contemporain si je n’avais pas rencontré l’ancien directeur du CNAC, Jean-François Marguerin. Il m’a ouvert la voie vers le cirque, la France, et l’école nationale du cirque. Il est venu en Palestine voir un spectacle dans lequel je jouais en tant qu’amatrice. Au CNAC, j’étais proche d’un cercle restreint d’artistes. J’ai développé une vraie amitié et complicité avec Clément Dazin. C’est grâce à celle-ci que nous travaillons ensemble, comme pour le spectacle Inops et le solo Cosmos. Enfin, ma professeure Erika Maury Lascoux qui m’a appris la contorsion que je pratique depuis. 

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? 
Mon métier mêle une pratique quotidienne du jeu et du corps (contorsion, acrobatie aérienne, danse et théâtre). Ce que j’aime, c’est avoir une pratique quotidienne. Ce que le mouvement de mon corps génère, c’est de la joie (notamment par la production d’endorphine, mais pas uniquement !). Dès que je suis à l’arrêt, je déprime. Cette pratique corporelle est aussi une façon de me connecter à moi, c’est assez intime mais réel et essentiel. 

Cosmos de Clément Dazin  - Ashtar Muallem - Spring © Christophe Raynaud de Lage
Cosmos de Clément Dazin © Christophe Raynaud de Lage

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Toutes mes inspirations viennent de mon pays la Palestine et de ma vie là-bas depuis mon enfance. Comme dans Cosmos, j’évoque cette période de ma vie, entre l’enfance et mes dix-huit ans. Dans chaque spectacle, je retourne dans cette période et je revisite ces moments. Cela me permet de me rappeler qui je suis, ce qui a forgé mon caractère. “Qui je suis ?” est souvent une question posée dans les spectacles aux actrices et acteurs, que ce soit dans le théâtre ou le cirque. C’est un aller-retour entre l’intérieur et l’extérieur, ce travail était demandé par exemple par Séverine Chavrier pour Après coups Projet Un-Femme 2 ou Clément Dazin dans Inops et encore Ce n’est qu’une histoire de balance de Ludmila Dabo

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
C’est l’endroit où je me sens le plus à l’aise après ma maison. J’arrête de me poser des questions, je vis ce que je suis en train de faire. Je me sens plus proche de moi sur scène que dans le monde … je ne sais pas comment expliquer cette sensation. Dans le monde, la rue, la vie, il y a trop de problèmes et de complexités. Alors que sur scène, on peut créer sa bulle, son propre univers. Sur scène, seul le moment présent compte le plus et on évacue les affects et le poids du passé. Aussi, je dois avouer que j’aime être dans la lumière sur scène. Alors que dans un groupe ou dans la rue, j’écoute plus et je prends moins la parole. 

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
À l’endroit de mon plexus solaire, c’est là que réside la flamme de ma créativité. Souvent, la direction de cette énergie irradie vers le haut de mon corps. Quand je ne ressens pas cette flamme, je me sens triste. C’est cette inspiration qui donne un sens à la vie et à ce que je fais. 

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
J’aimerais travailler avec Pedro Almodovar. En Palestine, je travaille dans le cirque et également le cinéma. C’est aussi une carrière que je souhaite développer. Dans les films d’Almodovar, j’aime les rôles de femmes fortes comme dans Femmes au bord de la crise de nerfs ou encore Volver

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
Pourquoi pas chanter dans un opéra ? Plus sérieusement, j’aimerais participer à des projets cinématographiques ou de théâtre. Jusqu’à récemment, j’ai préféré mettre ma créativité et mon art au service d’autre metteur en scène, parce que j’avais une angoisse de porter mes projets seule. Aujourd’hui, je voudrais rassembler une équipe (administrative, technique et de production) pour donner vie à mes idées créatives et mes propres projets. 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Festival Spring
du 8 mars au 16 avril 2023

Cosmos de la Compagnie la Main de l’Homme
du 24 au 7 avril 2023 dans plusieurs lieux de Normandie
Co-écriture et jeu d’Ashtar Muallem
Co-écriture et mise e scène de Clément Dazin
Création sonore de Grégory Adoir
Création lumière et régie de Tony Guérin 
Costumes de Fanny Veran

Inops de la Cie La main de l’Homme
Conception de Clément Dazin
Création et interprétation – Clément Dazin, Antoine Guillaume, Ashtar Muallem, Coline Mazurek, Marius Ollagnier, Valentin Verdure
Création lumière et régie générale – Tony Guérin
Régie plateau – Marius Ollagnier
Création et régie sonore – Grégory Adoir, Mathieu Ferrasson
Regard extérieur – Cédric Odrain
Dramaturgie et aide à la mise en scène – Guillaume Clayssen
Costumes – Fanny Veran

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