Pierrot Lunaire, Marlene Monteiro Freitas © Nurith Wagner-Strauss

Pierrot lunaire dans la galaxie Freitas

Présenté au Festival d'Automne à Paris, la mise en scène de Pierrot Lunaire par Marlene Monteiro Freitas fête le mariage de la chorégraphe capverdienne et du compositeur autrichien.

Pierrot Lunaire, Marlene Monteiro Freitas © Nurith Wagner-Strauss

Entre les dissonances des mises en scène de Marlene Monteiro Freitas et la musique atonale d’Arnold Schönberg, le mariage était en quelque sorte évident. Au départ, il y a ce plateau surélevé, orange, entouré de gradins en quadrifrontal. Au milieu, une fosse accueille les huit instruments qui composent l’orchestration de Pierrot lunaire. Les six interprètes apparaissent dans une des processions absurdes dont la capverdienne a le secret — visages fardés aux sourcils art deco, gestes arbitraires exécutés avec une minutie chirurgicale.

En Pierrot, Sofia Jernberg maintient habilement la ligne sinueuse du sprechgesang, le parlé-chanté perfectionné par Schönberg dans cet opus. Les yeux écarquillés, portant des expressions rigides comme un masque, semblable à un automate, elle prononce avec cette diction si particulière les poèmes d’Albert Giraud qui composent le livret. Dans les textes, on boit le vin par les yeux et la lune rit. À la scène, dans un interlude, Jernberg fait ses gargarismes dans le micro. Les musiciens du Klangforum Wien, eux, s’acharnent sur leurs pieds de chaises ou démontent leurs instruments.

Parfaitement sibylline comme de coutume, la pièce n’en est pas moins ludique, et l’on se laisse une heure durant arpenter d’un détail à l’autre cette petite machine à 360 degrés, sièges pivotants inclus. La plasticité musicale avec laquelle expérimentait le compositeur au début du siècle dernier se prolonge sur le plateau de la chorégraphe, qui fait de la scène un terrain de jeu total. Incluant les musiciens, donc, mais aussi leurs instruments eux-mêmes (désassemblés ou suspendus), jusqu’aux panneaux « recording » qui s’illuminent en rouge lorsque commence chacun des vingt-et-un mélodrames qui composent la pièce.

Telle est la méthode obstinée de Marlene Monteiro Freitas, que l’œuvre de Schönberg ne fait que mettre en exergue. Soit un univers de motifs et de symboles qui enveloppe dans son homogénéité chaotique tout ce qui y passe. Comme les danseurs handicapés de Dançando com a Diferença trouvaient dans le protocole scénique d’Ôss une forme capable d’accueillir d’autres mouvements, les instrumentistes, tous « mis en jeu » autour de Pierrot, marquent la différence avec les mises en scène où le protagoniste est seul personnage. La capacité d’absorption de ce système peut laisser coi. Mais si Marlene Monteiro Freitas l’impose, c’est pour abolir d’autres ordres et hiérarchies, en premier celle qui sépare la musique de son contour.

Samuel Gleyze-Esteban

Pierrot lunaire d’Arnold Schönberg
Festival d’Automne à Paris
Grande halle de la Villette
211 Av. Jean Jaurès
75019 Paris

Du 25 au 27 Novembre 2022
Durée 1h15

Concept, direction, Marlene Monteiro Freitas
Assistant, Cláudio da Silva
Avec Sofia Jernberg, Pierrot lunaire
Ensemble Klangforum Wien
Avec Vera Fischer (flûte, piccolo), Bernhard Zachhuber (clarinette, clarinette basse), Gunde Jäch-Micko (violon, viola), Andreas Lindenbaum (violoncelle), Florian Müller (piano)
Direction musicale, Ingo Metzmacher
Assistant musicale, Michael Zlabinger
Lumières et scénographie, Yannick Fouassier
Dramaturgie, Martín Valdés-Stauber
Costumes, Marisa Ribeiro
Accessoires, Marlene Monteiro Freitas, Cláudio da Silva

Crédit photos © Nurith Wagner-Strauss

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