Ciel rouge. Matin © Ariane Damain Vergallo

L’étonnante polyphonie familiale de Tom Holloway

Au Théâtre des Déchargeurs, Aurore Kahan nous fait découvrir l’œuvre de l’Australien, Tom Holloway, Ciel rouge. Matin.

Ciel rouge. Matin © Ariane Damain Vergallo

Au Théâtre des Déchargeurs, Aurore Kahan invite à découvrir l’œuvre de l’Australien Tom Holloway. Avec Ciel rouge. Matin, texte puissant sur la déconstruction d’une famille, la metteuse en scène signe un beau spectacle audacieux.

C’est une pièce écrite pour trois voix. Elle est conçue comme une partition pour orchestre. Il y a le père, la mère, la fille. Chacun, tel un instrument, possède sa tonalité. Leurs mots, tels des notes, vont se chevaucher, se juxtaposer où être dits en solo. Le texte peut dérouter par sa construction. D’autant que l’auteur emprunte des chemins qui nous égarent au début. Mais très vite, on comprend que ces détours ont un sens et qu’ils nous emmènent sur le cheminement de cette famille détruite par son incapacité à communiquer.

Chacun pour soi
Ciel rouge. Matin © Ariane Damain Vergallo

Au début, il y a l’homme, la nuit, seul dans son jardin. Il soliloque, parlant de petits riens. On devine que quelque chose ne va pas. Puis, il y a la femme, au lit, se laissant aller dans sa solitude. Elle semble y prendre du plaisir. Il entre. Ils ne dialogueront pas, n’interagiront pas. On entendra leurs pensées. Ils s’aiment mais quelque chose s’est fissurée. L’usure a érodé le couple. Il évoque la tendresse, elle fantasme sur l’amour ! Arrive l’aurore, le ciel rouge du matin. Il part au travail comme on fuit. Leur adolescente de fille se lève, prend seule son petit-déjeuner et déguerpit au lycée. La mère traîne, enveloppée dans ses rêves matinaux. Se retrouvant seule, elle descend à la cuisine et démarre sa journée par une bière.

Les maux tuent les mots

C’est à cet instant que la pièce prend toute sa puissance. On découvre alors, à travers leurs pensées intérieures, qu’ils ont perdu le contact. Ne pouvant plus ou ne sachant plus échanger leurs sentiments, ils sont réduits au silence. Ce dysfonctionnement les détruit et les enferme  dans une solitude étouffante. Pourtant, on le sait, car nous avons fini par avoir toutes leurs pensées intimes, ils ont une envie folle de s’en sortir, que tout cela s’arrête. Mais comment s’y prendre ?

Une fugue délicate

Aurore Kahan a réalisé, tant par sa traduction que par sa mise en scène, épurée et poétique, un très bel ouvrage. En chef d’orchestre, elle a dirigé ces trois voix intérieures avec doigté. Et l’on entend bien chaque note de la dérive violente et intime de ces trois êtres. Dans le rôle du père démissionnaire, fragilisé et étouffé par la situation, William Astre est poignant. La jeune Sara Cotten fait bien entendre la rage de l’adolescente qui subit les dommages collatéraux et rêve de normalité. Corinne Valancogne est admirable dans le personnage de la mère qui a sombré dans l’alcool, dernier refuge de sa détresse. Dans une belle précision, ils font entendre la cacophonie de cette famille qui n’aspire qu’à retrouver une harmonie. On adhère ou pas, en tout cas, on ne reste pas de marbre !

Marie-Céline Nivière

Ciel rouge. Matin de Tom Holloway.
Théâtre des Déchargeurs
3, rue des Déchargeurs
75001 Paris.
Du 5 au 29 octobre 2022.
Du mercredi au samedi à 19h.
Durée 1h15.

Traduction et mise en scène d’Aurore Kahan.
Avec William Astre, Sarah Cotten, Corinne Valancogne.
Lumières de Johanna Boyer-Dilolo.
Création sonore de Sami Boukhris.
Décors de Joffrey Roux.

Crédit photos © Ariane Damain Vergallo.

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