Aurélie van den Daele © Marjolaine Moulin

Aurélie Van Den Daele pour un théâtre de l’Union engagé et écolo

À Limoges, Aurélie Van Den Daele, metteuse en scène et fondatrice du Deug Doen Group, a pris, en 2021, les rênes du Théâtre del'Union-CDN. Rencontre.

Aurélie van den Daele © Marjolaine Moulin

À Limoges, la metteuse en scène, fondatrice du Deug Doen Group, prend les rênes du CDN. Après une période d’intérim, Aurélie Van Den Daele impose en douceur une ligne écologique et sociétale, une vision du théâtre au cœur de la ville et du territoire. Rencontre. 

Quel est le projet que vous défendez depuis votre récente arrivée au Théâtre de l’Union ? 

Aurélie Van Den Daele : Le projet s’appelle Construire un feu. C’est le nom qu’on lui a donné au début, et il perdure même si d’autres images apparaissent comme celle du théâtre de l’Union comme un port d’ancrage. L’idée est assez simple : chercher à travers l’outil théâtre comment les vivants, que ce soit au sens littéral ou philosophique peuvent nourrir les plateaux, trouver de nouvelles pistes de réflexions, amener un autre regard sur l’Histoire et le présent. Le contexte est très mortifère, et il s’agit de pouvoir « se souvenir ensemble » pour mieux créer des généalogies, célébrer et avancer. C’est très important pour moi, cela fait partie de ma réflexion sur le monde, d’un schisme que j’ai traversé dans ma vie intime, dans l’engagement personnel, politique que j’ai opéré ces dernières années. Ce sont des axes de pensées qui ont été moteur dans mon choix de candidater à la direction du Théâtre de l’Union-CDN. Le déclencheur qui m’a définitivement décidée, c’est que l’Union est un écosystème avec un atelier de décor, un atelier de costumes, une école. Des forces pour que le vertueux, le vibrant et l’éthique adviennent. 

L’Estu (école supérieure de théâtre de l’Union-anciennement Académie de l’Union) rattachée au CDN, a-t-elle fait partie des raisons de votre candidature ? 
Aurélie van den Daele lors d'un stage théâtral au théâtre de l'Union © Marjolaine Moulin

Aurélie Van Den Daele : Clairement, oui. Depuis plusieurs années, j’interviens régulièrement dans différentes formations théâtrales d’écoles supérieures. Nourri de cette expérience, mon projet s’appuie sur la responsabilité que nous avons à accompagner les générations créatrices bien au-delà des simples cours. Nous devons penser plus grand pour les aider à affronter la réalité de nos métiers, tout particulièrement en cette période de mutation profonde du secteur culturel, de l’hybridation croissante des arts ainsi que d’une augmentation inquiétante de la précarité. Nous nous devons de les soutenir mais d’une manière plus vertueuse, plus écologique, plus en lien avec les temps présents. Grâce à l’atelier de décors et de costumes, attenant au CDN, nous avons la chance de pouvoir faire bouger les lignes, permettre aux interprètes de demain, de penser autrement les créations et d’utiliser ce qui existe déjà. Mais nous devons aussi travailler les imaginaires de chacun.e, pour ne pas recourir à la facilité ni à une forme de fatalité. L’École pour moi, c’est aussi la possibilité du lien constant avec les mutations du monde. Les étudiant.e.s m’ont toujours beaucoup appris, et là ça se vérifie chaque jour. On travaille avec elles et eux, autour de beaucoup de questions de représentation, d’identité, de luttes. Cela rejoint la ligne directrice de mon premier mandat, qui est de créer « en lien avec ce qui nous entoure », pour travailler à une hybridation des récits pour humains et non-humains, et de lancer une recherche autour de la forêt monde. 

Comment voyez-vous cela ?

Aurélie Van Den Daele : Il y a la première phase où on écrit un projet la deuxième où on concrétise cette écriture. En premier lieu, il faut apprendre à observer, regarder ce qui nous entoure, utiliser les ressources que le territoire limousin autour du CDN apporte afin de s’en servir comme d’un terreau au projet que je suis en train d’initier. Pour que les recherches pour ce projet, pour la politique du hors les murs puissent se déployer comme à la croisée de la décentralisation et du théâtre paysage. Et que tous les arbres du Limousin me servent à raconter les histoires dont je rêve. Pour « reboiser l’âme humaine. » Après un an, il y a la deuxième phase qui s’annonce : sur ce territoire-là, des récits m’ont paru absolument nécessaires à mettre sur le plateau, c’est l’objet de cette première programmation. 

Et comment souhaitez-vous que cela nourrisse votre programmation ? 
King Lear Syndrome d'Elsa Granat © Simon Gosselin

Aurélie Van Den Daele : Nous avons déjà mis en place un certain nombre de lignes de forces, dont la première est d’inviter le monde sur la scène, tel qu’il est dans sa pluralité pour que se côtoient sur le grand plateau du Théâtre de l’Union des récits et des contre-récits. Nos quatre artistes associé.e.s  sont auteurs et autrices vivants, présents, et travaillant, chacun.e à leur manière à des nouveaux récits :  Elsa Granat, Alice Laloy, Charlotte Lagrange et Gurshad Shaheman. Ensemble, nous travaillons à une œuvre collective. C’est un projet très stimulant, chacun apportant un regard, une écriture, une vision. En parallèle, de cela, Marylin Mattéi et Métie Navajo travaillent à des formes plus légères qui sont destinées aux élèves sortants en septembre dernier de la séquence 10. C’est une manière de les confronter à la réalité du métier en les accompagnant dans leur entrée dans la vie professionnelle. J’aimerais que l’on rassemble plus les deux lieux, à travers des projets transversaux faisant intervenir les équipes du théâtre et de l’école.  Je souhaiterais dans ce cadre proposer des spectacles atypiques et singuliers au sein du domaine où est installé l’école, cette une vieille bâtisse rurale, entourée d’arbres, située à une vingtaine de minutes du théâtre. Mais aussi dans des lieux sur mesure pour les écrits d’aujourd’hui. 

Est-ce que vous allez continuer la classe ultramarine qui prépare des élèves venus des territoires d’outre-mer aux concours des écoles nationales dramatiques ?

Aurélie Van Den Daele : Oui pour plusieurs raisons :  car c’est une des singularités de l’école de l’Union. Mais aussi car elle trouve sa nécessité dans son essence : comment le Théâtre doit ouvrir ses frontières alors que le monde les ferme. D’autant que le regard sur le monde de ces artistes en herbe, sur l’art dramatique, les manières de l’appréhender sont différents de ceux auxquels nous sommes habitués. C’est très enrichissant, cela permet une vraie diversité, d’ouvrir sur d’autres cultures, d’autres croyances, et de proposer d’autres hybridations artistiques. Les mythologies de la classe ultra-marine nous mettent en quête d’autres possibles. 

Votre projet est très tourné vers l’écologie… 
Glovie projet d'Aurélie van den Daele © Marjolaine Moulin

Aurélie Van Den Daele : C’est un enjeu crucial de nos sociétés contemporaines. Il me semble capital que ce soit un des axes du projet au sein du théâtre de l’Union. L’important pour moi est vraiment de penser à demain, de trouver des pistes de réflexions, afin de créer de manière vertueuse sans pour autant que cela limite les artistes. J’aimerais vraiment qu’autour de cela on invente de nouveaux récits, de nouvelles représentations, de nouveaux processus. 
Il s’agit de penser la forme comme le fond. Nous travaillons avec deux référentes écologie au théâtre pour déconstruire et repenser. 

Est-ce que c’était important pour vous de présenter l’un de vos spectacles à votre arrivée ? 

Aurélie Van Den Daele : Je crois que oui. C’est une manière de montrer aux limougeauds, aux habitués du lieu et à l’équipe, mon travail, ma manière d’aborder l’art vivant. C’est une chance que Christophe Floederer, qui a assuré presque un an l’intérim, ait laissé quelques créneaux. Cela m’a permis non seulement de présenter Angels in America de Tony Kushner, mais aussi les artistes que je souhaite associer au projet, comme le King Lear Syndrome d’Elsa Granat, notamment.  C’était aussi l’occasion de faire du théâtre, un lieu ouvert sur la ville, fédérateur et convivial. C’est en tout cas ce que l’on a essayé de faire avec l’ambiance pop rock année 1980. L’objectif est, donner envie aux gens qui n’ont pas forcément le réflexe de venir, de pousser les portes et de découvrir différemment les spectacles et tout ce qui va avec. C’est aussi pour cela qu’en parallèle, je souhaite vraiment décloisonner l’art dramatique, le faire sortir des murs, pour aller à la rencontre du territoire, qui est ici plutôt rural. 

Limoges est aussi connu pour son festival des Francophonies. Allez-vous continuer à collaborer au projet ? 
Je crée et je dis pourquoi ? d'Aurélie van den Daele © Théâtre de l'Union

Aurélie Van Den Daele : Bien évidemment. Nous espérons même renforcer les liens entre nos deux structures. Nous travaillons avec Hassane Kassi Kouyaté pour trouver les modalités de ce partenariat, de ce partage. Et un projet de collaboration est né en septembre dernier, un manifeste féminin Je crée et je vous dis pourquoi. C’était une déambulation sous casque à travers dix commandes à des autrices de la francophonie. Ça a été très fort d’entendre ces paroles là et de me dire que géographiquement les désirs créateurs féminins rencontrent des difficultés similaires…

Quelle sera votre prochaine création ? 

En février je mettrai en scène une « comète ». Les comètes sont deux formes produites, créées et répétées au Théâtre de l’Union-Centre dramatique national du Limousin. C’est une production liée à l’Estu école supérieure de théâtre de l’Union – anciennement académie de l’Union – , qui a pour but de favoriser l’entrée dans la vie professionnelle des interprètes de la séquence 10. Ma comète à moi est un texte de Marilyn Mattéi qui s’intitule Comme si. C’est une pièce sur la théâtralité, sur le deuil, mais qui n’est pas envisagé comme une rupture mais plutôt comme une continuité. Parce qu’on a voulu « tuer la mort » pendant la pandémie, faire tout pour qu’elle n’intervienne pas, Marilyn a écrit la nécessité d’en parler un peu, qu’elle soit symbolique ou réelle. Avec l’espoir que les spectateurs.trices  puissent sortir de la salle en prenant par la main un de leur mort, et que cela soit joyeux, porteur, constructeur et non morbide.  Dans le temps le plus long, je travaillerai sur une saga de Sidney Ali Mehelleb, un fou et vaste projet dont je parlerai très bientôt ! 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Je crée et je vous dis pourquoi. Cartographie au féminin du désir créateur. Une idée d’Aurélie Van Den Daele
Théâtre de l’Union 
Durée 1h30 environ 
Mise en scène d’Aurélie Van Den Daele
Commande à dix autrices Bibatanko (République démocratique du Congo), Gaëlle Bien- Aimé (Haïti), Marie Darah (Belgique), Daniely Francisque (France – Martinique), Maud Galet-Lalande (France), Halima Hamdane (France / Maroc), Nathalie Hounvo Yekpe (Bénin), Hala Moughanie (Liban), Emmelyne Octavie (France – Guyane), Johanne Parent (Canada – Québec)
Avec Sumaya Al Attia, Isabelle Girard, Léa Miguel, Marie Quiquempois, Diane Villanueva 
Conception technique et sonore – Grégoire Durrande, Nourel Boucherk
Création arts visuels de Claire Gaudriot
Création scénographie, costumes et lumière – L’équipe de l’Union

Crédit portrait © Marjolaine Moulin
Crédit photos © Marjolaine Moulin, © Simon Gosselin et © Théâtre de l’Union

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