La Douleur de Marguerite Duras. Dominique Blanc Patrice Chéreau - Thierry Thieû Niang © Simon Gosselin

Dominique Blanc, La Douleur à cœur

Au TNP, 14 ans après sa création, la 538e sociétaire de la Comédie-Française se glisse à nouveau dans les mots de Duras et dans la mise en scène de Chéreau. Accompagnée sur ce chemin de mémoire par le chorégraphe Thierry Thieû Niang, elle habite la scène, fait sienne La Douleur de l’écrivaine et tutoie sensiblement l’âme humaine.

Il y a des immanquables, des pièces qu’on ne peut rater, qu’il faut absolument avoir vu. La Douleur de Duras, mise en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang, fait partie de cette espèce-là, rare, précieuse, unique. Rien d’extraordinaire, pourtant, une comédienne seule au plateau, une table, quelques chaises, une pomme, des cahiers, des crayons, un texte. Mais voilà, sur les planches sont réunis l’évidente exception, une artiste rare, intense, une plume radicale, tranchante, crue, une adaptation au cordeau lumineuse, limpide, poétiquement crépusculaire.

L’âme de Duras 
La Douleur de Marguerite Duras. Dominique Blanc Patrice Chéreau - Thierry Thieû Niang © Simon Gosselin

Cheveux longs, raides, fins couvrant son dos, Dominique Blanc attend, mutique, le visage tourné vers le fond de scène. Immobile, imperturbable, elle attend le signal. Une lumière diffuse qui baigne le plateau d’une aura sombre, ombreuse. Dans un silence presque religieux, la voix claire de la comédienne fend l’espace, le replie au plus près d’elle. Plus rien n’existe, Il n’y a plus que cette femme aux gestes inquiets, tourmentés, au débit haché, à la présence oscillante entre pesanteur et évanescence. On en en avril 1945. Les derniers bastions nazis vacillent. Les alliés libèrent un à un les camps de concentration. Arrêté en juin 1944 pour faits de résistance, Robert A. a été déporté. Son épouse, M., attend son retour, l’espère dans une angoisse qui ronge son corps, son âme. Dans les mots retrouvés dans de vieux cahiers, publiés sous forme d’un journal en 1985, on retrouve tout Duras, son style concis, lucide, âprement poétique et sans concession.

Le fantôme de Chéreau 

Scénographie épurée laissant toute la place au jeu de la comédienne, direction d’acteur précise, sans apprêt, on reconnait la pâte Chéreau, son goût de l’exigence, du détail, de la virtuosité, de l’intensité. Pour le metteur en scène parti il y a presque dix ans, tout fait sens, vibre théâtre, émotion. En reprenant leurs notes, faute d’autres traces, Thierry Thieû Niang et Dominique Blanc tissent le récit d’une (re)création, un canevas mémoriel d’une justesse incroyable. Le travail, nourri à l’aune de leur expérience respective, du temps qui a passé, inscrivant d’autres histoires dans leur parcours artistique, est fidèle autant que porteur d’un nouveau souffle. L’ombre de Patrice Chéreau plane dans les silences, les intonations, le jeu de lumières. Il est là palpable presque vivant, se confond presque avec Robert A. Il est l’homme dont on aimerait tant attendre le retour d’outre-tombe.

La présence de Dominique Blanc guidée par Thierry Thieû Niang 
La Douleur de Marguerite Duras. Dominique Blanc Patrice Chéreau - Thierry Thieû Niang © Simon Gosselin

La Douleur ne serait pas si présente, si tangible, si ancrée au plateau sans la présence unique et irradiante de la comédienne et sans celle, discrète et bienveillante, du chorégraphe en coulisses. Vivant dans sa chair, les sentiments que traversent Duras tout au long de ces quelques jours où espoir et abattement se succèdent dans sa tête à un rythme effréné, Dominique Blanc est cette douleur sourde qui ronge âme et cœur. Elle la communique intensément au public, lui donne cette force incroyable qui telle une déferlante nous emporte avec elle, nous rappelle ce que fut la fin de la guerre, les camps, ses morts, ses déportés rentrés moribonds chez eux, leurs attentes physiques et morales.

Pièce ô combien utile, poignante et humaine, La Douleur est un devoir de mémoire nécessaire et vital. Un uppercut théâtral à prendre en pleine face !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Villeurbanne

La Douleur de Marguerite Duras
TNP-Villeurbanne 
8 place Lazare-Goujon
69627 Villeurbanne cedex
Jusqu’au 9 Octobre 2022
durée 1h10

Tournée
du 19 au 21 octobre 2022, Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale
le 25 octobre 2022, L’Archipel – Paris
les 8, 9 et 11 novembre 2022, Théâtre d’Avranches
le 18 novembre 2022, Théâtre d’Aurillac
le 20 novembre 2022, Scènes du Golfe, Théâtre Anne de Bretagne – Vannes
du 23 novembre au 11 décembre 2022, L’Athénée Théâtre Louis-Jouvet – Paris
du 13 au 18 décembre 2022, Théâtre des Bernardines – Marseille
le 23 mai 2023, Maison des Arts du Léman – Thonons-les-Bains
les 30 et 31 mai 2023, La Coursive – Scène Nationale La Rochelle
les 2 et 3 juin 2023, Théâtre National de Nice
du 6 au 8 juin 2023, MC2 de Grenoble

d’après la mise en scène deP atrice Chéreau et Thierry Thieû Niang
avec Dominique Blanc, sociétaire de la Comédie-Française
création et régie lumière Gilles Bottachi
régie générale Paul Besnard
le texte de Marguerite Duras La Douleur est publié chez P.O.L

Crédit photos © Simon Gosselin

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