Cédric Gourmelon © Thomas Faverjon

Cédric Gourmelon, le théâtre au plus près des populations béthunoises

Nommé en 2021 à la tête de la Comédie de Béthune, Cédric Gourmelon adapte corde. raide de debbie tucker green et évoque son projet. Rencontre.

Cédric Gourmelon © Thomas Faverjon

Nommé en 2021 à la tête de la Comédie de Béthune, pour succéder à Cécile Backès, le metteur en scène, formé à l’école du Théâtre national de Bretagne dans les années 1990, a, à cœur de sortir le théâtre de son institutionnalisme pour aller à la rencontre des différents publics. En ouverture de saison, il monte corde. raide de debbie tucker green, une œuvre sociale, engagée et percutante. 

Qu’est-ce qui vous a donné envie de postuler pour la Comédie de Béthune ? 

Cédric Gourmelon : C’est une région que je connais bien. Petit, je venais souvent, ma mère est de la région. Et puis je trouvais le défi à relever passionnant, poursuivre le travail de mes prédécesseurs et donner envie à tout un bassin de découvrir ce qu’est le théâtre, de ne pas en avoir peur, de ne pas croire que c’est un gros mot, que c’est quelque chose d’élitiste. Lille est à 45 km, mais nous n’avons pas du tout les mêmes problématiques, les mêmes enjeux. On ne peut pas travailler de la même façon. Béthune est un bassin économiquement et socialement sinistré. Le chômage et la précarité y sont malheureusement endémiques. La tâche n’est pas simple, mais comme le CDN est soutenu très largement par l’agglomération, cela m’a donné envie de venir m’installer ici et de développer un projet axé sur la démocratisation du théâtre et sur l’itinérance, un élément essentiel et on peut dire constitutif de la Comédie. 

Quelles sont les grandes lignes de votre projet ? 
corde. raide de debbie tucker green. Mise en scène de Cédric Gourmelon. © Simon Gosselin

Cédric Gourmelon : Afin de coller au plus près à la réalité sociale et économique du bassin Béthunois, il était important de travailler avec la centaine de communes faisant partie l’agglomération. En partenariat avec les collectivités territoriales, on a imaginé, pour cette nouvelle saison, six spectacles en itinérance et des ateliers théâtre, écritures, etc. Trois d’entre eux sont des créations spécifiques. Et pour qu’elles collent mieux aux territoires, j’ai souhaité solliciter les artistes associés au CDN, que sont Louise Vignaud, Baptiste AmannTommy MilliotThomas PiaseckiTiphaine Raffier et Jean-François Sivadier. L’objectif étant d’offrir des spectacles populaires et exigeants, des pièces qui leur parlent. C’est une belle gageure, un moyen d’aller à la rencontre du bassin de population, loin des formes traditionnelles et de la symbolique qu’est le lieu du théâtre. 

Depuis que vous êtes à la tête de la Comédie, avez-vous ajusté le projet ? 

Cédric Gourmelon : Avant mon arrivée pour préparer mon dossier de candidature, avec mon équipe, nous sommes allés durant plusieurs mois à la rencontre du terrain associatif, des gens. Nous avons pris le pouls du territoire, anciennement minier. Il était, à mon sens nécessaire pour construire une ligne artistique pertinente, en lien avec les préoccupations des habitants, mieux les connaître, savoir leurs centres d’intérêt, leurs envies, voir comment l’art vivant peut s’imbriquer dans leur quotidien. L’important étant de les faire revenir au théâtre. Un des constats que nous avons pu faire c’est qu’il y a un vrai attrait pour les classiques, notamment en raison des décors, des costumes. Les gens souhaitent, je crois, du divertissement, du spectacle, quelque chose qui les sorte de l’ordinaire. De ce fait, je trouvais intéressant de programmer des œuvres qui font partie de notre patrimoine mais mis en scène par de jeunes créateurs, évitant ainsi l’écueil d’un théâtre poussiéreux. Ainsi, tout au long de l’année, le public pourra entendre du Shakespeare, du Molière. Et un juin prochain, découvrir la dernière création de Pauline Bayle, une adaptation des Vagues de Virginia Woolf

Pourtant vous avez décidé de monter une pièce contemporaine ?
corde. raide de debbie tucker green. Mise en scène de Cédric Gourmelon. © Simon Gosselin

Cédric Gourmelon : Oui, car je reste persuadé qu’il est nécessaire de mixer les classiques et les contemporains, d’offrir aux spectateurs, une diversité de langues, de styles. Sur les 22 spectacles, sans compter ceux en itinérance, que nous programmons cette année, il y a un quart de classiques et trois quarts de contemporains. Pour ma part, en parallèle, de corde. raide, je présenterai de décembre à avril, au théâtre et en dans des différents lieux des environs Words… Words… Words… d’après les textes de Léo Ferré. Et puis l’œuvre de debbie tucker green, son écriture ciselée, concise, me semble nécessaire d’être montée, jouée. 

D’ailleurs, qu’est-ce qui vous a séduit ? 

Cédric Gourmelon : Justement, le fait qu’elle soit peu connue en France, que son travail reste encore confidentiel hors du Royaume-Uni. Et puis, il y a quelque chose de tellement aigüe, de tellement lucide dans sa manière de comprendre, d’analyser et de rendre le monde fracturé dans lequel on vit. C’est une gageure de l’adapter. C’est une autrice très prudente, qui fait très attention à la façon dont sont exploités ses textes. Noire, âgée d’une quarantaine d’années, assez radicale dans son regard sur la société, elle insiste pour que les traductions soient faites par des auteurs noirs, et qu’il y ait dans les distributions au moins un artiste noir. Ce sont des conditions sine qua none, qui ont toutes leurs importances. Je crois que c’est une histoire de regards, de parcours de vie, de ressentis. Quand on lit ses pièces, on est tout de suite happé. Il y a dans les respirations, les didascalies, une plongée en apnée, une tension qui surgit des mots, du phrasé très ciselé. Rien n’est laissé au hasard. L’autre grande force de son œuvre, c’est qu’elle ne parle jamais vraiment du sujet. Elle l’évoque toujours en creux. 

Comment traduit-on un tel texte ? 

Cédric Gourmelon : Cela demande un travail de longue haleine. Il a fallu près de trois ans à Emmanuel GaillotBlandine Pélissier et Kelly Rivière pour arriver à la version que nous allons jouer à la Comédie et qui est publiée aux éditions théâtrales. C’est d’autant plus ardu, que debbie tucker green utilise beaucoup d’expressions jamaïcaines qui ont peu d’équivalents dans notre langue. Mais honnêtement, le texte final est vraiment génial. Il rend tout à fait compte des intentions de l’autrice. J’en suis très heureux.  

Et comment le porte-t-on au plateau ? 
corde. raide de debbie tucker green. Mise en scène de Cédric Gourmelon. © Simon Gosselin

Cédric Gourmelon : Avec une précision d’horloger. L’exigence du texte nous y oblige. C’est une partition de musique. Tout est indiqué, de la durée des silences, à la manière dont doit se tenir un comédien, à la façon dont les paroles se chevauchent. J’avais rarement vu une telle méticulosité. Jusque dans le décor – un bureau, trois chaises, une fontaine à eau – tout est précisé. Cela demande à tous une concentration extrême, un travail à la table très long. C’est d’autant plus complexe, que chaque personnage à son propre langage. Ils ne parlent pas tous de la même façon. La victime, par exemple, contrairement aux agents administratifs, qui ont un discours assez vide et creux mâtiné de néologisme, a une faconde de plus en plus inventive au fil de la pièce. C’est comme si par ses mots, elle pouvait réinventer le monde, lui donner d’autres tonalités, d’autres couleurs, d’autres aspirations. 

N’est-ce pas trop contraignant ?

Cédric Gourmelon : ne dit-on pas que dans la contrainte, on trouve une liberté. C’est un peu de cet ordre. Malgré les carcans imposés par debbie tucker green, j’ai découvert tout un champ des possible et réussi à développer ma propre vision de l’œuvre. C’est assez jouissif de faire vivre dans un espace délimité son propre imaginaire.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

corde. raide de debbie tucker green
La Comédie de Béthune
Le Palace
138, rue du 11 novembre
62400 Béthune
jusqu’au 27 septembre 2022
Mardi, jeudi, vendredi 20h
Mercredi, samedi, lundi 18h30

Tournée
Le 28 février 2023 au Grrranit, Scène Nationale de Belfort

mise en scène de Cédric Gourmelon 
avec Lætitia Lalle Bi Benie, Frédérique Loliée et Quentin Raymond 
traduction d’Emmanuel Gaillot, Blandine Pélissier et Kelly Rivière 
scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy 
costumes de Cidalia Da Costa 
lumièresd’ Erwan Orhon 
son de Julien Lamorille

Crédit portrait © Thomas Faverjon
Crédit photos – corde. raide © Simon Gosselin

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