Hansel et Gretel, Caroline Arrouas, Festival Pampa © Chloé Signès

Au festival Pampa, le théâtre a le champ libre

Créé en 2015 à l'initiative d'élèves fraîchement sortis du CNSAD, le festival Pampa propose, pour la huitième année de suite, une programmation théâtrale composée à partir de créations originales du collectif Pampa ainsi que de compagnies invitées.

Hansel et Gretel, Caroline Arrouas, Festival Pampa © Chloé Signès

Créé en 2015 à l’initiative d’élèves fraîchement sortis du CNSAD, le festival Pampa a tenu sa huitième édition consécutive dans la campagne girondine. Ce rendez-vous unique propose une programmation théâtrale composée de créations originales du collectif Pampa ainsi que de compagnies invitées.

En s’aventurant dans les profondeurs du Pays foyen, territoire rural à cheval entre la Gironde et la Dordogne, apparaissent en bord de route des pancartes blanches indiquant le chemin vers le festival Pampa. Sur la petite commune de Port-Sainte-Foy-et-Ponchapt, le terrain appartenant à la famille du directeur artistique de cette manifestation, Matthieu Dessertine, est désormais dédié à la tenue annuelle de ces quelques jours estivaux dédiés au spectacle vivant. De part et d’autre du grand jardin sur lequel se déploient les six espaces de représentation, les bénévoles s’activent pour servir les boissons et les repas. Ce sont les mêmes visages que l’on retrouve sur scène lorsque les spectacles commencent : ici, tout le monde fait tout, des cuisines aux planches, même si la fréquentation augmente d’année en année.

De Sophocle à Dennis Kelly
Électre, Matthieu Dessertine, Festival Pampa © Chloé Signès

L’équipe de Pampa fait le pari d’intercaler dans son programme des classiques revisités et des textes d’aujourd’hui — notamment ceux des deux auteurs-metteurs en scène invités, Hugues Duchêne et Anna Fournier. Puisé dans le répertoire contemporain d’outre-Manche, Occupe-toi du bébé de Dennis Kelly offre quelques-uns des beaux moments de cette édition. Cette fiction de théâtre documentaire, composé à partir d’interviews imaginaires, gravite autour d’une histoire d’infanticide dont on recrée peu à peu les ramifications par témoignages entrecroisés. Le mystère ne réside pas dans un principe de whodunit qui concernerait les moyens et les acteurs qui ont mené à la mort de Megane et Jake, âgés respectivement de huit et cinq mois. La question, parallèle, concerne davantage l’existence et le fondement du syndrome de Leeman-Ketley, une pathologie assimilable à une paranoïa dont l’hypothèse est soutenue par le Dr. Millard pour expliquer le geste dont est accusée la mère, Donna. Autour de celle-ci se relaient une galerie de personnages — une grand-mère députée en campagne électorale, un journaliste sangsue, un mari mutique — dont la mise en scène épurée de Claude Leprêtre, centrée sur la parole, fait apparaître les complexités et l’ironie. La pièce est également portée par la figure en creux du dramaturge-enquêteur, incarné dans les gradins par un Matthieu Dessertine énigmatique, et par la performance particulièrement dense et intense de Marion Noone en mère infanticide, véritable coup d’éclat.

Après avoir monté Molière et Brecht en 2019 et 2020, le directeur artistique du festival s’intéresse cette année à Sophocle avec une adaptation d’Électre codirigée par Léon Bertolini, qui y campe un Égisthe décadent. La pièce surprend par le choix audacieux de Noée Abita dans le rôle-titre. En dépit de scories et d’imperfection certaines pour cette première montée sur les planches avec un si grand rôle, la fille d’Agamemnon est transfigurée par la dégaine fluette et fébrile de la jeune comédienne, sa voix haut perchée, presque brisée, et ses intentions étranges, à mille lieues de la grammaire de la tragédie grecque. Et si la mise en scène de Matthieu Dessertine mériterait d’être clarifiée, davantage affirmée dans son geste, que l’on regrette de voir le destin de la jeune rebelle noyé dans un trop-plein d’effets qui touche la lumière, le son comme l’agencement des présences au plateau, ce choix de casting risqué, qui va davantage chercher du côté du cinéma que du théâtre, constitue néanmoins l’une des propositions originales que nous attendons de cette programmation à part.

Théâtre de terrain
L'Ours, Florent Hu, Festival Pampa © Chloé Signès

Cette édition le prouve : l’emplacement du festival, son rapport à la nature et à un horizon large participe joliment à la réussite des pièces qui parviennent à l’épouser. Dans L’Ours de Tchekhov, reprise du succès de 2021 mis en scène par Florent Hu, la maison devient la propriété de Popova, la veuve éplorée que vient déranger Smirnov, un voisin venu réclamer une dette laissée par le défunt mari et que le valet Louka tente de chasser à grand-peine. Bonne idée que de jouer cette pièce, histoire de terres et de propriété, aux abords de la maison qui abrite le collectif. La plaisanterie en un acte du maître russe est saisie avec légèreté. L’intérêt de la mise en scène réside dans le découpage clair et ludique qui y est fait de cet espace ouvert de théâtre.

Enfin, la mise en scène de Hansel et Gretel, et chantent en grelottant de Caroline Arrouas aura marqué la plus belle appropriation de ce décor constitutif de l’ADN du festival. Disséminé sur trois plateaux dans un parcours itinérant justement dosé, ce spectacle jeune public nous amène à suivre ses personnages comme des visions hallucinées parmi les arbres. Le frère et la sœur, incarnés par Léonard Bourgeois-Tacquet et Valentine Catzéflis, soutenus par Basile Lacoeuilhe et Marion Lambert, se perdent et se retrouvent dans la forêt, se déplacent d’une scène à l’autre, s’échappent et apparaissent depuis le lointain en faisant usage d’une dimension fatalement rare au théâtre : l’horizon. Cette adaptation des frères Grimm est une expérience légère et libre, et nous réservons une mention spéciale pour le chœur d’enfants qui clôt la pièce.

La richesse du festival Pampa réside dans cette réinvention du rapport à la scène — à ce titre, l’impromptu proposé un soir par les étudiants de l’ESTBA au beau milieu des tables du dîner, parodie très gauloise de L’Iliade, aura eu un effet joyeux et inattendu. Si le collectif Pampa choisit légitimement de rendre accessibles des formes plus classiques, sur scène, comme une manière de démocratiser l’accès au théâtre d’un public enclavé, il doit également pouvoir continuer à miser sur des formats plus audacieux et expérimentaux, en épousant les possibilités offertes par ce qui constitue littéralement un champ libre. Formulons donc le vœu que se réalise le projet du collectif, qui consiste à se doter d’un lieu « en dur » afin de pouvoir travailler à l’année sur des créations originales et d’accueillir des compagnies venues d’ailleurs. Et prenons d’ores et déjà rendez-vous l’année prochaine pour suivre ces jeunes artistes remplis d’envie.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Port-Sainte-Foy-et-Ponchapt

Festival Pampa
539 route de Calabre
33220 Port-Sainte-Foy-et-Ponchapt

Du 19 au 29 août 2022

Occupe-toi du bébé de Dennis Kelly
Mise en scène : Claude Leprêtre
Avec Marion Lambert, Valentine Catzéflis, Anthony Boullonnois, Marion Noone, Léon Bertolini, Florent Hu, Léonard Bourgeois-Tacquet
Durée 2h

L’Ours d’Anton Tchekhov
Mise en scène : Florent Hu
Avec Florent Hu, Marion Lambert, Anthony Boullonnois
Durée 45 min

Électre de Sophocle
Adaptation : Matthieu Dessertine
Mise en scène : Matthieu Dessertine et Léon Bertolini
Avec Noée Abita, Matthieu Dessertine, Valentine Catzéflis, Léon Bertolini, Florent Hu et Anthony Boullonnois

Hansel et Gretel, et parlent en grelottant de Caroline Arrouas d’après le conte des Frères Grimm et du livret d’Adelheid Wette de l’opéra Hänsel und Gretel
Adaptation & Mise en scène : Caroline Arrouas
Avec Léonard Bourgeois-Tacquet, Valentine Catzéflis, Basile Lacoeuilhe, Marion Lambert
Durée 1h

Crédit photos © Chloé Signès

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