Twelve ton rose de Trisha Brown - Ballet de Lorraine © Laurent Philippe

Le Ballet de Lorraine entre deux feux créatifs 

À l'Opéra de Nancy, Petter Jacobsson fait s'affronter sur le ring du Ballet de Lorraine, Trisha Brown et Tatiana Julien, dans un programme explosif.

Place Stanislas, le Ballet de Lorraine investit l’opéra pour présenter son deuxième programme de la saison. Mixant les styles, Petter Jacobsson oppose au plateau la technicité virtuose et ascétique de Trisha Brown au « wtf » esthétique et faussement provoc’ de Tatiana Julien. Un véritable choc des cultures ! 

La nuit est tombée sur la ville. La place Stanislas brille de mille feux aux couleurs de L’Ukraine. Le bleu profond des bas-reliefs contraste avec le jaune lumineux qui éclaire les étages supérieurs des bâtiments construits au XVIIIe siècle. À l’intérieur de l’Opéra, les premiers spectateurs, sans masque, prennent place. La première sonnerie de rappel retentit. Le temps est venu de gagner la salle. Dans un silence quasi religieux, Youssef Ghali, secrétaire général du Ballet, présente les deux volets fort différents de cette soirée nancéenne. Après les mots de Petter Jacobson pour la paix, le spectacle peut commencer. 

Frugalité du mouvement, intensité du geste

Twelve Ton Rose de Trisha Brown  - Ballet de Lorraine © Laurent Philippe

Créé en 1996, juste après M. O., pièce imaginée d’après L’Offrande Musicale de Bach, Twelve Ton Rose est pensé comme un bréviaire de l’écriture de Trisha Brown. Conjuguant au sein d’un même texte chorégraphique un certain nombre d’extraits de ses œuvres passées, l’artiste américaine signe un spectacle total d’une rare intensité technique. Austère au premier abord, la grammaire de cette grande dame de la danse contemporaine révèle dans ses bras tendus, ses jambes déliées, l’infinie quintessence d’un art majeur. Tout est pensé au millimètre prés. Forçant les corps des danseurs à aller à l’encontre de la rythmique et du mouvement impulsés par la musique d’Anton Webern jouée en direct par l’Orchestre de l’Opéra National de Lorraine, elle donne à chaque mouvement une intensité, une rigueur d’une rare virtuosité.

En rouge et noir

Robe noire juste ornée d’un fil rouge pour les filles, tenue rouge pour les garçons, Trisha Brown prône l’épure, le contraste esthétique, la puissance graphique. Rien ne doit dépasser, ne doit perturber la lecture stricto sensu de son écriture. Une danseuse entre à gauche, exécute quelques gestes, un danseur la rejoint, vient la soutenir, puis s’évanouit dans les coulisses. Fait de disparitions et d’apparitions, l’œuvre de la chorégraphe née à Aberdeen, dans l’État de Washington, est un bijou de technicité et de perfection. En transmettant à neuf membres du corps de ballet cette pièce maitresse, Petter Jacobsson fait entrer au répertoire un savoir-faire, une exigeance rare. Impossible de tricher, la danse de Trisha Brown demande une minutie de tous les instants. Inscrivant dans l’espace chaque mouvement, pour mieux en maîtriser, en appréhender les contours, elle offre aux spectateurs un moment de grâce unique et bouleversant.

Le chaos et après 

Decay de Tatiana Julien - ballet de Lorraine © Laurent Philippe

Deux chorégraphes, deux ambiances. Après le travail en dentelle de Trisha Brown, place à l’œuvre chorale de Tatiana Julien. Avec Decay – pourriture en anglais – , la jeune artiste, qui, après avoir dansé pour Thomas Lebrun ou Nathalie Pernette, collabore régulièrement avec Boris Charmatz et Olivia Grandville, continue son œuvre éminemment politique et explore dans un travail d’improvisation l’après, le chaos, la fin du monde. Réfléchissant à un ralentissement du monde, à ses folles embardées, elle propose aux 25 danseurs du Ballet de Lorraine d’investir le pays des rêves et des fantasmes. Préférant la masse, le groupe à l’individualité, elle signe un show plus esthétisant que chorégraphique. 

Du « wtf » au pays de l’excellence

Contrastant en tout point avec Twelve Ton Rose, Decay convie au plateau une galerie de personnages étranges, touts issus du spectacle vivant. Ainsi le Faune de Nijinski virevolte autour d’une danseuse étoile. Un grenadier ayant perdu son pantalon est porté à bout de bras par un interprète en slip noir et muscles saillants. Toute cette joyeuse bande tourne, court et s’enlace en une transe très sexualisée. Le temps s’arrête. Les corps se figent pour mieux repartir. Faute d’une écriture soutenue, d’une grammaire ciselée, d’une dramaturgie pour soutenir son propos, Tatiana Julien signe un spectacle faussement provoc’, qui part un peu dans tous les sens. Certes le tableau final est d’une grande beauté, mais ne suffit pas à faire oublier les errances du début. Loin de convaincre, l’œuvre déroute au mieux, agace au pire. Quel dommage de ne pas s’être appuyé sur l’excellence de la troupe pour construire un spectacle moins foutraque, plus ciselé.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Nancy 

Programme 2 du Ballet de Lorraine 
Opéra national de Lorraine 
Place Stanislas 
54000 Nancy

Du 2 au 6 mars 2022 
Durée 1h30 avec entracte

Twelve Ton Rose de Trisha Brown 
Entrée au répertoire du Ballet de Lorraine 
Chorégraphie de Trisha Brown
Musique d’Anton Webern
Interprétation live par les Musiciens de l’Opéra national de Lorraine

Decay de Tatiana Julien 
Création pour le Ballet de Lorraine

Crédit photos © Laurent Philippe

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