Louis Barthélémy Jean-Louis Fernandez

Louis Berthélémy, ange explorateur de l’ordinaire 

Au théâtre du Soleil, Louis Berthélémy invite, avec Plouk(s), à plonger dans le quotidien d'un rade du Nord de la France. Rencontre.

Au théâtre du soleil, le comédien Louis Berthélémy se frotte pour la première fois à la mise en scène en adaptant très librement le recueil Plouk Town de Ian Monk et de l’histoire de Salah Oudjane, patron de l’emblématique café Le Bon Coin – Chez Salah dans le quartier de l’Union à Roubaix. Amant évanescent de Lagarce dans Le Pays lointain monté par Clément Hervieu-Léger ou amoureux transi chez Goldoni, le jeune artiste invite à une plongée vertigineuse dans le quotidien des habitants d’un quartier populaire. Un hymne à la vie, à la banalité, aux petits riens qui transforment l’usuel en extraordinaire. 

Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer de l’autre côté du miroir, de mettre en scène ?

Plouk(s) - Création librement inspirée du recueil Plouk Town de Ian Monk et de l'histoire de Salah Oudjane - mise en scène Louis Berthélémy Théâtre du soleil  © Christophe Raynaud de la Lage

Louis Berthélémy : Je crois que j’ai toujours eu envie d’explorer l’intégralité de ce qu’est le théâtre. Tous les corps de métier me concernent, m’intéressent, me passionnent : le jeu, l’écriture, la mise en scène, la lumière, le son, les costumes, la régie, la scénographie et même la production. Adolescent, j’ai commencé à écrire, j’ai commencé à me mettre en scène lors de stages ou expériences semi-professionnelles. J’ai rencontré des artistes qui m’ont poussé à le faire. Je crois que j’ai tout simplement envie de raconter des histoires, de partager mes visions du théâtre et de penser le monde. Que ce soit devant ou derrière les projecteurs. Il y a aussi l’aventure. L’aventure humaine et artistique qui est le socle de toutes mes envies.

Pourquoi avez-vous choisi de vous inspirer du recueil Plouk Town de Ian Monk et de l’histoire de Salah Oudjane ?

Plouk(s) - Création librement inspirée du recueil Plouk Town de Ian Monk et de l'histoire de Salah Oudjane - mise en scène Louis Berthélémy Théâtre du soleil  © Christophe Raynaud de la Lage

Louis Berthélémy : J’ai choisi de m’inspirer de Plouk Town car la première fois que j’ai lu ce recueil, l’écriture de Ian Monk m’a frappé par son rythme, son humour et sa poésie. Par la faculté à pouvoir oraliser et incarner cette langue si proche de ce que je connais et par conséquent la réalité que l’auteur dépeint sans concession et sans misérabilisme : la vie d’un quartier populaire du Nord de la France. Ce recueil m’a convaincu car j’y ai lu mon enfance, mon village, mes proches, mes inconnus, les quartiers, les rues où j’ai pu trainer adolescent et les rades que j’ai fréquentées. Que je fréquente toujours. 
L’histoire de Salah Oudjane car c’est une existence et une résistance qui m’ont profondément touché et remué. J’ai connu cette histoire grâce au documentaire Chez Salah, ouvert même pendant les travaux de Nadia Bouferkas et Mehmet Arikan, dont je me suis inspiré pour certaines scènes. Cet homme, arrivé de Kabylie dans les années 50, a résisté, suite au grand projet de réhabilitation de son quartier, contre les pressions immobilières, les pressions de rachat et d’expropriation pour garder son café. Là où il a passé toute sa vie. Autour de lui, le quartier, les usines, tout a été détruit. Il a été harcelé par les promoteurs, la mairie. On lui a coupé l’électricité, le gaz. Il n’a jamais cédé. Il est devenu une figure de résistance face à l’expropriation. Dans ma région nous avons une grande histoire ouvrière, une grande histoire de migration. Comme dans beaucoup d’autres régions du pays, c’est pour cela que je considère cette création comme universelle. Dans ce quartier, comme dans beaucoup d’autres donc, tout a été rasé, toute son histoire, car en supprimant les usines, les filatures, les peignages, les ateliers, les cités ouvrières on ne supprime pas simplement l’apparence et la fonction d’un lieu mais on supprime la vie des gens. Nous sommes dans un café. Comme le dit Honoré de Balzac le parlement du peuple. Un lieu inscrit dans un territoire, un lieu social, de rassemblement collectif, de rencontre et de parole. Ici, le seul endroit où il est encore possible de se raconter. 
Une partie de ma famille, du côté de ma mère, est originaire de Roubaix et mon grand-père a travaillé dans les filatures puis à la Grande Brasserie Moderne plus d’une trentaine d’années. Cette brasserie se trouve être juste devant le bistrot de Salah Oudjane. J’ai voulu raconter ces histoires et cette résistance avec tendresse, humour et humanité.

Comment avez-vous travaillé l’adaptation, le texte ? 

Plouk(s) - Création librement inspirée du recueil Plouk Town de Ian Monk et de l'histoire de Salah Oudjane - mise en scène Louis Berthélémy Théâtre du soleil  © Christophe Raynaud de la Lage

Louis Berthélémy : J’ai voulu créer un endroit entre réalité et fiction, entre le réel et l’invention. Faire de Salah Oudjane un personnage de théâtre et inventer, à partir de son histoire, de documentaires, de témoignages, de la poésie de Ian Monk, d’improvisations dirigées et d’écriture, la parole des habitants qui gravitent autour de lui. Il y a donc plusieurs strates d’écriture. Et, à part celle de Salah Oudjane, toutes les histoires sont fictives mais fortement inspirées par le réel. Ce n’est pas du théâtre documentaire mais du théâtre documenté.

Comment avez-vous choisi la distribution ?

Louis Berthélémy : Ce sont des ami.es. Nous avons toutes et tous fait le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Je voulais constituer une troupe et surtout une troupe d’humains, de personnes généreuses et sensibles. C’est ce que je cherche et veux trouver au théâtre : l’humanité, la générosité et le sensible.

Qu’est-ce que cela fait de créer dans l’emblématique Théâtre du Soleil ?

Plouk(s) - Création librement inspirée du recueil Plouk Town de Ian Monk et de l'histoire de Salah Oudjane - mise en scène Louis Berthélémy Théâtre du soleil  © Christophe Raynaud de la Lage

Louis Berthélémy : C’est comme s’accrocher à un bout de la grande Histoire du théâtre. Les œuvres de cette troupe m’ont permis de rêver le théâtre depuis mon adolescence. Jouer ici est un immense cadeau.
J’en profite pour remercier Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil de nous accueillir et de nous permettre de faire exister ce spectacle, de nous avoir offert l’autonomie mais aussi leur aide technique et une totale liberté pour expérimenter toutes nos envies et intuitions.

Que retirez-vous de cette expérience ?

Louis Berthélémy : Que je veux continuer à créer et à vivre ce genre d’aventure.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Plouk(s) – Création librement inspirée du recueil Plouk Town de Ian Monk et de l’histoire de Salah Oudjane
Théâtre du Soleil
Le Cartoucherie
route du champ de manœuvre
75012 Paris
Jusqu’au 13 février 2022
Durée 1h50

Mise en scène de Louis Berthélémy 
Avec Mael Besnard, Ahmed Hammadi-Chassin, Kenza Lagnaoui, Louise Legendre, Emma Meunier, Neil Adam Mohammedi, Edouard Penaud 
Collaboration artistique de Morgane Grandjean
Scénographie de Suzanne Barbaud
Costumes Pauline Juille
Lumières de Félix Depautex 

Crédit portrait © Jean-Louis Fernandez
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

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