Istiqlal de Tamara Al Saadi - TQI © Christophe Raynaud de Lage

Le corps violenté des femmes comme un livre d’histoire à cœur ouvert

Au TQI, Tamara Al Saadi esquisse le portrait de cinq générations de femmes irakiennes marquées dans leur chair par la colonisation et le patriarcat.

Au TQI, Tamara Al Saadi, artiste associée, esquisse le portrait de cinq générations de femmes irakiennes marquées dans leur chair, dans leur sang par la colonisation et le patriarcat. Cherchant dans les blessures secrètes, invisibles de ces mères, de ces filles, les stigmates d’un traumatisme passé, transmis silencieusement, elle signe une fresque familiale vibrante, déchirante.

Leïla est une jeune fille moderne, pleine de vie. Elle aime la musique, aller seule à des concerts, faire enrager sa mère. À l’ombre des non-dits maternels, elle grandit, s’invente une histoire, parle à une amie fantôme, la fille qu’elle rêve d’avoir. Sa rencontre avec Julien, un jeune photographe de guerre, qui rêve de reconnaissance et de gloire, va changer son existence, l’obliger à creuser au plus profond d’elle-même afin de découvrir ses racines, les bleus, les meurtrissures qui ont construit au fil du temps son identité. 

Les fantômes du passé 

Istiqlal de Tamara Al Saadi - TQI © Christophe Raynaud de Lage

Sur le berceau de Leïla, toutes les femmes de sa famille, sortes de fées spectrales, se sont penchées. D’un œil bienveillant, elles suivent chacun de ses pas, tentent d’influencer sa vie, lui éviter les déboires d’être fille dans un monde d’hommes, lui épargner les violences qu’elles ont subies. Que soit de la part des Colons conquérants, des pères dominateurs ou des maris possessifs, de l’arrière-grand-mère violée à la grand-mère battue à mort, toutes ont vu s’inscrire dans leur corps, dans leur chair, dans leur ADN, la barbarie masculine. Un héritage invisible, qui de génération en génération, pèse tel un poids mort sur ses vies meurtries, un cycle infernal que rien ne semble pouvoir rompre. Comment dans ces conditions s’émanciper, en finir avec cette malédiction ? 

Rêve(s) d’indépendance 

Se nourrissant de sa propre histoire, de celle de sa famille irakienne, Tamara Al Saadi explore avec une infinie finesse ses racines, les stigmates qui de mère en fille se transmettent par le sang. Questionnant la notion même de soumission, elle creuse jusqu’à l’os la sauvagerie des hommes, qui pour exister, se sentir fort, asseoir leur pouvoir, leur domination ont le besoin viscéral de posséder le corps de la femme, de le violenter, de le soumettre à leur désir et à leurs Lois. Devenues objets muets, elles n’ont d’autres choix que d’instiller à leurs descendantes, l’espoir d’un jour où elles gagneront leur indépendance – Istiqlal en arabe. 

Pièce kaléidoscopique 

Istiqlal de Tamara Al Saadi - TQI © Christophe Raynaud de Lage

Refusant toute chronologie, toute facilité dans son écriture, Tamara Al Saadi imagine un récit fait d’aller-retours permanent entre passé et présent. Au fil des mots, des bribes d’histoires faites de traumatismes autant que d’éléments heureux, elle brosse, avec poésie et délicatesse, des portraits saisissants de femmes, de battantes, de survivantes. Loin de toute complaisance, de toute schématisation, la metteuse en scène et dramaturge interroge le monde, sa complexité, ses différents points de vue et bouscule nos convictions, nos certitudes, nos idées toutes faites. 

Troupe vibrante

Istiqlal de Tamara Al Saadi - TQI © Christophe Raynaud de Lage

Porté par des comédiennes habitées – Lula Hugot est magistrale en mère loufoque, Tatiana Spivakova, démente en traductrice survoltée, Yasmine Nadifi épatante en fille imaginaire, Mayya Sanbar détonnante en jeune femme révolté rebelle, Marie Tirmont, vibrante de vérité en enfant prête à tout pour apprendre à lire, à écrire, Françoise Thuriès profondément humaine en mater familia– et des comédiens épatants, Istiqlal n’a rien d’une évidence. Il se dévoile par touche, par bribe pour mieux attraper, saisir le spectateur. Œuvre monstre, la dernière création de Tamara Al Saadi, lauréate 2018 du prix Impatience et de l’appel à projet « écritures du réel » 2020 du Groupe des 20, touche juste avec ce moment de théâtre qui conjugue avec beaucoup d’intelligence comédie et drame, légèreté et gravité, divertissement et profondeur de propos.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Istiqlal de Tamara Al Saadi
Théâtre des Quartiers d’Ivry 
CDN du Val-de-Marne
1 place Pierre Gosnat
94200 Ivry-sur-Seine
Jusqu’au 21 novembre 2021
Durée 1h45 environ 

Tournée
Le 23 novembre 2021 au Vivat, Armentières
Le 7 décembre 2021 au Théâtre de Rungis
Le 9 décembre 2021 au Théâtre Jacques Carat, Cachan
Le 14 décembre 2021 au Théâtre de Chevilly-Larue 
Le 14 janvier 2022 au Théâtre de Châtillon
Les 18 et 19 janvier 2022 à l’Espace 1789 de Saint-Ouen
Les 1er et 2 février 2022 au Forum Meyrin, Genève, Suisse
Le 5 février 2022 aux Passerelles, Pontault-Combault
Le 8 février 2022 aux Bords de Scènes – Juvisy-sur-Orge
Le 11 février 2022 au Théâtre de Goussainville 
Le 15 février 2022 à la Salle Jacques Brel, Pantin
Le 25 février 2022 à Châteauvallon-Liberté, Scène Nationale, Ollioules
Le 15 février 2022 au Théâtre de Corbeil-Essonnes
Les 21 et 22 avril 2022 Théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec
Les 3 et 5 mai 2022 à la MC2: Grenoble, Scène Nationale

Texte et mise en scène de Tamara Al Saadi assistée de Joséphine Lévy
Avec Hicham Boutahar, David Houri, Lula Hugot, Yasmine Nadifi , Mayya Sanbar, Tatiana Spivakova, Françoise Thuriès, Ismaël Tifouche Nieto, Marie Tirmont, Mouss Zouheyri
Collaborations artistiques – Justine Bachelet et Kristina Chaumont Chorégraphie de Sonia Al Khadir
Scénographie de Salma Bordes
Création lumière de Jennifer Montesantos
Création sonore de Fabio Meschini
Costumes de Pétronille Salomé
Vidéo d’Olivier Bémer
Décor – Les Ateliers du Préau

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

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