Chloé Moglia © Nans Kong Win Chang

Chloé Moglia, artiste en suspension

Tout le mois de novembre, la performeuse philosophe Chloé Moglia investit la Maison des Métallos. Portrait.

Circassienne philosophe, performeuse à l’esprit ciselé, Chloé Moglia conjugue art et réflexion sur le monde, sur l’environnement qui l’entoure. à l’écoute des battements du monde, de ses souffrances, de ses questionnements sur l’avenir, elle tisse au fil du temps une œuvre singulière que la Maison des Métallos à souhaiter faire partager en ce mois de novembre à l’occasion d’une CoOP.

Blonde aux yeux bleus, visage rayonnant, corps sculpté, sec, Chloé Moglia n’est jamais plus à l’aise que suspendue dans les airs. L’artiste circassienne trouve dans la tension de son corps, une liberté, une manière de faire abstraction des petits tracas du quotidien, pour mieux se concentrer sur ce qui est important, ce qui la touche, la bouleverse. Venue au cirque par nécessité de canaliser une énergie d’enfant débordante, plus que par une envie claire, précise, une volonté d’en faire son métier, l’artiste a su s’échapper très tôt des sentiers battus, des évidences, pour se faufiler dans les interstices d’un art multiple et ouvert sur le monde. « C’est une chose étrange, confie-t-elle. Avant de faire du cirque, j’ai d’abord fait de la gym. N’ayant pas l’esprit de compétition, le besoin de me déplacer vers une pratique sportive très physique, très corporelle m’est très vite apparu. Je cherchais un endroit moins normé où on développe encore et toujours la capacité de grimper aux arbres, de virevolter, où l’on ne perd jamais le côté festif, enfantin, même quand l’on grandit. »

Sport et lecture

L'oiseau ligne de Chloé Moglia © Alain Monot

Tournée vers la nature, des questionnements liés à la vie, aux interactions entre les êtres, mais aussi avec tout ce qui les entoure, Chloé Moglia ne cherche pas tant à faire spectacle qu’à explorer avec le spectateur ,émotions, sensations. « J’ai besoin, explique-t-elle, d’éprouver mon corps, de le maintenir en suspension, de me soulever dans les airs, de libérer à travers la tension de mes muscles une expression, un sentiment, une idée, une pensée. » Parallèlement à cela, la jeune femme a toujours eu dans un coin de sa tête, le désir de lectures, de se laisser porter par des textes forts, des écrits philosophiques. Lectrice acharnée, elle nourrit son esprit, en développant sa pratique intellectuelle, une mécanique cérébrale.

Du trapèze à la philosophie du mouvement

Après le bac, Chloé Moglia se forme au trapèze d’abord à l’Enacr à Rosny-sous-Bois, puis au Cnac à Châlons-en-Champagne. Elle en éprouve très vite les limites et s’intéresse en parallèle à l’art énergétique, à la pratique de l’ attention et des arts martiaux. Riche de ses lectures, de son goût pour l’éclectisme, elle cherche dans son geste artistique à prolonger ses réflexions, à interroger ses préoccupations philosophiques, anthropologiques ou environnementales. « Quand je suis au plateau, que je suis suspendue, raconte-t-elle, je transpire mes lectures, je suis prise par des sujets qui emplissent mon cerveau, qui interrogent ce que je suis, dans quel monde je vis, comment je peux mieux « relationner » avec qui m’entoure. J’interroge la notion de temps, de poids. Je questionne le souffle, ma manière de respirer. Suspendue, j’ai la sensation de ressentir puissamment les flux qui m’environnent, l’air qui circule. Je me reconnecte au vivant… » 

Une obsession devenue geste créatif 

L'oiseau-Lignes de Chloé Moglia © Vinvella Lecocq

En tant que telle, la suspension n’est pas une pratique de cirque. Ce n’est pas un agrès. C’est un domaine à part, une sorte d’obsession qui est devenue une nécessité pour Chloé Moglia, une manière pour elle de creuser les questions existentielles et philosophiques qui la traversent en permanence. « Quand mon corps est en tension, dans les airs, en proie au vide, explique-t-elle, je trouve des occupations, des points d’intérêt, loin de tout ce que l’on m’avait enseigné. J’ai dans cette pratique enfin trouvé mes propres sujets d’expérimentations. Il y a derrière tout cela une vraie promesse de tous les possibles. » 

Au plus près du précipice 

À ses débuts d’artistes indépendantes, Chloé Moglia travaille en collaboration avec la circassienne Mélissa von Vépy. Toutes deux ont le même désir de déplacer leur pratique vers un ailleurs moins formaté, moins normé, d’interroger ce qui fait sens dans le fait d’être suspendue. « À l’époque, se souvient-elle, nous regardions beaucoup Vertigo d’Alfred HitchcockNous étions fascinées par cet homme suspendu à une gouttière, qui se trouve confronté à cette nécessaire ténacité d’aller jusqu’au bout de lui-même sinon le vide en dessous le guette, près à l’avaler. C’est devenu le point de départ de nos créations, des histoires que nous voulions raconter. » Simplifiant le geste, le décorum, Chloé Moglia travaille de plus en plus avec de simples lignes dessinées dans les airs, dans l’espace. Elle imagine un parcours. Elle invente un récit fait non de mots mais de respirations, de tensions. 

Deleuze à l’oreille

L'oiseau ligne de Chloé Moglia © Alain Monot

Guidée par ses lectures, Chloé Moglia a longtemps répété en écoutant les cours de Deleuze à Vincennes. « Je pouvais passer des heures, se remémore-t-elle, l’entendre parler des heures, questionnements notamment la notion de balancier, quand il dit que le mot en allemand signifie inquiétude. C’est passionnant.  Cette charge de sens, d’imaginaire, est une réalité augmentée par un désir de connaissance qui me porte, m’inspire, me nourrit. Pour moi c’est plutôt un ensemble de pratiques, qui génère une idée, un spectacle, une conférence, une performance. » 

Un mois au Métallos

Midit Minuit de Chloé Moglia © Vas Y Paulette

Dans le cadre du projet CoOP des métallos, l’artiste présente un certain nombre d’œuvres et d’expérimentations permettant d’appréhender son travail sous toutes ses formes. Dans un premier temps, elle propose une performance qui réunit deux spectacles existants pour éprouver la suspension et se promener de manière spectaculaire dans les arcanes du risque. C’est une manière pour l’artiste de montrer au public un ensemble de gestes artistiques qui se sont construits au fil du temps. « J’aime bien cette idée de revenir sur des choses déjà existantes, explique-t-elle. Je reste persuadée que la création s’est toujours une sorte de recyclage, une manière de regarder ou de découvrir autrement une performance, un spectacle, une idée. » En parallèle, Chloé Moglia travaille avec la musicienne, Marielle Chatain, sur l’espace, le son et le temps. Dans La Ligne, s’appuyant sur les musiques jouées en direct, l’artiste traverse les métallos, grâce à une longue ligne placée à quelques mètres au-dessus des spectateurs. De cette manière, elle entre en contact direct avec eux, questionnant ainsi de manière prégnante la notion d’attention à l’autre, de danger. « Ensemble, raconte-t-elle, nous avons pensé une sorte de Dancefloor au ralenti, qui permet d’être à l’écoute de l’autre, à laisser le temps à nos sens d’entrer en éveil, à l’imaginaire de se construire. J’ai aussi, à l’occasion de cette invitation, pensé un jardin des attentions partagées où chaque visiteur pourra écouter son cœur battre grâce à des brassières équipées de stéthoscope. Dans ce monde qui va comme trop vite et parfois trop lentement, il est temps de prendre le temps autrement, de réfléchir, d’accepter, un temps, de ralentir, d’écouter d’autres rythmes du vivant. »

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

CoOP – Chloé Moglia
Maison des Métallos
94 Rue Jean-Pierre Timbaud
75011 Paris
jusqu’au 25 novembre 2021

Crédit photos © Nans Kong Win Chang, © Alain Monot, ©Vinvella Lecocq et © Vas Y Paulette

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