Le temps d’aimer 2021, la danse tous azimuts

Après une édition tronquée et chamboulée par la covid, le festival biarrot le Temps d’aimer la danse revient plus éclectique que jamais.

Après une saison tronquée et chamboulée par la covid, le festival biarrot le Temps d’aimer la Danse revient plus fort et plus éclectique que jamais. Sous l’impulsion de Thierry Malandain, directeur artistique de l’événement, l’édition 2021 fait la part belle à la scène française tout en conjuguant dans sa programmation, danse médiévale, tribale, hip-hop et néoclassique un brin décalé. 

C’est l’été indien à Biarritz. Un vent chaud souffle dans les rues touristiques de la cité balnéaire. Il suffit de jeter un œil sur les plages bondées du centre-ville, pour se convaincre que l’automne n’est pas encore totalement là. Pas le temps de farnienter face à l’océan, Le Temps d’aimer la danse propose aux festivaliers, aux locaux, aux badauds de multiples activités gratuites pour se familiariser avec la discipline ou tout simplement découvrir les coulisses d’une création en assistant à des répétitions. Pour les curieux, la compagnie Christine Grimaldi invite à un voyage à travers le temps, Crypte Eugénie. Puisant dans les danses d’antan, une matière chorégraphique entre folklore et tradition, l’artiste entremêle passé et présent. 

Autoportrait d’Hamid Ben Mahi
Chronic(s)2 de et avec Hamid Ben Mahi
Cie Hors-Série  © Pierre Planchenault

Un peu plus tard, en fin de journée, Au Colysée, Hamid Ben Mahi revient vingt ans après sur les pas du premier solo produit par sa compagnie Hors-Série. On est en 2001, les tours du World Trade Center viennent de s’effondrer, dans un studio de répétition, le jeune chorégraphe travaille, en collaboration avec Michel Schweizer, à l’écriture d’un spectacle construit autour d’anecdotes vécues, de son parcours de danseur. Reprenant le même concept, il tisse deux décennies plus tard, une autre histoire, marquée par des années de pratiques et d’expériences, mais dont les ressorts sous-jacents semblent de la même veine. Questionnant le monde qui l’entoure, sa place même dans le monde de la danse d’aujourd’hui, le regard de ses proches, de sa mère, de ses fils sur son travail, il esquisse un curriculum vitae, un récit singulier parfois maladroit, mais toujours sincère et lucide, qui prend vie magnifiquement quand il se met à danser. Le geste précis, le mouvement fluide, il attrape, saisit, illumine la scène par sa grâce féline, sa présence irradiante. Il suffit de peu, un resserrement par -ci, une coupe par-là, pour que Chronic(s) 2 touche juste et nous rappelle la dureté de ce métier, sa difficulté, que la crise sanitaire n’a rien arrangée.

La jeune garde fait son show

Au Casino, la compagnie Dantzaz, structure associée au Malandain Ballet Biarritz qui œuvre à la professionnalisation des jeunes danseurs, proposent  un programme de trois pièces, deux écrites en 2019 par Martin Harriague, artiste en résidence de l’institution Biarrote, et une du répertoire, créée en 1996 par Thierry Malandain sur une musique originale de Georges Antheil. La soirée fait la part belle à l’écriture très ciselée, très exigeante des deux chorégraphes. Duo, pièces de groupe, Fossile, Ballet mécanique ou Walls semblent s’inspirer de l’air du temps, d’une ambiance, celui des amours contrariées, de la mélancolie d’un monde en perdition, d’une forme de taylorisation des comportements humains, de la peur de l’autre, des barricades que l’on construit pour s’isoler, se refermer sur soi. 

La danse macabre de Martin Harriague
Fossile de Martin Harriague. Le temps d'aimer. Malandain Ballet Biarritz. Dantzaz © Caroline d'Otero

S’appuyant sur des airs de Franz Schubert, le jeune prodigue, né à Bayonne en 1986, invite à une rêverie écolo-fantasmagorique, à un pas de deux entre la vie et la mort. Créé au Korzo Den Haag, en septembre 2019, Fossile est une pièce en clair-obscur, en impression de noir. Sur scène, une silhouette ciselée d’ombres, de lumières, fait face à un immense monolithe recouvert de plastique, rappelant celui emblématique de 2001, Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Que peut donc cacher cet étrange objet, une humanité en perdition, les restes d’une planète que l’homme a abîmé, souillé ? Tout est possible, à chacun de laisser libre cours à son imagination. Une question toutefois fait jour. Est-il possible de réanimer ce qui n’est plus ? L’amour est-il vraiment plus fort que tout ? L’accord parfait entre Pauline Bonnat et Julen Rodriguez Flores donne une réponse étonnante, celle d’un possible Éden retrouvé. De sa plume inventive, poétique, Martin Harriague signe une œuvre très imagée, profondément esthétique qui invite à un rêve éveillé, sépulcral de toute beauté. 

Danse à la barre 
Ballet mécanique de Thierry Malandain. Le temps d'aimer. Malandain Ballet Biarritz. Dantzaz © Caroline d'Otero

Après un petit entracte, retour au classique, la troupe du Dantzaz reprend une pièce emblématique du répertoire Malandain, le Ballet Mécanique. Sacré challenge pour cette jeune garde venue de Saint Sébastien, de l’autre côté de la Bidassoa, qui ne choisit définitivement pas la simplicité. Très technique, très millimétrée, l’écriture de Thierry Malandain demande une virtuosité, une précision de tous les instants. Malheureusement, et ce malgré un très bel engagement des huit jeunes danseurs, le combat intérieur de chacun des interprètes avec le temps, l’époque, la standardisation du monde, dans le ring formé par les barres de danse, manque quelque peu de corps pour totalement fasciner. Reste toutefois, l’ambiance surréaliste de l’œuvre originelle, ce lyrisme mélancolique, cette inquiétude sur la marche de nos sociétés de moins en moins humaines, de plus en plus solitaires. 

Trump bashing
Walls de Martin Harriague. Le temps d'aimer. Malandain Ballet Biarritz. Dantzaz © Caroline d'Otero

Fourmillant d’idées, se nourrissant de l’actualité brûlante quitte à dater ses créations, Martin Harriague invite dans ce dernier opus à une réflexion sur le nationalisme à tout crin, sur la peur de l’autre, sentiment qui gagne comme la gangrène les bastions de la civilisation occidentale. Partout, on se barricade. À l’instar de Trump et de son fameux mur entre les États-Unis et le Mexique censé freiner l’immigration, nombreux pays ferment leurs frontières. Se moquant ouvertement de l’ancien président américain, le jeune chorégraphe brode une histoire des murs à travers le monde, de la chute de celui de Berlin, à celui qui sépare la Palestine à l’Israël. S’inspirant des danses de chacune des contrées traversées, il imagine une sorte de ballet kaléidoscopique où s’entremêlent danse burlesque, farcesque et pas de deux doux, ouaté. Un peu bavard, les traits trop appuyés dans la caricature trumpiste atténuent la portée de cette œuvre chorale qui déploie en filigrane le talent fécond d’Harriague. 

La messe noire de Robbe
Sollicitudes d'Hervé Robbe & Jérôme Combier
L'ensemble Cairn
Le temps d'aimer 
Malandain Ballet Biarritz © Stéphane Bellocq

Le lendemain, en fin de journée, à la Gare du Midi siège du Malandain Ballet Biarritz, Hervé Robbe présente Sollicitudes, sa dernière création. Dans une ambiance sombre, le chorégraphe imagine, avec la complicité du compositeur Jérôme Combier, une sorte de grand-messe, où prêtes et prêtresses vêtus d’étranges tenues noires, conçues par la désigneuse, Jeanne Vicerial, offrent une danse sacrée à un dieu, une déesse, un totem, placés en fond de scène. Sèche, rigide, anguleuse, la pièce laisse le spectateur à distance sans jamais l’attraper. Un autre cadre, un autre espace plus adéquat pourrait peut-être y insuffler la vie.

Le séjour biarrot s’achève, l’eau fraîche de l’océan n’est bientôt plus qu’un souvenir. Le Temps d’aimer, rendez-vous immanquable de la rentrée chorégraphique, fait son œuvre, invite à la découverte, aux songes. Véritable moment suspendu en ce début de saison particulièrement pléthorique, l’événement est, comme chaque année, une bulle d’oxygène, une balade qui permet de prendre le pouls de la création.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Biarritz

Le temps d’aimer la Danse
Biarritz
du 10 au 19 septembre 2021

À la plaisance de la Compagnie Christine Grimaldi
Durée 1h environ

Chronic(s)2 de et avec Hamid Ben Mahi
Cie Hors-Série
Durée 1h environ

tournée
Le 20 novembre 2021 a Théâtre Louis Aragon, Tremblaye en France
Les 23 et 24 novembre 2021 aux Scène nationale Carré-Colonnes, Blanquefort
Les 3 et 4 mars 2021 à la Passerelle, Gap
Le 6 mars 2021 au Théâtre de l’Avant-scène, Cognac

Le 29 avril 2021 au Centre culturel Robert Desnos, scène Nationale de L’Essonne, Ris-Orangis

Ballet Mécanique de Malandain et Walls & Fossile de Martin Harriague
Cie Dantzaz
Durée 1H45 avec entractes

Sollicitudes d’Hervé Robbe & Jérôme Combier
L’ensemble Cairn
Durée 1h00

Crédit photos © Caroline d’Otero, © Pierre Planchenault, © Stéphane Bellocq

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