Des nouvelles de la Biennale de la danse

La biennale de la danse de Lyon a du être reportée au printemps 2021. Dominique Hervieu, sa directrice, revient sur les coulisses de cette décision salutaire.

A l’heure où la France déconfine, mais où les perspectives de réouverture des salles de spectacles restent encore floues, Dominique Hervieu, directrice de la Maison de la Danse et de la Biennale de la danse à Lyon, n’a eu d’autres choix que de déplacer de l’automne 2020 au printemps 2021, la Biennale de la danse. Pleine de ressources, elle réinvente ce festival international, né dans les années 1980 et l’adapte aux vues de la situation sanitaire actuelle. 

Comment vivez-vous cette période faite de beaucoup d’incertitude pour l’art vivant ? 

Dominique Hervieu : Du mieux qu’on le peut en cette période de sauvetage. C’est vrai que ce n’est pas évident de naviguer à vue, mais il est important de garder notre bonne humeur et notre optimisme. Pour l’instant, certes, nous avons dû annuler la tenue du festival en septembre, mais nous avons trouvé une solution de repli. Actuellement, l’hypothèse retenue et validée par les différents partenaires, dont le principal est la Métropole de Lyon, est un glissement des manifestations. La Biennale de danse devrait se tenir en mai prochain et celle d’art contemporain, initialement prévue à l’automne 2021, est déplacée en 2022. Ce qui entraîne un décalage des emplois du temps sur le long terme. Ces décisions sont la suite d’une succession de scenarii envisagés depuis l’annonce en mars dernier du confinement. 

Tout a commencé par l’obligation de reporter tous les spectacles et événements en rapport avec la création africaine, particulièrement présente cette année en raison notamment de notre implication dans la saison Africa2020. Très vite, nous avons pris la décision de repousser au printemps 2021 pour être en phase avec le reste des manifestations prévues dans le cadre de ce sommet unique, initié par Emmanuel Macron et dédié aux 54 États du continent africain. L’important pour nous était aussi de ne pas trop tout chambouler. Travaillant avec des collèges et des lycées, tout particulièrement pour le fameux défilé, il fallait rester dans la même année scolaire afin que ce soit les mêmes personnes qui puissent participer. Quitte à reporter cet évènement en mai, il m’a semblé logique d’y accoler aussi tous les spectacles provenant d’artistes africains comme ceux de Germaine Acogny, de Qudus Onikeku ou de Serge Aimé Coulibaly et ainsi de créer un pôle artistique au printemps. 

Par ailleurs cette année, j’avais pris la décision d’innover en faisant de la Biennale, une manifestation inclusive aux anciennes usines Fagor. Dans ce cadre, j’ai demandé à différents chorégraphes nationaux autant qu’internationaux, comme Noé Soulier ou Tamara Cubas, d’investir la friche et de créer in situ en collaboration avec le conservatoire, les lycées, les collèges ainsi que les écoles d’art de la ville. L’objectif est de mettre en avant le travail de jeunes artistes en herbe. Avec le confinement, nous avons dû stopper ce projet et le reporter aussi en mai prochain. Cette décision était incontournable. Alors que j’avais d’abord envisagé une biennale en deux temps, très vite, les conditions sanitaires, les règles de sécurité, limitant les déplacements internationaux et interdisant les répétitions, les résidences, m’ont contrainte très rapidement à tout décaler en 2021. Réunissant des artistes confinés aux quatre coins du monde, et qui n’ont pour l’instant pas la possibilité de voyager, il était devenu impossible de maintenir en septembre la plupart des spectacles. Les exemples les plus flagrants sont Marlene Monteiro Freitas bloquée à Lisbonne, alors qu’elle doit travailler avec des interprètes allemands, ou François Chaignaud travaillant via Skype avec Akaji Maro, coincé au Japon. Actuellement, il est impossible de savoir quand les répétitions pourront démarrer. Malgré la bonne volonté de tous de créer, il était salutaire de tout repousser. 

Quelles sont vos contraintes d’un tel report via vos partenaires ? 

Dominique Hervieu : Elles sont bien évidemment multiples, car nous travaillons avec 55 lieux dans 41 villes. Il fallait donc qu’avec l’ensemble de nos tutelles nous soyons tous d’accord. L’important étant de ne pas annuler, nous avons pris le temps de discuter pour que ce glissement de septembre à mai soit possible. Dans certains cas, pour certains spectacles, nous sommes toujours en train de parlementer pour que les 45 spectacles prévus (soit 161 représentations) puissent avoir lieu. La Biennale dépend tout particulièrement de la Métropole de Lyon, mais aussi de la Région et de la Ville de Lyon pour le Défilé. Toutes les décisions prises, le sont avec leur aval. L’articulation avec l’ensemble des partenaires doit se faire à l’unisson. Ma principale crainte était que certains lieux ne rouvrent avant un certain temps. Une de nos missions étant la diffusion des œuvres sur tout le territoire régional, ce report comportait beaucoup d’inconnues, mais il était plus que nécessaire. A l’heure actuelle, il reste encore des incertitudes, mais nous travaillons tous ensemble pour préserver au mieux la programmation. Malheureusement il y aura un peu de perte, due notamment à la baisse du mécénat, mais il y a aussi de beaux effets collatéraux inattendus à ces collaborations. Par exemple, la création de Robyn Orlin, avec la chanteuse Camille et le chœur sud-africain Phuphuma Love Minus, qui devait avoir lieu en mai à la Philarmonie à Paris, puis être présenté en septembre à l’Auditorium-Orchestre national de Lyon, fait l’objet d’un partenariat avec les Nuits de Fourvière. En accord avec son directeur, Dominique Delorme, le spectacle fera l’ouverture de ce prestigieux festival. Échange de bon procédé, le dernier spectacle de Josef Nadj, avec huit danseurs africains, qui devait voir le jour cet été, le 25 juin, fera aussi en juin 2021 l’objet d’un partenariat. En ces temps de solidarité entre institutions, ce n’est pas la seule collaboration qui va voir le jour. Nous avons noué des liens étroits avec Jean Bellorini, nouvellement arrivé au TNP. Finalement, cette crise a pour principal effet de resserrer les attaches entre les différents arts, comme avec le MAC de Lyon et les différents directeurs des structures artistiques lyonnaises. 

Quels sont d’ailleurs ces gestes barrière et sont-ils compatibles avec la pratique de la danse ? 

Dominique Hervieu : Ils sont particulièrement compliqués voire inadaptables à la pratique de la danse et du cirque, qui sont des arts de la relation et du corps. Dans ces pratiques, il n’y a pas de matières, d’instruments autres que le corps. En effet, pour travailler, les interprètes doivent bien évidement porter un masque, mais aussi se tenir à quatre mètres les uns des autres et éviter les contacts. C’est impossible de répéter et de créer dans ces conditions. Toutes les explorations chorégraphiques ou circassiennes sont, dans ce cadre bien particulier, empêchées. Ce sont même des mesures contrenatures à mon sens, car l’on va à l’encontre des processus de création de rencontre et de dramaturgie. On demande aux artistes d’être inventifs, mais il faut aussi acter que pour avancer dans un projet, on ne peut pas être tout le temps dans la contrainte. Tout le monde ne peut pas sortir des œuvres formalistes où les danseurs ne se touchent pas et qui répondent à une esthétisation ou un principe spatial extérieur à la pratique. Certes, certains peuvent être intéressés à travailler cette matière liée à l’actualité. Ce n’est pas le cas de tous. D’autres ont des démarches où la distanciation n’est pas dans leur mode d’expression. Les artistes explorent à travers les mouvements leur imaginaire, leur sensibilité. Ils ont donc besoin d‘une liberté totale pour écrire. Seuls ils peuvent s’imposer des barrières. 

Du coup, est-ce que cette situation singulière a modifié les œuvres proposées par les artistes ? 

Dominique Hervieu : Évidement, tous sont marqués par ce qui se passe, par cette pandémie mondiale. Tous sont finalement soulagés par le fait que nous avons très tôt acté le report de l’événement. Cela leur permet d’avoir du recul par rapport à leur travail. En septembre, nous devions avoir 28 créations. Mon objectif, aujourd’hui, est de permettre qu’elles aient toutes lieu. Après, il est évident qu’il faut repartir au plus vite et au mieux dans la réflexion et la pratique artistique, être aux côtés des artistes, leur permettre de réaffirmer leur identité, laisser libre cours à leur passion. Du coup, en accord avec tous, partenaires, coproducteurs et compagnies, nous avons décidé qu’il n’était plus question de mettre en avant le fait que les premières devaient avoir lieu à Lyon à l’occasion de la Biennale. Cette contrainte levée a permis de resserrer l’étaux, aux calendriers des créations de s’assouplir et ainsi d’offrir aux artistes d’être dans de bonnes conditions pour travailler leur œuvre future. Étant en contact permanent avec le chorégraphe, je sais que Marlene Monteiro Freitas, par exemple, a fait évoluer sa pièce en y intégrant la crise que nous traversons, comme matériaux artistiques. Après, il est évident que nous sommes tous poreux au monde, donc bien évidemment ? que ce que nous verrons éclore en mai prochain sera dans certains cas mâtiné de ce moment inédit et tragique.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Crédit photo © Blandine Soulage-Rocca, © Thanh Ha Bui, © thesupermat – Wikimedia Commons et © Blaise Adilon

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