La jalousie dévorante et funeste de la pure Tosca

Au théâtre des Arts à Rouen, David Bobée donne corps à une Tosca tout en résistance et sensualité.

A l’opéra de Rouen, David Bobée s’empare de la tragédie de Puccini et esquisse le portrait d’une femme amoureuse, d’une Prima Donna brisée par le pouvoir. Face à la folie des puissants, l’amour force le courage, l’art transcende la bravoure mais aucun n’évite la barbarie.

Dans un décor de briques rappelant les magnifiques nefs gothiques tels les intérieurs de palais toscans, Tosca (époustouflante Latonia Moore) file le parfait amour avec son beau Cavaradossi (étonnant Andrea Carè), un peintre de cour quelque peu subversif. Tout irait pour le mieux, si la Prima Donna, dont les yeux noirs et la voix de velours, ensorcelant les hommes, n’était pas d’une jalousie maladive. Pieuse, pure, elle aime sans restriction, et ne supporte pas qu’une autre femme approche son cher cœur.

Péché de chair

Les deux tourtereaux roucoulent alors que dehors c’est la guerre. Rome est menacée. La cité est à deux doigts de tomber dans les griffes de Bonaparte. L’autorité royale, incarnée par le puissant et autoritaire Scarpia (détonnant Kostas Smoriginas), a mis aux fers ses ennemis politiques et Il fait régner une ambiance de suspicion, de tyrannie. Désireux de posséder Tosca, il cherche par tous les moyens à la contraindre, allant même à mettre dans la balance la vie de son amant.

Obscur objet de désir

En adaptant l’une des œuvres les plus emblématiques de Puccini, David Bobée, fervent féministe, fait parfaitement écho à l’actualité. L’ancrant dans un monde contemporain, il fait de Tosca, un étendard contre les violences faites aux femmes, et un sexisme galopant. Face à l’homme de pouvoir, la belle résiste, mais pour sauver la peau de l’être aimé, sacrifice son corps, son âme. Le directeur du CDN de Rouen Normandie transcende ce geste ultime et fait du corps « objetisé », sexualisé une arme tranchante.

Art vs Dictature

Le propos du compositeur italien est féroce. Il dénonce à la fois la place de la femme mais aussi les rapports de force entre l’art, évidemment rebelle, et la violence d’un état policier. C’est d’autant plus prégnant que les tenues noires de la milice, imaginées par Sabine Siegwalt ne sont pas sans rappeler celles d’un autre temps, tout en faisant écho à celles plus actuelles des policiers des dernières manifestations qui ont émaillé notre pays.

Un espace contemporain

Soignant la scénographie, puissante, percutante, David Bobée ancre l’œuvre dans ce que la tragédie a de tumultueux et de cruel. Tout vient éclairer le drame humain d’un peuple oppressé luttant pour sa liberté, de cette femme trop charnelle pour ne pas exciter le mâle dans sa faible chair. Il fallait tout le tempérament sensuel et ardent de la soprano américaine Latonia Moore pour faire de Tosca, cette héroïne d’aujourd’hui, cet être de chair et de sang prête à tout par amour. Face à elle, Andrea Carè et Kostas Smoriginas ne déméritent pas, bien au contraire, il l’accompagne jusqu’au bout dans son funeste destinée.

Poésie de l’instant présent

S’appuyant sur la direction musicale soignée, ciselée d’Eivind Gullberg-Jensen, David Bobée signe un opéra baroque mâtiné d’une belle réalité. Tout crie la brutalité d’un état dictatorial dont le but principal est d’asseoir son autorité au détriment des libertés de tous. Emporté par les arias, le public retient son souffle, et à l’unisson se lève et salue l’ultime acte de rébellion de Tosca qui préfère le suicide à la saisie de son corps par des mains ennemis. Sublime !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial Rouen


Tosca de Giacomo Puccini
Opéra en 3 actes
Théâtre des Arts – Opéra de Rouen Normandie
7 Rue du Dr Robert Rambert
76000 Rouen
Dernière le 12 mars 2020
Durée 2h50 avec entractes

Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après la pièce de Victorien Sardou
Opéra en italien surtitré en français
Direction musicale d’Eivind Gullberg-Jensen
Mise en scène et scénographie de David Bobée assistée de Corinne Meyniel
Scénographie d’Aurélie Lemaignen
Costumes de Sabine Siegwalt
Lumières de Stéphane Babi-Aubert
Vidéo de Wojtek Doroszuk
avec Latonia Moore, Andrea Carè, Kostas Smoriginas, Jean-Fernand Setti, Camille Tresmontant, Antoine Foulon, Laurent Kubla, Vincent Eveno
Chef de chœur Christophe Grapperon
Chef de chant Frédéric Rouillon
Chœur accentus / Opéra de Rouen
Normandie
Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
Orchestre Régional de Normandie

Crédit photos © Arnaud Bertereau

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