Pleins « Feux » chaleureux à Calais

Au Channel, les Feux d'hiver brûlent dans une atmosphère festive et conviviale.

Pour célébrer les jours les plus courts de l’année, Francis Peduzzi, directeur du Channel – Scène nationale de Calais, propose un festival atypique et populaire sous le signe de la convivialité et du partage. Entremêlant arts, poésies et performances avec ingéniosité, il offre aux grands comme aux petits des spectacles féériques, des soirées magiques qui réchauffent les cœurs, les âmes.

Le soleil n’est pas au rendez-vous dans le Nord de la France en cette fin d’année 2019. L’air est vif, glacial. Peu importe. Au Channel – Scène nationale de Calais, lieu de culture installé depuis 1994 sur le site des anciens abattoirs de la ville, on sait donner au gris du ciel, au noir de la nuit, la couleur des étoiles, du feu, la chaleur de l’amitié, la magie de l’artisanat, du spectacle vivant de chair et de corps. Lorsqu’on pénètre pour la première fois dans l’enceinte de cet endroit atypique, on se demande où l’on est tombé. Semblant être fait de bric et de broc, l’établissement n’a rien d’un théâtre traditionnel. Désignés par Patrick Bouchain et François Delarozière, les baraquements, les gradins, les bureaux titillent l’imaginaire, invite à un voyage intemporel vers un ailleurs fantasmé. Entre style art déco et scénographie imaginée par Jeunet, l’ancien centre de développement culturel de Calais se développe pour devenir un véritable lieu de vie singulier autant que féérique. Pour en savoir plus sur cette étonnante histoire, le livre Sillage recueille les différents numéros du petit journal du même nom qu’édite, tous les mois, le Channel

Librairie, bars, restaurant, tisanerie, chapiteau transformable, tout est fait pour donner envie aux visiteurs de rester, de prendre le temps de découvrir, de se laisser tenter par les différentes propositions artistiques dont regorgent la biennale du Channel, les Feux d’Hiver. Par ailleurs, dans le souci d’être accessible à tous, Francis Peduzzi a mis en place, grâce notamment aux subventions renouvelées et à l’enthousiasme de Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, une politique tarifaire douce. Si durant l’année, l’entrée est de 7 euros, ce qui est déjà particulièrement modeste, pendant les festivités, le ticket est à 3,50 euros, voire, pour certaines manifestations, gratuit. Autant dire, que ça grouille de monde du soir au matin. Pas-de-calaisiens, belges, habitants des régions voisines, argentins même, se pressent pour découvrir la programmation éclectique de ce festival unique en son genre et célébrant le solstice d’hiver. 

Il y en a pour tous les goûts, pour tous les âges. Pour commencer la journée en douceur, pourquoi ne pas se laisser tenter par Roucoule Liverpool de la compagnie On Off, une performance participative des plus relaxantes. Accueilli par une bien étrange professeure d’université anglaise, le petit nombre de privilégiés – une vingtaine environ – prend place dans l’emblématique salle Le Passager – la première à avoir vue le jour en 2000 depuis le début de la rénovation du site en 1999. Ventant les bienfaits de la musique sur nos cellules, la chercheuse nous propose de nous débarrasser de nos préjugés, de nous laisser aller et de tenter avec elle une expérience sensorielle fascinante. Ici pas d’artifice, pas d’effets spéciaux, juste les formidables capacités du corps humain à s’adapter. Les yeux bandés, invités à s’installer confortablement sur des transats, les participants acceptent de se laisser guider, de s’abandonner totalement. Revisitant a capella des standards pop rock, les voix envoûtantes des hôtes et hôtesses bercent, invitent à une introspection toute en délicatesse, à relâcher, durant une petite demi-heure, tension et stress. C’est absolument divin. Détendus, les spectateurs sont fin prêts à continuer leur parcours culturel.

A l’extérieur, devant le chapiteau, la foule s’amasse. Tout le monde ne pourra pas rentrer. C’est aussi le jeu de ce festival. De plus en plus prisé, il fait souvent salle comble. Et c’est plutôt une bonne nouvelle. Derrière les bâches multicolores qui servent d’enceinte au cirque, le duo argentin, Josefina Castro et Daniel Ortiz, s’apprête à se lancer dans les airs pour un numéro de haute-voltige. Virevoltants, ils content à travers leurs corps le quotidien, l’amour, la vie. Avec une dextérité à couper le souffle, une complicité confondante, ils mettent nos nerfs à dure épreuve pour mieux nous cueillir, nous saisir. Ninguna Palabra est un moment suspendu particulièrement chavirant.

Toujours pas rassasié, le public en redemande encore et toujours. Il est toutefois le temps de se poser, de laisser le spectaculaire de côté, pour se concentrer sur les mots, sur une rencontre entre deux artistes : Alain Cavalier et Mohamed El Khatib. L’un est cinéaste, l’autre metteur en scène. L’un a tourné avec les plus grands, de Romy Schneider à Alain Delon en passant par Jean-Louis Trintignant, l’autre raconte dans ses spectacles son enfance, la mort de sa mère, sa famille. Entre les deux, une connivence, une gourmandise des choses de la vie. A travers une conversation impromptue, un bavardage improvisé, l’un et l’autre vont se raconter, parler d’amour, de compassion, d’art, de plaisir. Informel, tendre, l’échange se laisse écouter avec plaisir d’autant qu’on est séduit par l’élégance facétieuse de celui qui a déjà tant vu, par la faconde drolatique de celui qui a soif d’exister. Invité d’honneur de ces Feux d’hiver, Mohamed El Khatib ponctue les cinq jours de ce festival en proposant une carte blanche, sorte de patchwork de son savoir-faire. Dans L’amour en Renault 12, par exemple, il présente à coup d’anecdotes son premier film – inspiré notamment par le travail d’Alain Cavalier – , bientôt présenté sur Arte. 

Légers, réchauffés par de belles paroles, de passionnantes histoires, par cette atmosphère joviale, humaine, chaleureuse qui caractérise l’évènement, enfants et parents font la queue devant la grande halle pour assister à la fabuleuse création du Gandini Juggling, un hommage vibrant et burlesque à Pina Baush et à son Wupperthal Tanztheatre. Formé en 1992 par Sean Gandini et Kati Ylä-Hokkala, jongleurs de renommée internationale, la compagnie revisite les classiques du genre tout en leur apportant un brin de folie burlesque, un air de désuétude désopilante. Sur le plateau, une cinquantaine de pommes sont placées avec minutie, quadrillant l’espace, quelques assiettes en porcelaine, des services à thé ont été mis ça-et là, et des chaises sont alignées en arrière-plan. Sur l’air rétro de I’ve Always Wanted to Waltz in Berlin du compositeur américain Little Jack Little, les neuf artistes virtuoses entrent en scène. Le show peut commencer. Il est réjouissant. Empruntant à la chorégraphe allemande sa gestuelle, il invite à un voyage extravagant et hypnotique à la croisée des arts. Les tableaux s’enchainent avec virtuosité. Tous racontent une histoire que ce soit le récit d’un amour perdu, d’une jalousie, de guerre ou de passion. Malin, espiègle, Smashed – littéralement écrasé en anglais – convie à un décapant « tea time ». Un bijou d’humour, une gourmandise succulente à déguster sans modération. 

La nuit approche à grand pas. La compagnie Carabosse commence à allumer les feux des différentes installations avec lesquelles, elle a investi l’espace extérieur. Musique jazzy sous des braseros, automates se livrant à quelques facéties sous les lumières chaudes des milliers de flammèches, la cour de Channel se transforme comme par magie en palais somptueux, en fête tzigane folle. Malgré le froid humide, une population hétéroclite, dense, déambule et s’émerveille. L’atmosphère se réchauffe, le moment est aux rêves, aux songes, au lyrisme. La fantastique attraction brûlant pendant un peu moins de deux heures, chacun a le temps d’en admirer les beautés, les éclats, les richesses. 

Pour les plus affamés, les plus curieux, il est encore possible de découvrir d’autres spectacles. Comme Le Paradoxe de Georges du magicien multi-primé Yann Frisch, où le jeune trentenaire bluffe les plus incrédules par ses tours de passe-passe, ses manipulations hallucinatoires et mentales. Promis, les cartes à jouer, suprêmes armes de son art, n’auront plus du tout le même sens, le même attrait après ce divertissement sympathique d’une heure. Ne tardez pas trop, le feu d’artifice organisé par le Groupe F vous attend au Belvédère. Sous le regard ébahi d’un millier de personnes, la bâtisse aérienne s’enflamme. C’est tout simplement merveilleux, féérique. 

Concerts et autres réjouissances au bar, permettent à tous de finir cette journée singulière, extraordinaire en douceur. Parfaitement réussie, cette neuvième édition de Feux d’hiver, festival qui revient de loin grâce à la volonté sans faille de Francis Peduzzi et de son équipe, sonne, on l’espère, une renaissance durable de cette fête familiale, plébéienne au sens noble du terme et conviviale, qui clôture l’année 2019 en beauté ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Calais


Feux d’Hiver 
Channel – Scène nationale de Calais
173, boulevard Gambetta
62000 Calais
Jusqu’au 31 décembre 2020

Roucoule Liverpool, compagnie On Off, chansons douces, à 8 h 45, 10 h et 11 h 15, le Passager. 3, 50 € 

Ninguna Palabra, Josefina Castro et Daniel Ortiz, voltige, à 11 h 30, chapiteau. Entrée libre. Gratuit.

Smashed, Gandini Juggling, jonglage, à 14 h 30 et 17 h 30, grande halle, porte B. À partir de 7 ans. 3,50 €. 

Le Paradoxe de Georges, Yann Frisch, magie, à 17 h 15 et 20 h. À partir de 12 ans. 3, 50 €. Camion-théâtre. 

Carte blanche à Mohamed El Khatib, un spectacle improvisé « Conversation entre Alain Cavalier et Mohamed El Khatib » à 14 h 45 et une conférence ludique « L’amour en Renault 12 » à 19 h 30, pavillon des plantes. 3,50 € la séance.

Installation de feu, Carabosse, flammes, balade poétique d’un embrasement à l’autre, à 16 h 45, cour. Gratuit.

Théâtre de feu, rêverie pyrotechnique et musicale, Groupe F, à 19 h, au pied du belvédère. Gratuit.

Crédit photos © François van Heems, © Laurent Bugnet, © Christophe Chaumanet et © OFGDA

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