Couv_R&J ©Nabil BoutroIMG_7377-@loeildoliv

Des roses et du jasmin, l’histoire de la Palestine version tragédie antique

A la manufacture des Œillets, Adel Hakim signe une fresque familiale qui s'inscrit dans le cadre du conflit israélo-palestinien.

Larmes et sang se mêlent sur le sol palestinien. Les amours y sont contrariées par une raison froide, des convictions sans nuances. Les femmes sacrifiées corps et âmes. Retraçant sur 40 ans l’histoire du conflit israélo-palestinien, Adel Hakim, décédé cet été, signe une pièce-fleuve familiale, tragique et burlesque qui interroge et crée le malaise forçant parfois le trait de la caricature.

Dans un décor des plus minimalistes, composé de deux tables, deux chaises et quelques panneaux de plastique, deux clowns apparaissent. Sur une musique enjouée, ils enchaînent les pantomimes, les singeries, les mimiques excessives avec un plaisir non dissimulé. Ils sont vite rejoints par une femme, grimée de blanc et noir, tout aussi burlesque que ses collègues masculins. Imperceptiblement, la farce laisse place à l’histoire tragique de Miriam et d’Aaron, seuls rescapés d’une famille juive allemande décimée par la Shoah, venus trouver refuge en terre promise, en Palestine alors sur protectorat britannique.

R&J ©Nabil BoutroIMG_7072_@leoildoliv

Frêle, délicate, la belle Miriam tombe amoureuse de John, un officier anglais, dont elle aura une fille, Léa. Cette Idylle n’est pas du goût de son frère, engagé politique, membre de l’Irgoun, organisation armée sioniste, qui rêve d’un état juif indépendant, s’installant en lieu et place de la Palestine. Pour cela, il est prêt à tout, manipuler, sacrifier, tuer, détruire. L’attentat à l’hôtel King David, le 22 juillet 1946, dont il est un des organisateurs, précipitera les choses. L’état d’Israël verra le jour deux ans plus tard, entraînant sans aucune forme de procès, l’expulsion, l’expropriation sans ménagement de nombreux Palestiniens vers le Liban. Le sang de son mari sur les mains, Miriam sombrera dans une douce folie protectrice et salvatrice.

Vingt ans plus tard, durant la guerre des six jours, c’est au tour de Léa de contrarier les volontés de son oncle en tombant amoureuse de Mohsen, un Palestinien. Enfermé dans ses convictions, il refuse cet amour contre-nature et tente en vain d’arracher Yasmine, le fruit de cette union, des griffes de sa famille arabe, allant même jusqu’à séquestrer sa nièce pour la mettre dans le droit chemin, celui d’un état d’Israël fort, fier et conquérant, d’un peuple juif qui ne veut plus être victime mais bourreau.

Nous retrouverons 20 ans plus tard, les protagonistes de cette chronique familiale embarqués bien malgré eux dans les tourments d’un conflit dont ils ne sont que les pions sacrificiels. Enferrés dans cette tragédie humaine, antique, ils filent tous vers une fin funeste. Le drame est devenu leur lot quotidien, le fanatisme politique de l’un pervertissant l’un après l’autre les esprits plus modérés, souillant de son opprobre les âmes passionnelles des femmes, Des roses et du jasmin pousse à la réflexion quitte à créer chez certains un malaise tant parfois le trait vire à la caricature.

R&J ©Nabil BoutroIMG_7813_@loeildoliv

Si l’on ne peut que saluer le travail d’Adel Hakim, qui en tant que codirecteur du Centre dramatique national du Val de Marne, s’est battu comme un beau diable pour mener à terme ce projet et ainsi soutenir le théâtre national palestinien à l’agonie, on peut regretter la vision parcellaire et très orientée du propos. Évidemment, que traiter du conflit israélo-palestinien est une tâche ardue, tant les tenants et aboutissants sont multiples, tant les visions de chacun sont influencer par notre éducation, par les récits variés, disparates et contradictoires qui en sont faits.

En choisissant de se placer du côté palestinien, Adel Hakim, aidé par Mohamed Kacimi, a voulu donner la parole aux opprimés. Une louable et passionnante intention qui donne à penser différemment, à voir au-delà des apparences, mais qui tourne court tant certains caractères sont exagérés, notamment celui d’Aaron. Toutefois, il faut reconnaître l’engagement total de cette troupe qui contre vents et marées, sans budget, tente tant bien que mal de rester à flots, d’exister et savourer la magie du théâtre d’Adel Hakim où tragédie et burlesque, se mêle avec ingéniosité.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


R&J ©Nabil BoutroIMG_7109_@loeildoliv

Des roses et du jasmin d’Adel Hakim
Manufacture des Œillets – La Fabrique
Théâtre des quartiers d’Ivry
1 place Pierre Gosnat
94200 Ivry-sur-Seine
Jusqu’au 16 mars 2018
Du lundi au samedi à 19h, le dimanche à 16h, relâche le mercredi
Durée 3h avec entracte

mise en scène d’Adel Hakim
édition : L’Avant-Scène Théâtre
scénographie et lumière d’Yves Collet
dramaturge de Mohamed Kacimi
collaboration artistique : Nabil Boutros
assistant lumière : Léo Garnier
vidéo de Matthieu Mullot
costumes de Dominique Rocher
chorégraphie de Sahar Damouni
avec Hussam Abu Eisheh, Alaa Abu Gharbieh, Kamel El Basha, Yasmin Hamaar, Faten Khoury, Sami Metwasi, Lama Namneh, Shaden Salim, Daoud Toutah

Crédit photos © Nabil Boutro

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com