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A la trace, en quête éperdue d’identité

Au TNS, Anne Théron questionne la filiation et la transmission d'un point de vue féminin dans A la trace.

Des mots qui interrogent un passé singulier, pluriel, une fille errante cherchant une inconnue en lien avec son histoire, une femme survivante qui se perd dans des rencontres virtuelles, servent de fil conducteur à ce polar psychologique au féminin porté par un quatuor de comédiennes éblouissant et ingénieusement ciselé par Anne Théron d’après le texte poétique et vibrant d’Alexandra Badea.

Dans un décor blanc, clinique, rappelant les salles d’attente d’aéroport, une jeune femme (épatante Liza Blanchard), genre globe trotter des temps modernes, épie les mouvements d’une chanteuse de cabaret (lumineuse Judith Henry). Elle guette le moindre de ses mouvements, elle cherche le contact. Le dialogue s’engage. Cherchant à connaître le passé de l’artiste, elle la questionne sans relâche. Petit à petit, ses motivations font jour. Peu de temps après le décès de son père, la jolie Clara a découvert, abandonné dans la cave un sac contenant des objets appartenant à une inconnue identifiable uniquement par le nom inscrit sur une vieille carte d’électeur : Anna Girardin.

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© Jean-Louis Fernandez

Perturbée par cette découverte, elle traque à travers le monde toutes les femmes portant ce nom. De Paris à Berlin, en passant par Tokyo, elle suit à la trace celle qui pourrait bien connaître un secret lié à son enfance, à sa naissance. En parallèle, on suit les aventures virtuelles d’une autre Anna (éblouissante Nathalie Richard). Absente du monde réel, elle survit tant bien que mal. Incapable de construire une quelconque relation dans la vie, elle tisse une existence sur la toile. Elle se confronte aux regards introspectifs d’hommes via des chats sur internet. Par brides, elle livre son histoire, ses blessures, ses fêlures.

S’il ne faut pas être grand devin pour comprendre ce qu’est Clara pour cette singulière Anna, on se laisse totalement embarqué par cette quête d’identité filiale construite comme un polar psychologique. Pris dans les rets de ces deux âmes errantes confrontées à la solitude d’un monde fantasmé pour l’une, virtuel pour l’autre, on suit avec un intérêt croisant leurs histoires, cherchant de quelle manière leurs existences vont à nouveau se télescoper. Plume lyrique, réaliste, incisive, Alexandre Badea scrute les émotions de ces femmes esseulées en mal d’amour, de tendresse pour esquisser le portrait d’une société en mal d’humanité.

Travaillant en étroite relation avec son auteure, Anne Théron s’empare de ces destins abîmés pour mieux les sublimer, leur apporter une lueur d’espoir, une chance de survie. Jouant des espaces comme Jean Bellorini dans Kroum, des lumières, des champs et contre-champs comme dans une œuvre cinématographique, elle imagine une sorte de building immaculé à neuf cases où l’on voyage d’un pays à l’autre, d’une maison à une chambre d’hôtel, à une loge d’artistes, de la virtualité par vidéo intermposée à la réalité. Entremêlant les histoires, les vies, elle interroge la transmission, la filiation d’un point de vue féminin.

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© Jean-Louis Fernandez

Si l’on peut regretter quelques longueurs digressives notamment dans les vidéos où les hommes d’Anna la courtisent, la dévorent, la sondent, cherchent vainement à la saisir, la présence scénique du quatuor de comédiennes captivent, envoûtent. Chacune dans son registre irradie la scène. Liza Blanchard donne à son personnage une pugnacité délicate et sensible, Judith Henry une légèreté attachante, un charme diffus aux quatre Anna qu’elle incarne, Maryvonne Schiltz une douce tendreté, enfin Nathalie Richard, une pudeur sensuelle, une intense fragilité.

Totalement transporté par la virtuosité de ces artistes, on se laisse toucher par la justesse de leur jeu fait de chair et de sentiments. Suivant A la trace leurs histoires, leurs destins, on est fasciné par ce spectacle à fleur de peau, ce drame de la vie, cette recherche frénétique, furieuse d’identité.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Strasbourg

A la trace d’Alexandra Badea
Théâtre national de Strasbourg – salle Gignoux
1, Avenue de la Marseillaise
67000 Strasbourg
jusqu’au 10 février 2018
du mardi au samedi 20h et le dimanche à 16h
durée 2h15

Un projet d’Anne Théron
Avec Liza Blanchard, Judith Henry, Nathalie Richard, Maryvonne Schiltz et sur vidéo
Yannick Choirat, Alex Descas, Wajdi Mouawad, Laurent Poitrenaux
Collaboration artistique : Daisy Body
Stagiaire assistant à la mise en scène : César Assié
Scénographie et costumes de Barbara Kraft
Lumière de Benoît Théron
Son de Sophie Berger
Musique de Jeanne Garraud
Images de Nicolas Comte
Montage de Jessye Jacoby-Koaly
Équipe technique de la compagnie, Régie générale, lumière et vidéo : Mickaël Varaniac-Quard
Régie plateau : Marion Koechlin

Anne Théron et Laurent Poitrenaux sont artistes associés au TNS
Les décors et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS

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